Jeremy Corbyn et Bernie Sanders : la gauche radicale anglo-saxonne déjà entravée sur sa route vers le pouvoir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeremy Corbyn peine à séduire en dehors des limites de son camp.
Jeremy Corbyn peine à séduire en dehors des limites de son camp.
©Reuters

Tout nouveau mais déjà plus beau

Selon un sondage, Jeremy Corbyn peine à séduire en dehors des limites de son camp : plus de 40% des électeurs britanniques souhaitent le voir partir avant la prochaine échéance électorale. Un constat qui interpelle, quand on dresse le parallèle avec les autres populismes européens ou américains, tout aussi inaudibles.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : D'après un sondage mené par Ipsos-MORI publié ce mardi 27 octobre, 42% des électeurs britanniques souhaitent voir Jeremy Corbyn quitter la présidence du parti travailliste avant la prochaine élection. Dans quelle mesure cela peut-il mettre en exergue les difficultés que les personnalités clivantes peuvent rencontrer pour séduire en dehors des partis ?

Christophe Bouillaud : Ce sondage n'a rien d'étonnant, dans la mesure où Jeremy Corbyn a été présenté comme une personnalité très à gauche du parti travailliste. Ce parti qui, lui-même, occupe l'aile gauche de l'échiquier politique britannique. Il est, par conséquent, assez logique qu'une majorité des électeurs apprécieraient de ne pas le voir à ce poste.

Il m'apparaît important de préciser que ce sondage a été réalisé très rapidement après l'arrivée de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste. Il a été élu par un vote de sympathisants et le congrès du parti a su l'adouber sans trop de difficultés. Il ne faut pas faire de ce sondage quelque chose de très important : c'est dans la durée seulement que l'on pourra constater de la capacité de Jeremy Corbyn, et sa personnalité atypique, à convaincre ou non. Il est primordial de laisser cette opposition se construire dans le temps. De plus, c'est en relation et en opposition avec David Cameron au sein de la chambre des députés qu'un certain nombre de choses vont se nouer. C'est là qu'on verra si Jeremy Corbyn parvient, ou non, à jouer son rôle de premier opposant.

En dehors de cet aspect demeure une question plus générale, qui traduit la difficulté à convaincre un électorat qui n'est pas conquis, quelque soit le spectre politique. En général, et c'est également vrai dans le cas de Jeremy Corbyn, les militants sont plus extrèmistes que l'électorat. Quand un leader est élu par une base militante, il sera probablement trop radical, au vu et au su des attentes d'un électorat plus traditionnel. C'est quelque chose qui vaut pour tous les partis, et dans le cas de Jeremy Corbyn, il est important de préciser qu'il est favorisé par le mode de scrutin anglais : il n'est pas nécessaire d'être majoritaire pour élu. Il suffit d'être à la tête de la plus grosse minorité du pays. C'est ainsi que Margaret Tatcher a pu remporter ses premiers succès électoraux. Dans l'absolu, cette plus grosse minorité pourrait se situer sur l'aile gauche de l'échiquier politique britannique, comme elle pourrait être de l'aile droite. Dans un autre système électoral, il est bien plus compliqué de séduire la majorité de l'électorat quand on incarne une position particulièrement radicale. Tous les leaders extrèmistes, et tous ceux qui donnent beaucoup de pouvoir de parole aux militants font face à ce problème : dès lors qu'on milite, c'est qu'on se place en opposition avec la société et le statu quo dans lequel on vit. Nécessairement, donc, un militant aura tendance à tirer les choses en dehors de ce que veut un électeur ordinaire.

Les positions très radicales de Jeremy Corbyn attirent l'attention sur lui. Pour autant, est-ce uniquement au travers d'un sens du spectacle que l'on peut créer l'adhésion en politique ?

Je ne crois pas. Cela étant, je doute que Jeremy Corbyn cherche à attirer l'attention sur lui, en revanche sa radicalité est très opposée aux médias dominants en Grande-Bretagne. Ces médias, qu'ils soient libéraux pro-libre échange et proches de la city ou euro-sceptiques, le mettent en scène, d'une façon assez négative. Jeremy Corbyn est confronté à un paysage éditorial qui lui est très opposé. Il n'existe pas véritablement de presse de gauche au Royaume-Uni, exception faite du Guardian qui se veut plus objectif et moins partisan. Le gros de la presse anglaise est très marqué à droite et le New Labour s'était imposé grace à une alliance avec cette presse de droite, comme la presse Murdoch. Aujourd'hui, Jeremy Corbyn paye le fait qu'il n'a aucun soutien médiatique : toute déclaration qu'il peut faire sera retenue contre lui. S'il déclarait "Le ciel est rouge ce matin", on pourrait lire qu'il souhaite une révolution. Il n'a aucun allié au sein des médias dominants.

Si une adhésion doit se créer, ce ne sera donc pas autour de cette mise en scène (très négative, puisque certains médias britanniques le décrivent comme proche des islamistes ou utilisent certains traits de sa personnalité pour le faire apparaître comme une bête de foire) qui est faite de lui. S'il devait se créer quelque chose, c'est autour de ses éventuelles propositions que cela se fera, de sa potentielle capacité à réaliser des choses biens, susceptibles de redonner un peu d'espoir à la classe ouvrière britannique, que le Labour est en train de perdre. S'il ne parvient pas à reconquérir cet électorat, il finira par glisser aux eurosceptiques et autres UKIP. La vraie question c'est celle-ci : dans quelle mesure est-ce que de nouvelles positions et de nouvelles propositions de gauche peuvent séduire cet électorat et parvenir à le mobiliser, quand on les sait majoritairement abstentionnistes ? Je crois que, dans la durée, c'est possible. David Cameron, en réalisant son programme, prendra un certain nombre de décisions pas des plus favorables aux classes populaires. Ce sera l'occasion pour Jeremy Corbyn de montrer qu'il y a d'autres solutions, par opposition à celles de David Cameron.

Ce qui pose problème avec ce sondage, c'est qu'on procède comme si l'élection allait avoir lieu d'ici deux semaines. Or, elle a eu lieu ! Le Labour actuel est un champ de ruine qu'il faut reconstruire. S'interroger sur Corbyn mainenant, cela revient à s'interroger en 1981 sur la capacité du RPR à s'en sortir.

D'autres exemples existent, par exemple aux Etats-Unis avec Bernie Sanders. Dans quelle mesure peut-on comparer leurs situations ? Quelles sont les difficultés particulières concernant la rencontre de ce type de profils et des électeurs ?

Il me semble que ces deux situations sont assez comparables. Bernie Sanders comme Jeremy Corbyn opèrent dans des systèmes partisans, au sein desquels il est nécessaire de mener une bataille, à l'intérieur d'un des deux partis dominants. Aussi bien Bien Bernie Sanders que Jeremy Corbyn rappellent que la gauche existe, dans les pays anglo-saxons. Que le mot "socialisme" n'est pas un gros mot. Dans les années 1910 et dans les années 1930, il existait une tradition socialiste aux Etats-Unis, qui a complètement disparu par la suite. Aujourd'hui, Bernie Sanders ose utiliser un mot plus que tabou aux Etats-Unis, qui est presque pire que le mot "nazisme" chez nous. Autre ressemblance : la Grande-Bretagne comme les Etats-Unis connaissent aujourd'hui une reprise économique très forte, due à une politique monétaire très incommodante. Dans les deux pays, les inégalités sociales augmentent. Cette croissance économique ne profite pas à tous de la même façon : elle est profondément inégalitaire. Or, il s'agit dans les deux cas de pays qui sont déjà inégalitaires, à la base. Dans les deux situations, on rajoute donc une couhe d'inégalités  dans un contexte déjà inégalitaire.

La difficulté première de tout extrèmiste est toujours la même : c'est la question de la crédibilité de ses solutions. Un extrèmiste, par définition, se retrouvera face à tous les gens qui jouissent d'un tant soit peu d'autorité dans la société, à juste titre ou à tort. Ces gens-là diront que les solutions qu'il propose ne sont pas valable. Il ne se heurte pas à un mur d'argent, mais à un mur de commentaires négatifs, qui portent sur ses solutions,  sa personne, son histoire... etc. Le vrai problème est de réussir à parvenir crédible. Or, la crédibilité c'est une relation avec les gens qui ont voix au chapitre dans la société. C'est souvent à ça que servent les sciences politiques. 

D'autres obstacles existent. Malgré tout, ces gens restent souvent des amateurs, en matière de communication politique. Régulièrement, ils commettent des erreurs, qui sont réutilisées contre eux ensuite. Enfin, je crois que le coeur de cible des électeurs qu'ils cherchent à séduire sont très impatients, et très prompt à se décourager électoralement parlant. Quand on n'est pas content et qu'on prône le changement, on a du mal à s'inscrire dans la durée d'un mouvement politique qui cherche à faire évoluer les choses. Surtout quand ce changement se fait sur plusieurs élections. L'électorat radical se démobilise rapidement, quand l'électorat conservateur attend moins de la politique (mais en craint plus). C'est ce dont a souffert Beppe Grillo : ceux qui votent pour lui sont les jeunes impatients... A l'inverse, ceux qui votent pour Matteo Renzi sont plus âgés, plus installés. On le constate en France également : les précaires (au sens large) souhaitent du changement et votent pour le FN;

Dans quelle mesure est-ce que ce rejet  (ou au moins cette division) qu'incarne Jeremy Corbyn est-elle révélatrice de la situation de crise politique qui sévit au Royaume-Uni ?

Je crois que c'est très sain. Il est important, en démocratie, d'avoir des alternatives. Depuis de nombreuses années, depuis le New Labour, le Labour s'était fortement rapproché du parti conservateur. Le parti libéral démocrate également. Qu'un des trois grands partis historique du pays s'éloigne du consensus me paraît particulièrement sain : cela offre du choix aux électeurs. Libre à eux de choisir ce qu'ils veulent, mais cela témoigne d'un certain renouveau qui plane sur la Grande-Bretagne. D'abord parce que beaucoup se sont mobilisés pour élire Corbyn à la tête du parti travailliste, contre sa classe politique. Apparamment, il s'agit de jeunes, de gens qui n'étaient pas engagés en politique, et dans le fond cela offre une nouvelle option. En outre, l'avantage qu'à Jeremy Corbyn c'est qu'il s'interroge sur une question écossaise qui a souvent été délaissée. Ce n'est pas représentatif d'une crise, c'est le signe d'un renouveau, après cette crise, due à un rapprochement des trois formations politiques majeures.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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