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Jean-Luc Mélenchon fait-il vraiment le pari le plus efficace en voulant "saper la légitimité des médias"?
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Trop d'opposition tue l'opposition

Jean-Luc Mélenchon s'en prend violemment aux "médiacrates". Si les attaques sont faciles et toutes trouvées pour lui, elle peuvent finir par devenir lassantes pour les Français. Ces derniers pourraient le cataloguer comme Georges Marchais des temps actuels.

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Dans un article publié sur son Blog, et intitulé "D’abrutis à médiacrates : du calme !", Jean-Luc Mélenchon analyse l'influence des médias comme une priorité de son engagement politique. En citant Ernesto Laclau "le seul parti effectif contre nous est le système médiatique," Jean Luc Mélenchon indique que la politique du "système"  aujourd’hui incarnée par Emmanuel Macron est  "recrachée par tous", les membres de ce système seraient en incapacité de "faire leur travail" sans le soutien des médias, du système. Comment comprendre une telle analyse de la part de Jean-Luc Mélenchon ? Cette stratégie de la FI peut-elle produire des effets sur l'électorat, peut-elle être mobilisatrice ? 

Erik Neveu : On peut d'abord comprendre, quelque soit l'opinion qu'on ait sur Mélenchon, une forme d'exaspération devant l'intensité et la convergence des attaques dont il fait l'objet sur les médias. Mr Brunet qualifiait sur BFM ceux qui le soutiennent d'« abrutis », on peut encore visionner un récent « C dans l'Air » -dont le Huffington Post a même fait une vidéo ironique- où quatre éditorialistes présents sur le plateau accablaient Mélenchon, les insoumis et ses propositions de qualificatifs peu flatteurs. De ce point de vue si on peut contester des formulations (le « système » est-il déjà « recraché par tous », tous ont-ils la même vision du « système » qu'il faudrait abolir ?), le diagnostic est loin d'être sans valeur. S'il faut chercher en France aujourd’hui une force organisée d'idéologues, au sens de producteurs d'un discours sur le monde simpliste, radoteur et déconnecté du réel, ce sont les éditorialistes des plateaux télé, des newsmags et des journaux -parfois des sites webs- qui la constituent et psalmodient la formule de Mme Thatcher : TINA -There is no alternative. Avant de qualifier les électeurs Mélenchon d'abrutis, M Brunet avait répété à plusieurs reprises une phrase qui dit tout « Aujourd'hui tout le monde sait à peu près ce qu'il faut faire pour sauver la France ». Tout le monde ? Le dissensus est donc pathologique ? Et pour sauver le pays de quoi ? Un autre éditorialiste à écharpe rouge expliquait voici peu que les français étaient prêts à renoncer à bien des libertés pour lutter contre le terrorisme : quel mandat populaire avait-il donc reçu pour dire cela ? La crise de la presse, la désaffection de ses publics sont à juste titre sujets d'alarme. Mais on en a sans doute là une des clés. Ceux qui sont aujourd'hui perçus comme les plus visibles des journalistes par le public ont une triple et curieuse singularité. Ils ne pratiquent en rien ce qui est le cœur et la dignité du journalisme : la collecte de faits originaux, leur vérification, leur mise en récit dans des conditions qui alimentent l'intelligence des événements. Ils ne peuvent guère passer pour des intellectuels si on définit ce mot par la production d'œuvre de création ou de pensée originales, et s'ils sont au fond des partisans ils n'ont pas le contact aux citoyens par lesquels l'élu politique prend le risque de solliciter les suffrages et peut apprendre à intégrer les contraintes du terrain. Est-ce que dénoncer ces éditorialistes – et non les journalistes en général- peut mobiliser ? Pas de façon décisive, mais bousculer ces personnages suffisants et qui croient en leur omniscience mettra les rieurs, et un peu que 19% des votants, du côté de celui qui les attaque. Souvenons-nous aussi que la condescendance et le mépris avec lequel ont été (sont encore parfois) traités les porte-paroles du Front National dans les années 1990-2000 a beaucoup fait pour solidifier son électorat populaire. Mais pour faire une formule à la Mélenchon, y penser supposerait déjà de réfléchir !

La France Insoumise n'a t-elle pas plus à intérêt à cibler ses attaques sur les réformes mises en œuvre par le gouvernement ? La chute d'Emmanuel Macron dans les sondages, et le très faible soutien obtenu des français pour sa ligne idéologique (23% dans le sondage Yougov publié ce 4 septembre) ne sont-elles pas plus "efficaces" qu'un ciblage prioritaire des médias ?

L'un n'exclut pas l'autre et le débat sur l'usage des ordonnances, celui sur la réduction des APL ont aussi permis à des figures nouvelles de se faire connaître au sein du petit groupe des élus « insoumis ». Il y a certainement une fenêtre d'action pour cette force politique si on prend en effet en compte l'érosion rapide de la popularité présidentielle et la déliquescence des oppositions LR et PS. Mais le pari de Mélenchon et de la France Insoumise est aussi de porter la critique politique des réformes de la Présidence Macron en contournant les médias le mieux établis. On a vu le rôle du site web, de blogs, de vidéos sur You Tube, de la logique « virale » de diffusion pendant la Présidentielle et leur impact réel. S'il y a là une vision stratégique cohérente, elle fait aussi face à deux difficultés. Peut-on véritablement ne pas investir aussi en temps, en présence, en savoir-faire sur les médias traditionnels ? Ce qui pose la question de faire émerger une pluralité de porte-paroles pour ne pas tout personnaliser sur un leader charismatique unique qui peut avoir ses coups de mou ou ses dérapages. Ce qui pose également la question du point d'équilibre pas toujours facile à maîtriser entre remettre à leur place des éditorialistes idéologues et ritualiser une forme d'agressivité, voire de mépris pour des journalistes qui, elles et eux, s'emploient à exercer leur métier tant bien que mal dans les conditions d'un métier précarisé .
Dans quelle mesure une telle vision peut-elle, aboutir, logiquement au rejet de la dernière élection présidentielle ? N'y a t-il pas ici une forme de remise en cause de la légitimité du Président ? 
M Macron occupe tout à fait légalement la fonction pour laquelle il a été choisi au terme d'une élection concurrentielle, dans le respect de la constitution. On peut dire qu'il est non seulement l'élu légal mais légitime au sens de la régularité des procédures, du principe démocratique qui remet au gagnant le pouvoir de conduire la politique... et nul n'a contesté à ce jour ce point central. Mais il faut aussi apporter deux bémols sérieux. Emmanuel Macron est un président mal élu malgré ses 66%. Il n'a sur son nom qu'un peu plus de 20% des inscrits quand De Gaulle ou Mitterrand étaient au-dessus de 45%. Et une grande partie de ceux qui ont mis un bulletin à son nom l'ont explicitement fait pour empêcher l’élection de Marine le Pen et non par adhésion. La légitimité, parce qu'elle est de l'ordre de la reconnaissance et de la confiance est aussi une chose fluide, changeante. Le fait frappant est aussi sa fragilité croissante. Nicolas Sarkozy avait semblé un cas d'école d'effondrement rapide de sa popularité. François Hollande allait faire mieux – ou pire- et Emmanuel Macron ne semble pas inverser cette tendance. On ne saurait rejeter l'élection présidentielle qui fut régulière, mais on peut voir demain le Président élu rejeté et politiquement paralysé... un certain François Hollande vous vous souvenez ?
Celles et ceux qui ont dépassé la cinquantaine peuvent se souvenir avec un peu d'ironie d'annonces incessantes de rentrées chaudes ou explosives, de l'insinuation que tel ou tel Président n'irait pas au bout de son mandat, balayé par des mobilisations ou terrassé par la maladie. Cela doit inciter à regarder avec scepticisme les prédictions noires sur le destin du Président actuel. Mais s'il est le Président régulièrement élu et légitime à ce jour, il est aussi dans une position infiniment plus fragile que ne suggèrent les deux chiffres de 66% du second tour et de plus de 350 députés.

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