Mélenchon et l’Union populaire, grand cimetière électoral de la gauche républicaine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de l'émission politique "Elysée 2022" sur France 2.
Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de l'émission politique "Elysée 2022" sur France 2.
©Thomas COEX / afp

Elections législatives

Depuis quelques jours, les tractations à gauche ont commencé pour la campagne des élections législatives. Jean-Luc Mélenchon a appelé "tous ceux qui veulent rejoindre l'Union populaire" à se joindre à eux, notamment le NPA, les communistes, les écologistes, et même les socialistes. Leurs projets seront-ils dilués dans le logiciel idéologique de LFI ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le scrutin de l’élection présidentielle étant désormais terminé, la campagne pour les législatives peut donc commencer. Les tractations pour les alliances vont à tout va et, à gauche, fait rare Jean-Luc Mélenchon a appelé tous ceux qui veulent rejoindre l'Union populaire à se joindre à eux pour cette belle bataille, y compris les socialistes. Au vu du contenu du programme de La France Insoumise, quels risques y a-t-il pour les partis de la gauche de gouvernement à rejoindre Jean-Luc Mélenchon ? Leurs thèmes seront-ils dilués à jamais dans le logiciel idéologique de LFI ? La faiblesse de leur score les oblige-t-il à abdiquer ?

Christophe Bouillaud : La première chose est bien sûr le rapport de force électoral qui ressort du premier tour et du second tour de l’élection présidentielle. Il est évident que les différents partis situés à gauche ont un intérêt vital à s’entendre s’ils veulent avoir des députés. C’est tout particulièrement vrai pour le PS et pour EELV. La candidate soutenue par le PS, Anne Hidalgo, a fait un score au premier tour qu’il vaut la peine de rappeler ici tant il explique la situation : 1,75% des suffrages exprimés. C’est un désastre sans précédent qui signifie aux dirigeants actuels du PS que la valeur sur le marché électoral national de la marque « PS » est désormais presque nulle. Il faut être un vieux dirigeant confit de certitudes pour ne pas voir la valeur réelle de la marque « PS » sur le marché électoral national : moins de 2%. Ces mêmes dirigeants actuels n’ont par ailleurs aucun charisme particulier à faire valoir. Aller seul aux élections législatives, avec éventuellement l’appui d’une Anne Hidalgo, d’un François Hollande, ou de tout autre ancien dirigeant du PS, signifie la déroute assurée pour les quelques députés sortants du PS. Il vaut donc mieux se rallier à l’alliance proposée par Mélenchon. La réflexion est la même pour EELV, qui, cependant, contrairement au PS, ne doit pas sauver des députés, mais essayer d’en avoir quelques-uns. Le score de 4,63% de Yannick Jadot met fin par ailleurs à son leadership sur le camp de l’écologie politique. Il a été vraiment mauvais dans cette campagne, et il est incapable d’en prendre acte en se consacrant désormais à son seul mandat de député européen. Et, en tout cas, ce n’est pas son charisme qui va convaincre de voter qui que ce soit de voter écolo aux législatives si ce parti se présente seul à la bataille. Le cas du PCF est quelque peu différent : ce dernier dispose d’une implantation locale plus solide qui devrait lui permettre de résister dans ses rares bastions résiduels. Par ailleurs, la campagne de Roussel a été plutôt réussie vu la faible valeur de la marque PCF qu’il entendait défendre.

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De fait, tous ces partis ne prennent pas grand risque à rallier le programme de LFI. Pour la plupart des questions concernant le quotidien matériel des Français, ils sont en fait très proches, par exemple sur la nécessité de mieux financer les services publics de la santé et de l’éducation, ou sur celle d’augmenter les salaires. Ils se divisent sur des questions d’ordre plus général, plus éloigné des préoccupations des Français, comme le rapport à avoir avec l’Union européenne, l’attitude à prendre dans le cadre de la seconde invasion russe de l’Ukraine, ou éventuellement le sort du nucléaire ou le statut de la laïcité. Mais ils cherchent tous un moyen de concilier des avancées sociales et la protection de l’environnement, ils sont tous des partis réformistes dans le cadre de l’économie de marché  – à l’exception d’un autre allié possible, le NPA, vraiment révolutionnaire pour le coup.

Bref, s’ils restent sur des choses matérielles et concrètes pour les électeurs qu’ils cherchent à mobiliser, ils peuvent faire campagne commune. En plus, le camp de la gauche en a vu d’autre et de pire : l’alliance entre le PS, le PCF et les Radicaux de gauche dans les années 1970, qui finit par mener à Mai 1991, ne fut pas vraiment un cheminement facile.

Ensuite, de deux choses l’une, soit le pari fou de Mélenchon réussit. Cette nouvelle « gauche plurielle 2.0 » l’emporte en juin 2022 à la surprise générale, y compris la mienne. Dans ce cas, comme les circonscriptions les moins gagnables a priori auront été attribués aux deux alliés les plus faibles, PS et EELV, un rééquilibrage de fait se produira dans la coalition parlementaire. Pour gouverner, il leur faudra s’entendre, et je doute que LFI obtienne alors tout ce qu’il prévoyait dans son programme présidentiel. On sera de toute façon obligé de moduler les promesses de chacun en fonction du choc que serait une telle arrivée aux affaires – et personne ne sait par ailleurs où en sera dans deux mois la situation internationale. Poutine aura peut-être franchi un autre Rubicon en attaquant un pays de l’OTAN ou un neutre membre de l’UE (Finlande, Suède), la France sera entrée en guerre au côté de ses alliés avec la Russie dans le cadre de la « défense collective ». Le pacifisme de Mélenchon n’aura plus lieu d’être.

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Soit, plus probablement, le pari de Mélenchon échoue, mais le fait de se coaliser permet à chacun d’avoir des députés en nombre plus ou moins respectable. Dans ce cas-là, même si les Insoumis ont le plus d’élus, chaque parti pourra sans doute former son propre groupe parlementaire, et il pourra donc mener le type d’opposition qu’il souhaite. Les dirigeants qui auront fait ce choix d’une alliance de raison seront de plus confortés. « Paris valait bien une messe », dira-t-on. Je pense en particulier à Olivier Faure, qui visiblement semble enfin décidé à solder le « hollandisme » en repositionnant son parti plus à gauche, comme l’ont fait la plupart des partis socialistes ces dernières années.  Il faut aussi ajouter que le financement d’un parti en France dépend fortement du nombre de voix que ses candidats font au premier tour des élections législatives. Si le pari fou de Mélenchon de renverser le résultat de la présidentielle et le fait de se mettre en coalition peut attirer les électeurs de ces partis aux urnes, c’est en plus un bénéfice financier pour les cinq années de législature pour tous les partis participant à l’aventure. Plus prosaïquement encore, une telle alliance pluripartite permettrait de réduire les frais de candidature de chacun. Pour donner un exemple, un candidat PS se présente au nom de l’Union populaire élargie dans une circonscription très à droite, donc a priori ingagnable, tous les rares votes venus de toute la gauche locale qu’il aura eu au premier tour seront décomptés pour le PS et lui apporteront un financement pour cinq ans. C’est plus efficace que de présenter partout des candidats qui n’auront qu’entre 1 et 2% des voix.

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Cet accord, pour préserver quelques circonscriptions en 2022, n'est-il qu’une illusion de sursis ? Les partis de gauche républicains ne vont-ils pas nécessairement suffoquer face à l’ascendant du parti de Jean Luc Mélenchon ?

Non, tout dépend ensuite de ce que chacun de ces partis fait ensuite de sa présence parlementaire. De fait, l’ascendant du parti de Jean-Luc Mélenchon tient en particulier au fait que ce dernier a su utiliser le fait d’avoir une présence parlementaire depuis 2017 et d’en user sans restriction aucune. Les 17 élus Insoumis ont réussi à faire beaucoup plus de bruit que les députés socialistes ou communistes. Après tout, si parmi les députés du PS, d’EELV ou du PCF de 2022, il y a des gens dynamiques, cela peut faire la différence pour la suite. Si, par exemple, Sandrine Rousseau se trouve élue dans le quota dévolu à EELV, elle pourra sans doute devenir une pasionaria parlementaire. Cela sera d’autant plus probable qu’à l’opposé, il y aura sans doute un groupe parlementaire Rassemblement national, qui se fera un immense plaisir de la détester.

Ils ont aussi bien sûr des implantations locales bien plus solides que LFI. Ce dernier est resté très faiblement implanté suite aux dernières élections municipales, régionales et départementales de 2020-2021.  Il faut ajouter que le PS, EELV et le PCF sont solidement inscrits dans leurs partis au niveau européen respectifs (Parti socialiste européen, Parti vert européen, Parti de la Gauche européenne) et possèdent des liens avec les groupes partisans du Parlement européen correspondants. Rester ou devenir des partis parlementaires dans leur propre pays constitue un élément important pour peser dans ce jeu-là.

Par ailleurs, une fois élu, même en alliance avec LFI, rien n’empêchera les élus que vous appelez de gauche républicaine, sans doute pour souligner leur moindre prise en compte des questions de discrimination en fonction de l’origine réelle ou supposée des personnes, de définir leur propre ligne de conduite.  Cependant, il ne faut pas se leurrer : ce qui reste pour l’instant de l’électorat de gauche, celui qui n’est pas parti chez LREM en 2017 et y est resté en 2022, est devenu beaucoup plus ouvert sur les questions d’intégration, en particulier la part la plus jeune de ce dernier, que le reste de l’électorat. Une des raisons du succès de Mélenchon comme candidat de la gauche,  à la fois dans les banlieues et dans certains territoires d’outre-mer, correspond à son discours sur la « créolisation ». En clair, à une conception de la place des musulmans, des ultra-marins, des immigrés, dans l’avenir de la société française exactement inverse à celle qu’a promue de son côté Eric Zemmour. Bien qu’étant par sa personnalité même l’incarnation du politicien français à l’ancienne, avec sa rhétorique parfois datée, Mélenchon a su convaincre qu’il ne méprisait point certaines populations issues de l’immigration ou certaines de celles liées aux restes de notre Empire colonial. Les autres partis de gauche peuvent très bien aller retrouver d’autres publics ayant voté à gauche, mais j’ai bien peur qu’ils soient pour une bonne part acquis à LREM.                                                                                                      

La gauche républicaine centriste de gouvernement pourrait-elle arriver à sortir de l’ombre de LFI ? Y a-t-il une possibilité où elle renaisse sans alliance avec Macron ou Mélenchon ?

De manière immédiate, je vois très mal comment cette gauche pourrait continuer à exister sans passer par l’une ou l’autre alliance. Avec un score de 1,75%, le plus raisonnable c’est d’aller rallier un allié plus puissant.

Il est certes possible que, n’écoutant que leurs égos blessés, les socialistes les plus à droite essayent dès ces élections législatives de se présenter en scission d’un PS contrôlé par les partisans d’Olivier Faure, qu’ils se feront une joie de qualifier de « crypto-indigénistes », de « crypto-chavistes », d’ « idiots utiles » de Mélenchon ou de Poutine. Cela peut concerner bien sûr François Hollande dont on dit qu’il voudrait redevenir député. Cela peut concerner le groupe autour de Carole Delga, ou un un Manuel Valls sans doute prêt à revenir à quelque poste électif en France. On verra les résultats en termes de voix et d’élus. Je doute que cette aventure aille bien loin. Au mieux, ils auront des députés parce qu’Emmanuel Macron aura décidé de ne pas présenter de candidats de la majorité présidentielle contre eux. C’est une situation qu’on avait déjà observé en 2017.  Cela serait alors une sorte de sas permettant de rallier le reste de la droite du PS à la « macronie ». Mais est-ce qu’Emmanuel Macron a vraiment envie de s’encombrer de ces gens qu’il a trahis dans un premier temps ? Veut-il favoriser la création à la gauche de sa propre majorité d’un « PS canal Historique » ?

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