Mélenchon / Zemmour : qui est vraiment un ethniciste ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de BFMTV lors d'un débat organisé en septembre 2021.
Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de BFMTV lors d'un débat organisé en septembre 2021.
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

Débat d'idées

Jean-Luc Mélenchon défend le principe de la créolisation qui serait le contraire d’un "ethnicisme assez étroit", défendu par Eric Zemmour, selon le leader de La France Insoumise.

Renaud-Philippe Garner

Renaud-Philippe Garner est philosophe de formation. Il vient d’être nommé professeur adjoint en philosophie politique à l’Université de la Colombie-Britannique (Okanagan). Vous trouverez son entrée sur le nationalisme dans l’Oxford Research Encyclopedia of Politics. 

Voir la bio »

Récemment, Jean-Luc Mélenchon affirma que la créolisation est l’avenir de l’humanité. Cette créolisation serait le contraire d’un «ethnicisme assez étroit » qu’il attribue à Éric Zemmour. Interrogeons cette notion « d’ethnicisme ». Qu’est-ce que cela veut dire? Éric Zemmour en serait-il le chantre? Afin de répondre à la première question, il est utile de faire un peu de théorie alors que pour répondre à la seconde il serait utile de se pencher sur le discours de Villepinte.

Commençons par le début. Selon, le dictionnaire Trésors de la langue française, une ethnie une population unie par un héritage socioculturel. Qu’est-ce qu’un héritage socioculturel? Excellente question. Nous pouvons passer du dictionnaire à la recherche fondamentale. Anthony S. Smith, grand spécialiste du nationalisme, conçut l’ethnie comme une forme de communauté possédant six propriétés. Une ethnie serait une communauté qui porte un nom, se définit elle-même, dont les membres possèdent un mythe ancestral partagé, des souvenirs communs, un ou plusieurs éléments de culture commune, y compris un attachement vis-à-vis d'un territoire considéré comme le pays natal et, finalement, qui a un certain sens de l’obligation mutuelle ou de la solidarité.     

D’autres résument, en ciblant le mythe ancestral partagé – l’ethnie est le sentiment partagé d’avoir des ancêtres communs. Selon, Walker Connor, le cœur de l’ethnie est la perception et la présomption de liens de parenté : est une ethnie une communauté revendiquant une ascendance commune.

À Lire Aussi

Ce risque aigu que prend Éric Zemmour à ne pas se démarquer de certains de ses soutiens

Certains lecteurs avisés penseront tout de suite à la distinction entre une conception ethnique et une conception civique de la nation. La première étant une communauté de sang et l’autre une communauté contractuelle. Dans la première, c’est la naissance qui détermine l’identité, dans la seconde c’est l’adhésion au contrat social. Or, cette distinction tant répétée se révèle une idéalisation très loin des nations réelles. En effet, toute communauté nationale comporte des éléments ethniques et civiques.

Prenons le cas de la France. Ceux qui se réclament d’une conception civique peineront à expliquer en quoi Clovis et Clemenceau partagèrent un contrat social quelconque. Si la France se résume à la république, si être français c’est accepter un contrat social, comment catégoriser Jeanne d’Arc qui libère la France, François Ier qui fait du français la langue administrative de son royaume ou le Cardinal de Richelieu qui fonde l’Académie française? Or, si l’on accepte que la France soit une nation normale avec des éléments ethniques et des éléments civiques, l’on peut réunir dans l’histoire nationale l’héroïsme du siège d’Orléans ainsi que celui de Valmy.

Si l’ethnie est une forme de communauté liée par la présomption d’une ascendance commune et si elle est une des dimensions essentielles de toute nation, qu’est-ce que l’ethnicisme? Le premier indice est le suffixe ‘isme’ qui indique une doctrine, une idéologie ou simplement une façon de penser le monde. Mais il ne faudrait pas associer ‘l’ethnicisme’ à un courant de pensée normal ou défendable, comme le féminisme, le libéralisme ou le socialisme. Il faudrait plutôt le voir comme une doctrine foncièrement pernicieuse à l’image du bellicisme ou du colonialisme.

À Lire Aussi

Quatre voies pour comparer les programmes présidentiels

À écouter le discours de Jean-Luc Mélenchon, cet ethnicisme semblerait se résumer par le fait de nier « une humanité universelle ». Comme de Maistre, Zemmour ne verrait jamais des êtres humains qui partagent une conditio humana, mais des êtres qui se résument à leur tribu. Ici des Français, là des Algériens, plus loin des Coréens, mais nulle part rencontrerait-on des êtres humains. L’ethnicisme serait donc, semble-t-il, la doctrine ou la thèse que l’identité ethnique ou la conception ethnique de la nation primerait. L’identité humaine s’effacerait ou devrait s’incliner devant l’identité ethnique ou la conception ethnique de la nation.

Avant même de nous poser la question de savoir si le discours d’Éric Zemmour est ethniciste, nous pouvons nous demander qui se réclame de l'identité aujourd'hui. Si l’on est ethniciste parce que l’on accorde une priorité à l’identification ethnique, en quoi Houria Bouteldja ou Pascal Blanchard ne sont-ils pas des ethnicistes? Après tout, ceux qui refusent l’assimilation à l’ancienne pointent sa violence. Or, contre quoi fait-on violence en exigeant l’assimilation? Que brime-t-on en demandant de faire comme Charles Aznavour? La réponse est simplement l’identité ethnique. Et c’était bien l’avis du chanteur de la Bohème qui avouait avoir perdu une bonne part de son « arménité » pour devenir un Français.

Voyons la question autrement. Que cherche-t-on à préserver ou à défendre en rejetant l’assimilation comme étant trop exigeante, trop violente? La réponse est encore une fois évidente lorsqu’on se penche sur la proposition d’Éric Zemmour de rétablir l’obligation de choisir un ‘prénom français’ pour son enfant. Ceux qui objectent ne crient pas au scandale en citant le prix ou en expliquant que la tâche est trop technique. Plutôt ils émettent un appel du cœur : comment peut-on interdire d’accorder un nom qui honore un parent, un ancêtre, ses « racines ». L’argument peut séduire, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’une valorisation de l’identité ethnique! On souligne, on affiche, on honore, un ancêtre, une culture partagée par une population nommée. On ne défend pas les prénoms dits étrangers en appelant purement à la liberté de choix ou la lubie des parents, mais en valorisant les liens de parenté et l’amour naturel d’un héritage socioculturel. L’assimilation serait trop exigeante, car elle demande une annihilation, un reniement ethnique.

Néanmoins, Éric Zemmour se fait le chantre d’une assimilation tonitruante et sans concession. Bien qu’il valorise la dimension ethnique de l’identité française, il n’affirme jamais que l’on ne puisse pas faire sien ce mythe ancestral partagé. Lors de son discours de Villepinte, Éric Zemmour se moque de l’idée que n’est Français que celui qui descend directement de Clovis. Il s’identifie alors comme « petit juif berbère venu de l’autre côté de la Méditerranée ». Pour le dire autrement, Éric Zemmour ne rejette pas la part ethnique de l’identité nationale, loin de là. Il demande aux immigrants de remplacer la part ethnique de leur identité par le mythe ancestral français. D’où sa volonté de répéter qu’il faut faire sien un arbre généalogique social qui n’est pas l’arbre généalogique familial.

Nous sommes face à un curieux dilemme. En quoi l’ethnicisme, dénoncé par Méléchon, serait-il étroit? Si Éric Zemmour exige l’assimilation, c’est qu’il revendique le fait de partager et de transmettre un mythe ancestral. En un mot, on ne doit pas naître français. Mais si l’assimilation est jugée trop exigeante parce qu’elle exige une mutilation identitaire, alors on s’oppose à l’adoption d’une identité ethnique au nom d’une autre! Qui donc est un ethniciste?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !