"Pour sauvegarder son honneur, Jacques Chirac ne devrait pas faire appel"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis.
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis.
©Reuters

Putain, deux ans !

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Le volet jugé à Paris concerne 21 emplois rémunérés par la mairie de Paris de 1990 à 1995, alors que Jacques Chirac était maire de Paris. Une condamnation qui n'étonne pas Philippe Bilger selon lequel la peine salue le "retour de Jacques Chirac dans la belle justice ordinaire".

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Jacques Chirac à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. L'ancien président a été reconnu coupable de "prise illégale d'intérêts", d'"abus de confiance" et de "détournement de fonds publics". Ce verdict vous surprend-il ?

Philippe Bilger : J’avais eu le plaisir d’écrire quelque chose à l’époque sur son procès. Je ne veux pas me donner une lucidité rétrospective. Mais j’étais persuadé qu’il y aurait une condamnation. Deux ans avec sursis : c’est à la fois une condamnation symbolique puisqu’il y a du sursis. En même temps de l’extérieur (je n’ai pas encore pu lire précisément la décision), j’analyse cette condamnation comme la volonté de réintroduire Jacques Chirac clairement dans la belle justice ordinaire. Parce qu’on aurait pu imaginer une dispense de peine…

La dispense de peine aurait été peut-être une mesure qui aurait montré de manière trop exagérée le fait qu’il y avait un prévenu exceptionnel. Les deux ans avec sursis sont le mélange des deux.  Je sentais venir la condamnation car j’avais la conviction que « trop c’est trop ». C’est la revanche de la belle justice ordinaire contre toutes les magouilles de la justice exceptionnelle et c’est le retour et la restauration de la dignité et de la reconnaissance dues à certains juges d’instruction.

On doit saluer, en particulier, le travail formidable accompli par la juge d'instruction Xavière Simeoni. C'est aussi la condamnation absolue du caractère grotesque d’un parquet qui prend des réquisitions écrites, qui s’y tient et ne tient aucun compte des audiences. Autrement dit, cela me parait fondamental : il y avait une configuration tellement particulière sur beaucoup de plans, qu’on pouvait presque pressentir que par dignité, par sursaut et par compétence, un tribunal correctionnel allait prendre une décision peut-être pas de ce type du point de vue du quantum ; mais certainement sur le plan de la condamnation.

Tout cela ne veut pas dire que Jacques Chirac n’est pas un homme formidable, chaleureux, sympathique. Ca ne veut dire non plus qu’il n’a pas été bien défendu. Nous avons dans le lot Jean Veil, qui est un très bon avocat. Mais il y a tout cela dans cette condamnation. 

On a pu s’étonner du décalage entre la clémence du réquisitoire et la relative sévérité de la décision ?

Non, parce que le réquisitoire lui-même est le point culminant d’une configuration très choquante. Dans Atlantico, je l’avais dit : tout cela n’aura de sens que si on considère que l’audience a du sens et de l’utilité et qu'elle peut apporter des lumières qui viendront  s’ajouter à celles des réquisitions écrites. Il n’était pas scandaleux pour un parquet –même si  c’est très rare- de requérir  un non-lieu. Mais ce qui devient scandaleux c’est que le parquet n’ait tenu aucun compte de l’audience, ait été quasiment absent et ait développé de manière totalement inepte les réquisitions finales. Presque inéluctablement c’était une question de compétences, de dignité et d’identité de la justice ordinaire. On avait au bout, cette condamnation de Jacques Chirac.

En fait, j’ai souvent entendu l’argument disant : pour l’honneur de Jacques Chirac, c’est important qu’il ne soit pas condamné et qu’on ne salisse pas son avenir. Mais l’honneur de Jacques Chirac serait beaucoup plus sauvegardé s’il admettait la réalité de cette peine, même en la déplorant, mais en ne faisant pas appel.

La dernière fois qu’un chef d’Etat a été condamné à de la prison… C’était le maréchal Pétain. La comparaison est un peu raide sans doute ?

Franchement, la comparaison serait très indécente à l’égard de Jacques Chirac. Mais il faut bien comprendre qu’on ne peut pas à la fois avoir fait voter un statut du chef de l’Etat qui me parait tout à fait pertinent et opératoire : c’est-à-dire qu’on lui fiche la paix durant l’exercice de son pouvoir  présidentiel, qu'on suspend la prescription et que la justice vient après. Et, en même temps, s’étonner de devoir le mettre en œuvre.

On n’aura pas forcément des chefs de l’Etat que je désignerais  vulgairement de « perdreaux de l’année » ! Cela me parait une évidence ! Donc il faut accepter que dans ces conditions, le statut, s’il est mis en œuvre après la fin du mandat présidentiel, concernera des personnes d’âge mûr – voire plus…

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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