Faut-il avoir peur des fondamentalistes musulmans en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nombre de mosquées évoluent également. On dénombre environ 2200 mosquées et lieux de prières musulmans.
Le nombre de mosquées évoluent également. On dénombre environ 2200 mosquées et lieux de prières musulmans.
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Deuxième religion de France

Offensive de Claude Guéant contre l'islamisme radical. Le ministre de l'Intérieur a notifié un avis de dissolution à une association décrite comme islamiste "Forsane Alizza". Par ailleurs, l'imam Mohammed Hammami devrait bientôt être expulsé en raison de ses prêches antisémites à la mosquée tabligh Omar à Paris. Mais qui sont donc ces fondamentalistes ?

Omero  Marongiu Perri

Omero Marongiu Perri

Omero Marongiu Perria est sociologue de l’ethnicité et des religions (Maghreb, islam). Spécialiste en politiques publiques et management de la diversité, il est directeur exécutif du Centre d’Action pour la Diversité (Lille). Il est également responsable du Module de sociologie des musulmans en Europe au Master d’études arabes et islamiques de l’Universitat Oberta de Catalunya (Barcelone, Espagne). 

 

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Atlantico : Où en est l'Islam de France en 2012 ? Comment a-t-il évolué ces dernières années ?

Omero Marongiu Perria : Les recensements sur la base religieuse sont interdits en France. Mais on dispose d'un certain nombre d'estimations. La plus fiable serait qu'il y a aujourd'hui en France entre 5 et 6 millions de personnes d'« ascendance musulmane ». Cependant, toutes les monographies de terrain (sondages, études cibles) réalisées sur différents lieux en France indiquent qu'environ 20 % de ces personnes ne se considèrent plus comme musulmanes. Soit qu'elles aient quitté toute forme de conviction religieuse. Soit qu'elles aient adhéré à une autre forme de religiosité. 

L'islam connait une dynamique en terme de pratique religieuse un peu sur le même mouvement que celui que traversent le protestantisme évangélique ou le judaïsme. On note cependant dans les sondages que nous menons qu'environ 20% des personnes qui s'affirment pratiquantes le sont « à leur manière ». Car la majorité des musulmans sont sécularisés dans leur comportement religieux. C'est-à-dire qu'ils se définissent plus ou moins pratiquants mais sans forcément respecter les différentes normes religieuses musulmanes.

Le nombre de mosquées évoluent également. On dénombre environ 2200 mosquées et lieux de prières musulmans. On note des dizaines de projets d’agrandissement de mosquées et de relocalisation de mosquées. De ce point de vue là, l'islam souffre beaucoup moins de refus de relocalisation de lieux de cultes de la part des municipalités que dans les années 1990. Cependant, les lieux de culte musulmans se trouvent encore trop souvent dans des zones industrielles. C'est-à-dire qu'il y a toujours cette idée d'islam « collé » à l'immigration en provenance des pays du Maghreb et d'Afrique et semble-t-il, on relègue les mosquées pour qu'elles soient moins visibles. C'est un aspect moins positif car avoir des lieux moins visibles indique soit une volonté politique de les écarter soit qu'il y a moins de capacité financières chez les fidèles pour construire des mosquées plus proches des habitations ou carrément au centre des villes.

Justement, le financement des mosquées passerait, dit-on, par des pays étrangers tels que le Maroc, l'Algérie ou l'Arabie saoudite. Qu'en est-il ?

Au plan des financements des mosquées, l'idée selon laquelle les mosquées seraient financées par des pays étrangers – notamment l'Arabie saoudite ou de pays du Golfe, relève -dans la majorité des cas- du fantasme. Primo car il existe des mosquées financées par des États en France telles que la Grande mosquée de Lyon ou celle d’Évry, etc. Secundo : quand vous analysez les projets de mosquées sur le terrain, leur gestation oscille entre huit et dix ans. De longs délais qui semblent indiquer que les gens n'ont pas toute la capacité financière au départ pour construire...

Quid des imans, on a pu entendre qu'ils pouvaient subir une influence étrangères étant, parfois étrangers. Maintenant que des écoles de formation existent en France, qu'en est-il ?

Il y a quelques similitudes entre l'islam et le protestantisme évangélique dans la dimension ethnique du vécu religieux. Chez les musulmans, à l'échelle locale, les mosquées sont très connotées par l'origine de leurs fidèles et celle de leurs responsables. C’est pour cela qu'on a l'habitude de parler de "mosquées tunisiennes" ou "marocaines"... On n'aurait jamais à l’esprit de parler dans ces termes d'autres églises, de synagogues ou de temples protestants. Cette difficulté dans la manière d'aborder la question de l'islam en France est largement entretenue par les différents gouvernements français depuis les années 1960 et surtout à partir de la fin des années 1970 quand ceux-ci ont continué – et ils le font toujours- à négocier des choses relatives à l'islam en France avec les pays d'origine des musulmans dont ils sont ressortissants. Ce point complique un peu la donne...

De ce fait, les imams correspondent à la sociologie des fidèles qui se présentent dans les mosquées. La quasi totalité des imams ne sont pas nés ni ont vécu en France et bien souvent ils ne sont pas même des enfants d'immigrés. Dans la majorité des cas, ils ont une pratique du français très très faible.

Il n'y a aucune obligation à diriger ou à prêcher dans une mosquée en langue française. Mais, il existe un décalage entre les responsables et les dirigeants de mosquées et la majorité des cadres religieux et les nouvelles générations de musulmans qui sont nés et qui ont toujours vécu en France. Il y a un décalage dans la perception de ce qu'est l'islam, dans le vocabulaire et les cadres mentaux. Ce qui peut engendre un certain nombre d'incompréhensions...

Quelle part représentent les fondamentalistes dans l'islam de France ?

Le radicalisme religieux musulman s'apparente à une sorte d'intégrisme religieux tel qu'on a pu le voir dans d'autres religions. Chaque religion, en tant que système de sens, produit sa part de radicalité. Chez les musulmans, il s'exprime avant tout par un discours de rupture vis-à-vis de la société qui se traduit par un ensemble d'attitudes au quotidien qui marquent cette volonté de se distancier ou d'être carrément en rupture avec la société.

Cela concerne quelques milliers individus sur une population très nombreuse à l'heure actuelle en France. C'est donc un phénomène périphérique mais qui se développe ces dernières années et qui est présent dans de nombreux lieux de culte à travers quelques personnes qui souvent ont des profils similaires : des fidèles qui vivent leur islam dans la continuité d'une rupture précédente. Beaucoup d'entre eux étaient déjà déscolarisés. D'autres étaient déjà en rupture vis-à-vis de la société. Ainsi, la pratique religieuse vient renforcer cette idée de rupture en lui donnant un sens nouveau.

Leur nombre peut-il être un sujet d'inquiétude dans un pays laïc tel que la France ?

Le mouvement radical n'est pas dangereux dans le sens où, dans la plupart des cas, ces gens sont légalistes : ils ne cherchent pas à avoir une visée subversive de la société. Mais ce mouvement se propage avec une dimension pathologique avérée. On leur reconnaît une capacité de nuisance. Il suffit qu'il y ait trois ou quatre individus dans une mosquées pour qu'ils provoquent un conflit. Ils vont remettre en cause la légitimité de l'imam, son discours ou la façon de prier des autres. Ils vont avoir aussi tendance à imposer un système de valeurs : c'est cela qui pose problème plus que d'avoir des visées subversives vis-à-vis de la société.

Ceux qui sont vraiment dangereux sont dans deux catégories de population qui sont extrêmement minoritaires. La première regroupe des jeunes qui sont vraiment dans des parcours de rupture qui les ont coupés de la société. Ceux-là peuvent basculer très facilement dans un radicalisme subversif. Voire vers le terrorisme. La deuxième catégorie qui est également extrêmement minoritaire rassemble des personnes qui ont un niveau intellectuel plus élevé et qui, en quelque sorte, théorisent la rupture dans une vision idéologique. On en a eu des exemples avec les différents attentats perpétrés en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Espagne, perpétrés par des personnes qui avaient souvent un bagage universitaire et qui n'ont pas hésité à passer à l'acte.

Globalement ils représentent une minorité extrêmement faible. La Direction Centrale du Renseignement intérieur (DCRI) estime à peut-être deux cents le nombre de musulmans capables de basculer dans le terrorisme en France. C'est très peu. Mais à l'échelle du contre-terrorisme, c'est beaucoup...

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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