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Islam : l'impossible débat
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Convention sur la laïcité

La convention sur la laïcité organisée par l'UMP se tiendra ce mardi 5 avril. Initialement pensée comme un débat sur l'islam, cette initiative a suscité de nombreuses critiques. Mais quels sont au juste les enjeux d'un tel débat ?

André Grjebine

André Grjebine

André Grjebine est économiste et essayiste, ancien directeur de recherche à SciencesPo Paris.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et philosophiques. Il collabore à plusieurs journaux français, dont Le Monde. Ses travaux actuels portent sur les facteurs de vulnérabilité des démocraties libérales, en France et dans les pays scandinaves.

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Le débat sur la place de l’islam en France a d’autant plus de mal à s’instaurer que cette place est indéfinissable et que l'on mélange trop souvent les problématiques soulevées. Seule une claire différenciation des problèmes peut pourtant permettre de les traiter. 

On peut ainsi distinguer la juxtaposition de trois perspectives : l'une portant sur la difficulté pour le politique de parler d'une religion, une deuxième portant sur certains comportements générés au nom de l'islam et la troisième sur les choix politiques d'accueil de cette religion et de cette culture dans l'espace public français. Même si ces trois niveaux de réflexions sont étroitement complémentaires, ils mettent en jeu des problèmes fondamentalement différents. Etat des lieux

Religion : le Coran déterminant peu ou prou des comportements, il est normal que ce débat qui pourrait ne relever que d'universitaires intéresse aussi les politiques

Le premier niveau est celui de la religion. L’islam à proprement parler n’est pas du domaine de la décision politique, ni de la négociation. Le débat à son sujet ressort clairement, non de l’État, mais d’institutions de recherche. Sa place est davantage au Collège de France que dans des débats orchestrés par les pouvoirs publics. Cela d’autant plus que les arrière-pensées politiques, sinon polémiques, des uns et des autres ne pourraient que polluer un débat public.

Un dialogue politique, a fortiori une négociation, ne peuvent avoir lieu qu’entre individus ou groupes qui se situent sur le même terrain, partagent le même langage. Ce langage commun n’existe guère entre des sociétés ouvertes, qui n’imposent aucun dogme au nom d’une autorité supérieure transcendante et assument elles-mêmes leurs institutions, leurs lois, leurs valeurs et un système fermé définit par référence à une révélation. Les négociations entre l’Etat et les Eglises, au début du XXe siècle, ne portaient pas sur des questions théologiques, mais principalement sur des sujets précis tels que le financement de l’entretien des édifices du culte. En revanche, dans la mesure où le Coran détermine peu ou prou des comportements, il est évidemment souhaitable que les pouvoirs publics aient une bonne perception des problèmes qu’il pose plutôt que de s’en tenir à des affirmations qui ne servent qu’à justifier une politique de l’autruche : toutes les religions ont leurs fondamentalistes, toutes peuvent secréter de la violence, etc.

Comportements religieux : on a accepté certaines dérives par souci d'éviter les conflits

Le second niveau est celui des comportements. Les violations de la loi ressortent de la police et de la justice, sans qu’il soit forcément opportun d’en rechercher d’éventuelles motivations religieuses. Après tout, quelqu’un qui brûle un feu rouge est passible d’une contravention, sans qu’on s’interroge sur ses motivations, ni qu’on songe à négocier avec on ne sait quelle association des brûleurs de feu rouge. Pourquoi ne pas en faire autant avec ceux qui contreviennent également aux lois en organisant par exemple des prières dans la rue ?

Encore faudrait-il que les dépositaires de l’autorité publique, qu’ils soient élus locaux ou directeurs d’école ou d’hôpital, se convainquent que chaque fois que, sous prétexte d’éviter des conflits, ils satisfont des revendications d’inspiration religieuse contraires à la loi ou aux valeurs de la société, ils participent à la régression de la société ouverte. En même temps, ils trahissent les personnes de culture musulmane, qui sont venues en France, eux ou leurs familles, pour échapper au totalitarisme religieux de leur société d’origine.

Le respect inconditionnel des identités spécifiques a des effets pervers 

Le  troisième niveau est celui des communautarismes.[i] Contrairement à une opinion répandue qui assimile le métissage au communautarisme, il s’agit de deux phénomènes opposés. Dans un cas, on stimule le mélange de populations d’origines différentes. Dans le cas du multiculturalisme, au contraire, l’objectif est de transplanter la culture d’origine dans le pays d’accueil, en ignorant les valeurs qui prévalent dans ce dernier.

En prônant le respect inconditionnel des identités culturelles et en reconnaissant des droits spécifiques aux communautés, on met l’accent sur ce qui différencie les individus. On les sépare ainsi en fonction de leurs origines ethniques ou religieuses. Au nom de la diversité dont il se réclame, mais qu’il nie en même temps de facto, le multicommunautarisme organise la juxtaposition de sociétés fermées. De plus, si l’individu peut déjà ressentir comme une contrainte le fait d’être défini par une caractéristique particulière, cela est bien plus vrai encore pour celui qui n’est perçu que comme membre d’une communauté dont il ne partage pas forcément les valeurs et les comportements.

L'absence de modèle de référence historique adéquat oblige à inventer une nouvelle forme de coexistence entre Islam et Europe

Enfin, jusqu’à présent, dans l’histoire des relations entre Occidentaux et Musulmans, il n’y a jamais eu coexistence de deux souverainetés. Toute coexistence a consacré la primauté de l’un sur l’autre, que ce soit le statut d’infériorité de dhimmi imparti aux Juifs et aux Chrétiens en terre arabe ou celui de colonisés réservés aux Arabes pendant la période coloniale.

L’enfermement dans une communauté implique de facto un positionnement hiérarchique dans la société. On n’est pas égaux si on ne se mélange pas et on ne se mélange pas si chacun campe sur ses positions, que celles-ci soient fondées sur une appartenance ethnique ou (et) religieuse.

La coexistence pacifique au sein des pays européens ne pourra s’établir que si les uns et les autres privilégient le réel plutôt que le symbolique. Les uns en reconnaissant qu’ils devront vivre avec les immigrés et leurs descendants. Les autres en se convaincant que leur intégration dans les sociétés européennes ne pourra se faire que s’ils procèdent à la mise à distance de leur texte fondateur, ce que Juifs et Chrétiens ont accompli au fil des siècles. Encore faut-il que les sociétés européennes leur facilitent cette distanciation difficile en clarifiant eux-mêmes les règles du jeu démocratique, qui commencent par l’acceptation de la légitimité de l’Autre et donc la réciprocité en matière de liberté d’expression et de critique.


[i] Cf. A.Grjebine, « la régression multiculturaliste » Controverses n°16, mars 2011.

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