Islam : de la nécessité pour nous, musulmans, de faire le ménage<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Islam doit-il être réformé ?
L'Islam doit-il être réformé ?
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Tribune

De nombreux musulmans s'indignent des exactions commises au nom de leur religion. Mais au-delà de la condamnation de ces actes, il est temps pour eux de réformer l'islam, c'est à dire d'engager une réinterprétation des textes sacrés pour refaire émerger un islam éclairé. Tribune du Dr. Adnan Ibrahim, de Felix Marquardt et de Mohamed Bajrafil.

Mohamed Bajrafil

Mohamed Bajrafil

Mohamed Bajrafil est docteur en linguistique et imam à la mosquée d'Ivry sur Seine.

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Adnan Ibrahim

Adnan Ibrahim

Le Dr Adnan Ibrahim est professeur de philosophie à l’Université de Vienne et imam à la Mosquée Al-Shurah.

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Félix Marquardt

Félix Marquardt

Il a fondé en 2007 Marquardt & Marquardt : une entreprise de consulting spécialisée dans la stratégie de communication internationale et la médiation. Il organise également depuis 2009 "les Dîners de l'Atlantique" réunissant des personnalités de la culture, de l'économie, ou encore de la politique internationale.

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En tant que musulmans, notre réaction initiale, naturelle, aux atrocités commises au nom de notre religion est l’incrédulité, l’indignation et un réflexe de distanciation vis-à-vis de leurs auteurs. « Ces actes barbares, ce "Jihadi John" » —sinistre surnom du désormais célèbre bourreau des otages de Daesh, récemment identifié comme étant le londonien Mohammed Emwazi—, « n’ont rien à voir avec l’islam ! » nous exclamons-nous comme d'une seule voix. Si elle est compréhensible, cette réponse est discutable sur un plan intellectuel et en réalité irresponsable. Accepterions-nous le postulat selon lequel les croisades n’auraient « rien à voir » avec le christianisme ?La triste vérité est que nombre d’entre nous semblent plus indignés par des caricatures publiées dans un journal que par l'insupportable caricature de notre religion des groupes armés comme Daesh et Boko Haram. Et si les problèmes sociaux et économiques, les violences policières (dont semble avoir été victime M. Emwazi), peuvent jouer un rôle dans la radicalisation de nos jeunes, ils sont bien loin de l’expliquer entièrement. 

Fort heureusement, un nombre croissant de musulmans sont conscients du problème et appellent à une réforme de l'Islam. Mais qu’entend-on exactement par ce terme ? Une rénovation de la pensée islamique, un nouvel élan de réinterprétation (ijtihâd) des textes sacrés sont bien sûr devenus condition sine qua none de la survie d'un islam éclairé. Tant qu'ils ne seront pas intervenus, les musulmans resteront prisonniers de l'obsolescence d'une lecture littérale de nos sources scripturaires.

La liberté, l’égalité des droits pour l’ensemble des citoyens, l’Etat de droit, le suffrage universel, la responsabilité des élus et la séparation des pouvoirs (religieux et politique), sont des principes auxquels une majorité de musulmans adhérent au vingt-et-unième siècle. Gardant ces principes en tête, rappelons nous des mots de l'illustre théologien pakistanais Muhammad Khalid Masud : « Les juristes musulmans furent toujours très conscients de la nécessité de réconcilier les contradictions entre les normes sociales et légales. Ils ajustaient continuellement les lois de façon à les aligner avec les pratiques et normes des populations. La base normative des institutions et des concepts comme la famille, la pauvreté, les droits, la responsabilité, la criminalité, l’obéissance civile, l’ordre social, la religiosité, les relations internationales, la guerre, la paix et la citoyenneté se sont considérablement transformés ces deux derniers siècles.» Au travail, donc. 

Mais les seules interprétation et réinterprétation ne suffiront pas. 

Il faudra nous pencher longuement, honnêtement et rigoureusement sur nombre de textes qui à ce jour font partie intégrante du cursus dispensé au sein de nos institutions académiques les plus réputées.

La notion selon laquelle la barbarie de certains de nos coreligionnaires n’a « rien à voir avec l’islam » doit en effet être contrastée avec la révérence dont font preuve nombre de nos érudits envers certains textes d'une violence rare. Des ouvrages comme celui de Ibn Taymiyya, intitulé Es sarim el maslul ala chatim el rasul, celui de Taqi al-Din al-Subki, intitulé Es seyf el maslul ala men sabba al rasul, qui peuvent tous deux être traduits approximativement comme « L’épée dégainée contre celui qui médit sur le Prophète », décrivent de manière terriblement explicites comment punir un propos jugé blasphématoire ou l’apostasie. Un texte aussi consensuel au sein de l'islam que le Min Haj el Talibin du célèbre juriste consul sharaf el dine el Nawawi dictent que l'adultère est passible de lapidation. À l'aune de ces textes, pas étonnant que Daesh, Boko Haram et bien des états musulmans conservateurs considèrent que la lapidation, l'ablation de membres ou la décapitation sont des pratiques de l'islam non seulement tolérables mais recommandables.

Nombre de femmes et d'hommes furent persécutés, réduits en esclavage ou tout bonnement assassinés au nom du Christ au cours des siècles. Bartholomé de las Casas, dans sa Très brève relation sur la destruction des Indes, relate avec force détails les atrocités commises contre les populations indigènes par les colons Espagnols durant la colonisation des Antilles. Il poursuit en affirmant que les indigènes, étant des êtres humains à part entière —contrairement aux africains— ne peuvent par conséquent pas être tués ou réduits en esclavage... CQFD. Cependant, depuis cette époque, des réformes religieuses, politiques et sociales inspirées essentiellement des Lumières, ont permis aux Chrétiens de s’émanciper de ce genre de carcan idéologique et des pratiques qui en découlaient.

Au tournant du vingtième siècle, l’Essai sur l’inégalité des races humaines de « l’intellectuel » français Joseph de Gobineau était considéré comme un ouvrage « scientifique » par un grand nombre de conservateurs en Europe. Il a depuis fait son chemin jusque dans les rayons « histoire » ou « anthropologie » des bibliothèques. Il est temps qu’une part importante de nos ouvrages connaissent le même destin.

N’est-il par ailleurs pas temps pour nous Musulmans, qui aimons à juste titre concevoir notre Prophète comme un visionnaire avant-gardiste, de restaurer notre rôle historique incontestable de modernisateurs de normes sociales et culturelles ?

N'est-il pas temps que nous confrontions ceux parmi nos coreligionnaires qui encouragent nos jeunes à se penser avant tout en tant que victimes, en leur inculquant  que c’est "à cause" de la brutalité policière, du racisme, du gouvernement, de l'Amérique, des juifs, d’Israël, de la pauvreté ou même tout simplement « de la société » que Mohammed Ewazi s’est transformé en « Jihadi John » ?

La vérité est qu’au lieu de se concentrer sur les idéaux universels de miséricorde, de liberté et de justice de notre religion, nombre d’entre nous se sont laissés enfermer dans une attitude victimaire tout en devenant adeptes d'un complotisme intellectuellement navrant. Nous nous sommes laissés endormir par des conversations à n'en plus finir concernant les moyens d’atteindre ces idéaux. Notre décadence trouve sa racine précisément dans cette confusion qui existe chez nombre d’entre nous entre les finalités et les moyens de l’Islam ; confusion qui tient  elle-même à notre incapacité collective à maintenir la convergence initiale entre foi et éthique, la base même d’une conscience saine : la spiritualité. La religion sans morale n’a pas de sens. Dépourvue de sens, elle devient futile. 
N’est-il pas temps, plus généralement, que nous initions une discussion franche visant à déterminer où la religion prend fin et où la culture commence ? Evidemment, les deux s’entremêlent, mais si un musulman marocain n’est pas inférieur à un musulman saoudien ni supérieur à un musulman belge, il n’est pas absurde d’assumer que la religion est ce qu’ils ont en commun dans leur compréhension et leur pratique de l’Islam, tandis que la culture est constituée du reste (pratique vestimentaire, relation à leur roi respectif, etc.) ? De nos jours, l’essentiel du conservatisme associé à l’islam remonte en réalité à des pratiques bédouines pré-islamiques que notre Prophète, grand innovateur, a passé sa vie à combattre. Un grand nombre de clichés et de théories du complot populaires au sein de notre jeunesse découlent directement de la vision du monde anti-occidentale primitive véhiculée par la plupart des gouvernements arabes. De nos jours, trois musulmans sur quatre ne sont pas arabes; des vingt-deux Etats qui composent la Ligue Arabe, seuls deux d'entre eux peuvent prétendre être de véritables démocraties; et quatre fois plus de livres sont traduits en Grec (12 millions de locuteurs) qu'en arabe (350 millions de locuteurs). N'est-il pas temps de reconnaître que l’arabo-centrisme historique de notre religion n'est plus en ligne avec sa réalité démographique, qu'il pose problème et que les musulmans non arabes ne sont pas moins légitimes ni moins respectables que les musulmans arabes ? Il est temps de rappeler à l'ordre ceux parmi nous qui tentent de faire croire au monde que des « traditions » phallocratiques comme la tutelle des hommes sur les femmes, l’interdiction de conduire pour les femmes, ou l’imposition du niqab sont des prescriptions islamiques ontologiques: ce n'est tout bonnement pas le cas.

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