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L’Iran prêt à échanger son arme nucléaire contre une place dans la communauté internationale ?
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Nucléaire iranien

La réunion de Bagdad de ce jeudi sur le nucléaire iranien a débouché sur l’établissement d’un nouveau round de discussions. Les négociations stagnent et sont sans cesse repoussées… Sommes-nous dans une impasse diplomatique ?

Bernard Hourcade

Bernard Hourcade

Bernard Hourcade est Directeur de recherche au CNRS dans l'équipe de recherche "Monde iranien".

Il a dirigé l’Institut français de recherche en Iran de 1978 à 1993.

Il est notamment l'auteur de Géopolitique de l'Iran (Armand colin, 2010) et de L'Iran au 20éme siècle : entre nationalisme, islam et mondialisation (Fayard, 2007)

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Atlantico : La réunion de Bagdad de ce jeudi a débouché sur l’établissement d’un nouveau round de discussions. Cette situation mène-t-elle vers une impasse dans les négociations ?

Bernard Hourcade : Non, parce qu’on ne peut espérer, après 33 ans de boycott, d’embargo, de guerre froide avec l’Iran, qu’en trois discussions, la confiance revienne et que des conclusions définitives soient portées. Lors de la Guerre d’Algérie, les premiers accords d’Evian avaient échoué, il a fallu attendre 2 ans pour en conclure de nouveaux. Les rapports de force ont aujourd’hui radicalement changé, pour la première fois depuis 33 ans, parce que le Guide Khamenei maîtrise la situation intérieure, et est capable de contrôler l’ouverture politique et économique du pays. Ahmadinejad a maintenant terminé son mandat, les élections législatives d’il y a quelques semaines ont montré que les forces fidèles au Guide étaient solides et durables, ce qui le rend capable de mener à bien la fin de la guerre froide.

L’influence est donc clairement maintenant dans les mains du Guide, l’ayatollah Khamenei. Cela ne risque-t-il pas de compromettre la finalisation des accords ?

Non c’est vraiment l’inverse. Jusqu’à maintenant Ahmadinejad, quoi qu’on en dise, était favorable à l’ouverture. A trois reprises il a fait des accords avec les Etats-Unis, que le Guide a refusés systématiquement. La différence fondamentale est que le prochain Président sera forcément dans la mouvance du Guide. Ce dernier n’était pas opposé, par principe, à une relation normalisée (mais non amicale, il n’est pas question de cela) avec les Etats-Unis et les autres grandes puissances, à condition qu’il puisse contrôler une telle ouverture. Aujourd’hui il est en mesure de la maîtriser, donc il y va : la meilleure façon de contrôler l’ouverture est d’en être le leader. Ahmadinejad n’est pas dans la course : le gouvernement est maintenant autorisé à négocier, à pratiquer la politique d’ouverture qu’il a toujours recherchée, mais que le Guide ne souhaitait pas. Aujourd’hui c’est l’ayatollah qui prend l’initiative, avec évidemment les mille difficultés qui se sont accumulées depuis 33 ans.

Comment expliquer alors qu’à côté des négociations officielles, le programme nucléaire iranien ne cesse de s’accélérer. Ce dualisme ne révèle-t-il pas finalement que Téhéran n’en fera qu’à sa tête, malgré un éventuel aboutissement des discussions ?

Non, Téhéran n’avait jamais l’intention au départ d’enrichir leur uranium à 20 %, ils l’ont dit et répété. L’accord sur le réacteur nucléaire de Téhéran, qui devait être pris en charge par la France notamment il y a deux ans, a suscité une vague de refus en Europe. Les Iraniens ont été poussés par des sanctions (ils n’attendaient que ça) à continuer leur enrichissement à un très haut niveau. Résultat des courses : l’Iran a aujourd’hui la capacité d’enrichir son uranium à 20%, qu’ils cherchent à vendre, politiquement, à un prix élevé.

L’Iran a gagné la bataille du nucléaire. Lors des accords de 2003, ils n’avaient pas une seule centrifugeuse. L’accord de 2003 n’a finalement pas été respecté par les puissances occidentales, les Américains en tête, ce qui a poussé Khatami à relancer le programme. Aujourd’hui l’Iran est capable d’enrichir son uranium, Téhéran a gagné la guerre. Or, l’enrichissement à 20% est inutile, sauf si on souhaite faire un usage militaire de l’uranium, cette issue n’est tout de même pas exclue en Iran. Il faut bien être conscient qu’aujourd’hui, l’Iran a la capacité potentielle de maîtriser l’ensemble du cycle nucléaire militaire dans un délai de x années. Ce pays est arrivé au seuil de la capacité nucléaire. Comme le Japon, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Suisse, et une vingtaine de pays au monde, l’Iran est devenu un Etat capable de produire une arme atomique. Donc pour le contrôler ce n’est pas en faisant des sanctions sur le pétrole qu’on va y arriver, mais en intégrant l’Iran, des points de vue politique, économique ou culturel, au concert des nations, ce que demande Téhéran aujourd’hui. Si on ne leur donne rien ils vont continuer leur programme nucléaire. L’Iran est en position de force sur ce dossier.

En revanche l’Iran est affaibli par les sanctions économiques depuis 33 ans, marche mal et est passé à côté de la mondialisation. La solution est donc que les Nations-Unies proposent une intégration diplomatique, politique…, à l’Iran. Cette proposition a déjà été faite, mais l’Iran était alors dans une solution politique intérieure difficile. Aujourd’hui à la fois l’Iran a gagné le dossier du nucléaire, mais se trouve dans un état économique préoccupant, les sanctions sur le pétrole, le gaz et la banque sont graves et amèneraient l’Iran à devenir un pays de marché noir intégral, ce qui le ruinerait. Enfin le Guide est capable aujourd’hui de contrôler politiquement l’ouverture du pays, ce qui n’était pas le cas l’an dernier.

L’Iran veut vraiment en sortir, tout comme les Etats-Unis. En France il y a plus de pessimisme, qui est tout de même justifié. L’Iran n’a jamais négocié depuis 33 ans. Le négociateur iranien, Saeed Jalili, n’est pas un négociateur dans l’âme, mais un combattant, un militant. Il doit apprendre le métier. Ce qui est important également, c’est que côté américain et côté européen, les sanctions sont maintenant légales, donc les négociateurs du monde occidental sont pieds et poings liés par leurs propres exigences de sanctions. Aux Etats-Unis c’est le Congrès qui a voté les sanctions. Celui-ci est opposé à Barack Obama, donc pour faire lever les sanctions il faudrait changer la majorité, ce qui est infaisable. L’administration d’Obama est ouverte et cherche une solution, d’autant plus que Barack Obama est dans une échéance électorale qui ne lui permet pas une grande marge de manœuvre.

Est-ce pour ces raisons qu’une menace d’attaque préventive de la part d’Israël ne semble pas inquiéter outre mesure les différentes parties dans la négociation ?

En réalité personne ne croit à ces menaces. Quand un pays quel qu’il soit, montre tous les jours un état de psychose et préparation à attaquer, un climat émotionnel s’installe. Mais Israël n’est pas en position de le faire, même si l’Iran finit par y croire, tant il y a de dramatisations sur la question.

Un autre élément est fondamental. Actuellement Israël dénonce l’Iran comme le problème majeur pour sa sécurité, et non la Palestine. De plus en plus de voix s’élèvent, dont celle du nouveau vice-premier ministre israélien Shaul Mofaz, qui tente de recentrer les problèmes sur la Palestine. A partir du moment où les Israéliens vont cesser d’annoncer qu’ils craignent un bombardement imminent de l’Iran, alors le Congrès américain pourra tempérer son pro-israélisme et de respirer un peu. De fait, en outre, l’Iran n’a jamais été en position d’attaquer un état d’Israël qui possède 200 têtes nucléaires, et donc n’en a jamais vraiment manifesté l’intention autrement que par quelques discours et paroles.

L’attitude d’Israël pose donc tout de même problème dans ces négociations ?

En effet. Leurs psychodrames et surenchères mettent des bâtons dans les roues des discussions.

Le Guide Khamenei, qui devait être le vrai guide spirituel du monde musulman, se rend compte qu’avec le printemps arabe, l’Iran ne peut devenir le moteur du monde musulman. Les dictateurs sont tous morts, du moins politiquement. L’Iran est un pays intelligent, une république, qui essaie d’évoluer et s’en montre capable, en ce qu’un consensus politique a été fait en Iran, ce qui est nouveau. Le Guide ne peut donc pas échouer dans cette voie, mais il faut nous montrer patients après trois décennies de non-tractations. 

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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