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Investir dans la "déradicalisation" des islamistes : une belle idée qui a très peu de chances de produire le moindre résultat, du moins dans l’immédiat
©Reuters

Erreur de diagnostic ?

Une jeune fille connue de l'Etat français a été arrêtée avant Noël juste avant de rejoindre la Syrie. Cet événement montre une fois de plus les limites des programmes de "déradicalisation" que la France a commencé à mettre en oeuvre.

David Thomson

David Thomson

David Thompson est reporter au service Afrique de RFI, et a notamment couvert la guerre en Lybie et les révolutions arabes en tant que correspondant. Il est également l'auteur du livre Les Français jihadistes.

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Atlantico : Récemment, une jeune fille a été arrêtée juste avant de partir en Syrie alors qu'elle suivait un programme de déradicalisation après un premier projet d'attentat en 2014. N'est-ce pas révélateur de l'échec des tentatives de déradicalisation des djihadistes français ?

David Thomson : On ne peut évidemment pas résumer tous les efforts déployés par le Gouvernement depuis deux ans à ce seul cas. Mais ce cas est toutefois symptomatique des limites du programme français de "déradicalisation". Et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un échec très symbolique. Car cette jeune fille était suivie par Dounia Bouzar depuis 2014 à la demande des autorités qui ont financé sa structure, le CPDSI, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d'euros par an en 2014 et en 2015. Or dans les médias, Dounia Bouzar avait érigé cette même personne en modèle de déradicalisation et en vitrine de sa méthode. Les Français ont ainsi pu la voir sur les plateaux télé, l'entendre à la radio, la lire dans la presse magazine, jusque dans des documentaires et des clips de déradicalisation du CPDSI. Depuis deux ans maintenant, le ministère de l'Intérieur met en avant des chiffres sur ses bilans de déradicalisation dont je conteste la véracité. Ils reposent sur des programmes se déroulant dans une certaine opacité, sans évaluation indépendante, dont on ne sait pas grand-chose finalement. Or, ces chiffres sur le nombre de personnes qui auraient été empêchées de partir en Syrie ou qui auraient été déradicalisées sont diffusés uniquement par le ministère de l'Intérieur qui se place ainsi en position de juge et partie en s'auto-évaluant. Les journalistes reprennent donc ses chiffres faisant le pari de la bonne foi du ministère. 

En réalité, rien ne permet de dire que les programmes de déradicalisation mis en place en France fonctionnent. Nous avons aujourd'hui l'exemple de cette jeune fille qui était l'une des premières confiées par les autorités au programme de Dounia Bouzar après une tentative d'attaque contre une synagogue et qui après deux ans de suivi était toujours en contact avec la Syrie pour rejoindre l'Etat Islamique. Je connais personnellement plusieurs autres exemples similaires de personnes revenues de Syrie sur lesquelles ce programme n'a eu aucune prise non plus. En revanche, je ne connais aucun cas surlequel cela aurait fonctionné. Je doute vraiment de l'efficacité de ces programmes, même si je reconnais que des efforts très importants et réels ont été faits, y compris financièrement, par le Gouvernement. Il est éventuellement possible que ce programme ait eu un impact sur de jeunes filles sur le point de partir, qui n'étaient pas encore complètement plongées dans cette idéologie, des jeunes filles qui avaient pu tomber amoureuses de combattants sur Internet sans convictions religieuses très ancrées. En revanche, sur les individus très idéologisés, ces programmes n'ont pas de prise.

Quelles ont été les différentes approches mises en œuvre pour déradicaliser des djihadistes repentis ou des djihadistes potentiels ?

Pour résumer ce qui a été instauré par le gouvernement, deux approches ont été mises en place.

La première approche est celle de Dounia Bouzar et du CPDSI (Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l'Islam). Ils considèrent que le djihadisme peut être traité comme un engagement sectaire.

La deuxième est celle initiée par Sonia Imloul, qui a fini par être lâchée par le ministère de l'Intérieur, qui mettait l'accent sur l'argument religieux. Ainsi, l'idée était de se servir des salafistes quiétistes, qui évoluent sur le même corps doctrinaire que les djihadistes mais qui s'opposent à eux sur la question du djihad. Ils considèrent ces derniers comme des terroristes. Cette approche tentait d'expliquer aux jeunes, arguments religieux à l'appui, qu'ils avaient une mauvaise interprétation de la religion et qu'ils étaient dans l'erreur d'un point de vue religieux.

A ma connaissance, aucune de ces deux approches n'a vraiment porté ses fruits.

Est-ce que les élites françaises comprennent bien aujourd'hui les motivations qui poussent certains Français à partir en Syrie ou en Irak faire le djihad ?

Jusqu'à aujourd'hui, le problème de l'approche française a été de considérer qu'on avait affaire à une secte. Le problème de cette approche sectaire, qui soit-dit en passant peut être une grille de lecture valable dans certains cas, réside dans le fait qu'aux yeux des autorités, nous avons affaire à une pathologie. Or, le djihadisme n'est pas une maladie. Voir ce phénomène uniquement sous l'angle de la pathologie mentale revient à nier totalement l'engagement politique, religieux et individualiste de ces jeunes qui partent. Beaucoup d'eux le font pour combattre le modèle de la société française, la démocratie et les valeurs de la République. Ils sont clairement dans un engagement politique. Ils ont des idéologues, ils lisent des livres, ils font des débats doctrinaires entre eux en permanence, etc. Ce sont des gens qui sont dans une démarche et un combat politique et religieux.

Parallèlement à cela, il y a d'autres gens qui partent pour des raisons totalement individualistes, parce qu'à leurs yeux, ils se réalisent socialement dans cette démarche. Des gens qui n'étaient rien en France, et qui prennent de l'importance et du pouvoir une fois arrivés en Syrie. Ce sont des données à prendre en compte ! Or, nous sommes très loin ici d'un engagement sectaire. C'est une démarche totalement rationnelle.

Je me souviens de certains débats à la télévision il y a encore deux ans, avec des acteurs publics, des chercheurs, etc. Or, quand on expliquait aux gens sur ces plateaux que les djihadistes français avaient des intentions terroristes quand ils revenaient en France, on se faisait incendier… Cela m'est arrivé. Les gens ne comprenaient pas que le combat des djihadistes était un combat contre le modèle de société française et contre la démocratie. Pour eux, la démocratie est par nature à combattre, puisqu'elle est source d'idolâtrie car elle dicte une autre loi que celle de Dieu. Toujours selon eux, la souveraineté populaire est contre la religion.

La force de tout groupe djihadiste, et en particulier l'Etat Islamique, est d'aller justifier chacun de leurs actes avec des textes et des références de tradition musulmane. Ces textes existent, et pour un jeune rien ne sera jamais plus fort qu'une référence religieuse. Vous pouvez avoir tous les discours de déradicalisation que vous voulez, vous n'aurez jamais de prise sur un jeune qui considère ce texte comme LA vérité absolue.

Pour schématiser, l'approche de Dounia Bouzar consiste à traiter ces gens comme des alcooliques anonymes. Mais ils ne sont pas dans une pathologie, ce sont juste des gens qui ont des convictions.

Selon vous, quelles seraient les pistes à explorer pour trouver une solution à ce problème des Français en voie de radicalisation et sur le point de quitter la France ? Le politologue Asiem El Difraoui évoque des exemples qui pourraient être suivis en Allemagne (Hayat) ou en Angleterre (The Unity initiative). La France a-t-elle des choses à apprendre de ses voisins ?

A ma connaissance, aucun programme de déradicalisation ou de désenbrigadement dans le monde n'a eu de résultats probants. Le Royaume-Uni a commencé dix ans avant la France à développer des programmes en s'appuyant sur la communauté pakistanaise. Aujourd'hui, on constate à peu de chose près que le pays est autant concerné que la France par le phénomène djihadiste. On observe dans tous ces pays des réflexions en cours, des tentatives, mais personne n'a trouvé de solution miracle tout simplement parce qu'il n'y en a pas. Tant qu'il y aura aux portes de l'Europe un djihad aussi facile d'accès que l'est le théâtre syrien aujourd'hui, tant que la prise de contact sur Internet avec des djihadistes sera aussi facile qu'aujourd'hui, des jeunes partiront combattre le modèle de société français et continueront d'être séduits par cette propagande. Les autorités sont obligées d'être dans une logique de communication et d'action. Des choses sont mises en œuvre, des programmes sont mis en place dans les prisons, à destination des jeunes ou des familles, mais il n'y a pas de potion magique.

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