Insécurité : Marseille est aujourd’hui bien plus gangrénée par les bandes de cité que par la mafia<!-- --> | Atlantico.fr
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Au coeur de la cité des Lauriers (13e arrondissement de Marseille), un jeune a été tué dimanche peu avant 17 heures par une rafale de kalachnikov.
Au coeur de la cité des Lauriers (13e arrondissement de Marseille), un jeune a été tué dimanche peu avant 17 heures par une rafale de kalachnikov.
©Reuters

Bad Boys

Ce dimanche, un jeune homme de 25 ans a été tué dans la cité phocéenne en pleine rue, par une rafale de kalachnikov. C'est le troisième règlement de compte en moins d'un mois.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Encore un assassinat de voyou à Marseille – et comme d’usage, à l’aide d’une arme de guerre, un fusil d’assaut de type Kalachnikov. Le côté répétitif de tels règlements de comptes dans les Bouches-du Rhône impose de s’interroger sur le phénomène - donc à poser quelques questions fondamentales :

A Marseille, est-ce la mafia qui est à l’œuvre ?

Non, pas du tout. Le milieu marseillais ressemble plutôt à un gâteau, avec deux couches superposées.

La couche la plus basse, la plus profondément enfouie, la plus ancienne aussi est celle du crime organisé italo-corso-marseillais. On en entend peu parler et depuis quelques temps, les arrestations s’y font rares. Connivences parfois haut placées, mansuétude médiatique locale : ces gangsters très dangereux savent se faire « respecter » et travailler en silence. Cette capacité d’esquive à la répression durera-t-telle toujours ? Non – et même, des surprises ne sont pas exclues. Mais même dans le cas de ce milieu italo-corso-marseillais, il ne s’agit pas d’une mafia, terme qui a un sens très précis, que voici.

Une mafia, c’est une « aristocratie criminelle », une société secrète plus qu’une bande, avec sa loi du silence, son code d’honneur, sa légende et sa capacité à se faire obéir sur « son » territoire.

En Europe, deux pays connaissent de vraies mafias : l’Italie (Cosa Nostra, Camorra, Ndrangheta, surtout) et l’Albanie. Il y a certes des règlements de comptes dans ce milieu, mais ils sont rares et plus « chirurgicaux ».

Mais alors, à Marseille, qui tue ?

La couche supérieure du gâteau, ce sont des bandes de cités, lancées dans une lutte à mort pour conquérir ou défendre « leurs » territoires, sur lequel ils exigent le monopole du trafic des stupéfiants.

A l’origine, ce sont de petites bandes rassemblées au pieds des tours, le plus souvent composées de jeunes issus de l’immigration maghrébine – il suffit de voir les noms de la plupart des victimes des règlements de comptes. Au début des années 2000, certaines de ces bandes juvéniles se professionnalisent et passent au trafic de drogue, cannabis surtout, à grande échelle. Ayant conquis un territoire, il leur faut ensuite le défendre – désormais, armes de guerre à la main.

Cette évolution est-elle surprenante ?

Au contraire elle a été annoncée et prévue. J’ai écrit en juin 2007 (donc voici cinq ans) une longue étude dans les Cahiers de l’INHES (Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité, Ministère de l’Intérieur) intitulée « Des bandes délinquantes juvéniles au crime organisé violent », qui débutait ainsi : « Le crime organisé violent a atteint aujourd’hui un seuil très inquiétant où se lient vol à main armée et drogue. La clé du processus criminel se trouve dans le ‘braquage’, qui structure le milieu à partir de la jeunesse. Dès 10 ans, les jeunes sont embarqués dans les vols à main armée et fournissent ainsi une armée de réserve au crime. Composé de jeunes de toutes origines, vivant dans les cités, issus massivement de la seconde et troisième génération des flux migratoires venus des anciennes colonies africaines et nord-africaines, ce milieu primo-criminel prolifère et développe une dynamique de séduction à partir de ses « succès économiques ».

Que faire pour ramener le calme à Marseille ?

En tout cas, pas ce qui a été récemment annoncé, et qui défie le bon sens. Alors que péniblement, parmi d’immenses difficultés, les États-Unis renoncent à leurs guerres métaphysiques (« Guerre à la terreur »… Guerre à la drogue ») pour cause d’échec complet, voici qu’on nous annonce à Marseille une « guerre aux Kalachnikov », qui n’a pas plus de chance de réussir.

Une seule voie permettra de pacifier Marseille : celle du renseignement criminel, qui seul donne une connaissance intime et prédictive des bandes dangereuses. Connaissance qui à son tour permet les embuscades, donc les flagrants délits : capturer les gangsters lors de grosses livraisons de drogue, ou lorsqu’ils ont les armes en main. Et non pas de se borner à compter sur le terrain les cadavres criblés de balles, comme on le fait encore trop souvent.

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