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Infections respiratoires : la grande peur de la grande grippe
©GERARD JULIEN / AFP

Bonnes feuilles

Didier Raoult a publié "Dépasser Darwin" aux éditions Plon. Les microbes sont partout : sur nos mains, dans nos veines… et jusque dans nos gènes. Cette découverte renverse les certitudes érigées par le darwinisme. Nos modes de vie peuvent déclencher des guerres de voisinage meurtrières, dont le nom nous fait frémir : les épidémies. Extrait 1/2.

Didier Raoult

Didier Raoult

Didier Raoult, professeur de microbiologie à la faculté de médecine de Marseille, dirige le plus grand centre consacré aux maladies infectieuses, l'IHU Méditerranée Infection. Le professeur Raoult est un des microbiologistes les plus cités en Europe et figure dans le classement des chercheurs les plus cités. Avec son équipe à Marseille, il a décrit des virus complexes, et il a été lauréat du grand prix de l'Inserm 2010. Connu pour sa posture anti-traditionnelle, il a acquis la notoriété des médias internationaux en 2020, lorsque lui et son équipe ont affirmé avoir trouvé un remède contre la Covid-19 avec son traitement à base d’hydroxychloroquine notamment.

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Si l’évolution des espèces peut procéder par glissements, de façon assez lente et d’abord peu perceptible, elle s’effectue aussi par le biais d’événements stochastiques imprévisibles ; autrement dit par de grands bouleversements : glaciations, éruptions, grandes épidémies, etc. C’est ce qui est communément avancé pour expliquer la disparition des dinosaures.

La sélection par le chaos ne donne pas, in fine, les mêmes vainqueurs que la sélection par glissements progressifs. Les espèces et sociétés les plus adaptées à un milieu donné dans un temps donné, c’est‑à‑dire les plus efficaces et apparemment les plus évoluées, se révèlent aussi les plus vulnérables aux situations chaotiques. La spécialisation des sociétés humaines (chacun ayant une tâche très précise à accomplir et chacun dépendant complètement d’autrui pour sa vie et sa survie) se traduit notamment par une extraordinaire concentration urbaine ; plus de la moitié de l’humanité vit maintenant dans des villes (Et souvent au bord de la mer, ce qui nous laisse augurer des jours difficiles si le niveau de la mer monte de façon importante. On pourra toujours créer des polders là où le rivage le permet, mais pas partout, loin s’en faut). Cette concentration humaine nous rend extrêmement vulnérables aux événements imprévus (et aux mouvements de panique collective qu’ils peuvent déclencher) et surtout aux épidémies pour lesquelles ils constituent une véritable aubaine. Il est possible que cela soit à l’origine de la disparition des grandes civilisations urbaines du passé. Les infections les plus contagieuses que nous ayons connues, la variole et la rougeole, ont un taux de transmission de plus de vingt points. En d’autres termes, une personne conta‑ minée en contamine elle‑même environ une vingtaine d’autres ! La variole, à la fois très contagieuse et très létale, aurait notamment tué en un temps record plus des trois quarts des Amérindiens (qui ne l’avaient jamais rencontrée et étaient donc vierges de toute immunité) lors de la découverte du Nouveau Monde par les Espagnols. Par comparaison, une personne grippée contamine en moyenne deux autres per‑ sonnes, dix fois moins que pour la variole donc. Dans le cas de la grippe, inutile de jouer à se faire peur en faisant du métro ou des grands rassemblements des foyers de contamination géants. C’est en effet à la faveur d’une véritable promiscuité (famille, bureaux) que se répand ce virus.

Grippe, sida, Chikungunya… : une éradication difficile 

En revanche, si on a pu éradiquer la variole par des campagnes massives de vaccination, impossible d’espérer en faire autant pour la grippe. Cela tient à la différence de nature de ces virus. Les virus à ADN, comme la variole, sont des virus très stables. La copie de l’ADN est un processus très sécurisé qui laisse peu de place à l’erreur. Le virus a donc peu de chances de muter de façon significative. Une fois qu’il a été identifié, il devient possible pour les laboratoires de produire un vaccin efficace. Pour les virus à ARN, en revanche, la copie de l’information produit cent fois plus d’erreurs. La grippe, par exemple, est un virus à ARN. Plus généralement, tous les virus actuels que l’on peine, voire ne parvient pas à contrôler, sont des virus à ARN : grippes, sida, dengue, Chikungunya… 

Ces virus sont instables au point que, alors même qu’ils nous infectent et se multiplient dans notre organisme, ils créent des sous‑espèces qui peuvent ensuite aller infecter d’autres organismes. L’instabilité et, donc, la grande variabilité du virus à ARN expliquent pour partie la situation d’échec vaccinal dans laquelle nous nous trouvons face au sida. 

Dans le cas de la grippe, ce qui rend les choses compliquées, c’est que ce virus est segmenté en plusieurs morceaux, et quand un virus de la grippe rencontre un autre virus de la grippe, ils peuvent en fait échanger des morceaux et devenir des chimères. On se retrouve alors avec un virus de la grippe composé d’un peu de virus porcin, un peu de virus aviaire, un peu de virus humain, etc. Ce qui a abouti en 2009 à… H1N1, aussi appelé virus de la grippe A. 

Ce virus de la grippe est en effet une chimère, un composite de virus grippaux. Si deux virus entrent dans la même cellule, celui qui va en ressortir pourra être une combinaison des deux ; il y a en permanence de nouvelles combinaisons qui se forment au sein de la cellule. 

Le plus souvent, les micro‑organismes qui nous rendent malades viennent de notre environnement proche ; on parle alors de virus humain. Chez les animaux, on parle d’épizootie, avec des épidémies effroyables comme celle de la grippe aviaire qui a déjà causé la mort de millions de volatiles. Cette forme de grippe terrorise les populations par son impressionnant taux de mortalité, mais si d’aventure, un jour, elle se transforme en une infection humaine, c’est qu’elle aura muté, que le virus sera un nouveau virus dont nul ne peut prédire la sévérité. En mutant, il peut parfaitement perdre en agressivité. 

La peur panique que provoque le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) ne peut pas cependant être qualifiée d’irrationnelle dans la mesure où les infections respiratoires, au premier rang desquelles la grippe, sont la première cause de mortalité dans le monde. L’inquiétude du milieu médical à l’apparition d’un nouveau virus peut paraître, après coup, comme exagérée, mais il faut bien réaliser que : oui, nous pouvons un jour nous retrouver confrontés à un virus de la grippe à la fois très agressif et très contagieux, capable de tuer 10 % de la population. Ce n’est ni une triste prérogative du Moyen Age ni un scénario tout juste bon à alimenter les films catastrophes. La grippe espagnole de 1918‑1919, qui a fait entre vingt et cinquante millions de morts (à l’issue d’une guerre qui en avait fait vingt millions), était aussi un virus de type H1N1. En quelques mois, elle a mené à la tombe des millions d’hommes jeunes, ceux, pourrait‑on dire, qui avaient échappé aux massacres des tranchées.

Dans nos pays industrialisés, il est vrai que la mortalité de la grippe va en diminuant, et ce de façon régulière. Les autopsies des victimes de la terrible grippe espagnole indiquent que les trois quarts des décès étaient dus à une surinfection bactérienne pulmonaire. Une cause que l’on ne retrouve que dans 10 % des décès liés à la dernière épidémie en date, H1N1. Pourquoi ? Parce que non seulement nous disposons maintenant d’antibiotiques (tueurs de bactéries), mais encore du vaccin contre le pneumocoque (une bactérie très agressive ; une serial‑killeuse dans son genre). A lui seul, ce vaccin a sans doute sauvé plus de vies que le vaccin contre la grippe. La surinfection bactérienne est donc moins à craindre que par le passé. Ceux qui sont morts de H1N1 n’ont, pour la plupart, pas succombé à une surinfection mais à une inflammation des poumons. Là encore, la médecine travaille à faire reculer le taux de mortalité d’une épidémie grippale. L’épisode H1N1 a vu, en effet, se mettre en place de nouvelles pratiques dans les hôpitaux. Quand les poumons sont trop atteints par l’inflammation, on prend le parti d’oxygéner le sang de façon extracorporelle. On pratique des dérivations dans le système sanguin, comme cela se fait pour certaines opérations du cœur. A la différence près que, au lieu d’oxygéner le sang quelques heures, on le fait pendant plusieurs jours, le temps que les poumons se remettent de l’inflammation et reprennent leur travail. Bien entendu, cette façon de sauver des vies n’est imaginable que dans les hôpitaux très équipés de pays industrialisés. La mortalité de la grippe restera bien supérieure dans les pays plus pauvres.

Extrait du livre du Professeur Didier Raoult, "Dépasser Darwin", publié aux éditions Plon

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