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Inégalités : l’impact insoupçonné des stratégies des parents riches dans le choix de l’école de leurs enfants
©Capture d'écran Instagram

Séparation géographique

En choisissant leurs lieux d'habitation en fonction des établissements scolaires, les parents aisés renforcent les inégalités de revenus géographiques. C'est en tout cas ce que prouve une étude réalisée outre-Atlantique. Les grandes métropoles françaises ne semblent pas échapper au phénomène.

François Dubet

François Dubet

François Dubet est sociologue spécialiste de l'éducation, professeur à l'Université Bordeaux II et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Dans une étude publiée ce 10 mai, Ann Owens montre que les familles aisées qui ont des enfants, soucieuses de l'éducation de ces derniers, font plus attention à leur lieu d'habitation que les autres ménages. Il en résulterait une amplification des inégalités géographiques. Comment cette étude a-t-elle été menée et qu'apporte-t-elle de nouveau ?

François Dubet :Cette étude confirme des études menées depuis le milieu des années 1960 aux Etats-Unis. Un rapport très célèbre d'une sociologue du nom de James Coleman montrait en 1966 que les familles choisissent les établissements scolaires qui ont la sélection sociale la plus favorable, parce qu'elles font l'hypothèse qu'ils seront mieux pour l'éducation de leurs enfants. Ce processus a pour conséquence de déterminer les choix résidentiels des familles. En désirant s'installer près des bonnes écoles, ces dernières impactent le prix du foncier. Nous voyons en France que les agences immobilières ont tendance à vanter la qualité des établissements du quartier. Il y a donc mécaniquement une séparation géographique entre les élèves les plus favorisés et les moins favorisés qui s'opère. C'est une chose très largement connue de tous les travaux sur l'école. 

Le même phénomène est-il observable en France ? Chez nous, des études ont montré que certains lycées, comme Henri IV (Paris Vème), Louis-le-Grand (Paris Vème), Pasteur (Neuilly-sur-Seine) ou Condorcet (Paris IXème), pouvaient doper les loyers de 5 % à 15 % dans les quartiers où ils sont situés. Le phénomène dépasse-t-il ces quelques cas célèbres ?

Ce phénomène vaut pour toutes les grandes villes. Dès que dans une ville il y a de nombreux établissements scolaires hiérarchisés, les stratégies familiales vont s'opérer en conséquence et mécaniquement les prix de certains loyers vont augmenter. Nous l'étudions souvent à Paris, car la capitale est emblématique de cette situation. Mais le même phénomène vaut à Toulouse avec le lycée Pierre-de-Fermat, à Bordeaux avec le lycée Michel-Montaigne, à Lyon avec le lycée du Parc, à Marseille avec le lycée Thiers. Dans toutes ces grandes villes les familles les plus favorisées tentent d'habiter des secteurs donnant accès à ces lycées, ce qui fait grimper les prix des loyers. Dans le même temps, beaucoup de parents utilisent de fausses adresses, louent des boîtes aux lettres, etc. Il y a des choses un peu plus étranges, comme choisir des options rares, pour avoir accès aux bonnes écoles. D'une certaine façon, les parents choisissent l'inégalité. 

Cela vaut pour les lycées, mais également pour les collèges. Il y a une sorte de confiance dans l'égalité de l'école élémentaire, qui fait que cela joue moins à ce niveau. De plus, les gens en France jouent massivement sur le privé et le public. Si le secteur ne convient pas, le privé est choisi. Il y a parfois des allers-retours : le privé est choisi pour le collège, parce que celui du secteur ne convient pas, mais si le lycée du secteur est bon, a de bonnes options, ou possède de bonnes classes prépas, les parents reviennent au public.  

Tout cela favorise évidemment le prix du foncier. Henri IV renchérit des prix du foncier déjà chers dans le Vème arrondissement. Ce n'est pas une hypothèse économique absurde que d'imaginer que ce phénomène renforce les inégalités entre les quartiers. Si vous avez une concentration de familles favorisées autour d'un établissement prestigieux, mécaniquement, il y a une mise à distance des gens défavorisés. L'école joue donc un rôle dans la formation des inégalités urbaines.

Le gouvernement a-t-il des moyens de contrer un tel phénomène ? Pour quelles raisons n'a-t-on pas réussi jusqu'à présent à le juguler ?

C'est très compliqué. D'une part tout le monde joue. Le choix fait autour des grands lycées parisiens se retrouve à échelle plus modérée dans les petites villes et petits lycées. Le nombre de personnes concernées est donc très élevé. Mais les gens qui se trouvent piégés par leur secteur ressentent une forme d'injustice. L'argument est donc réversible. Nous pouvons nous dire d'un côté qu'il est injuste que l'établissement accueille les plus fortunés et de l'autre côté, il est également injuste que les plus pauvres n'aient pas accès eux aussi à ces établissements. Les catégories défavorisées vont donc désirer pouvoir elles aussi placer leurs enfants dans les écoles qui les intéressent. C'est pour cela que personne ne revient sur la dérégulation de la carte scolaire.

Les Américains ont pourtant tenté des choses radicales. A la suite du rapport Coleman que j'ai déjà évoqué, ils ont par exemple fait du "busing". C'est-à-dire qu'ils ont par exemple pris des élèves d'établissements riches pour les placer dans des établissements pauvres. Les parents des deux catégories sociales n'ont pas été ravis. Alors que faudrait-il faire pour limiter cela ? Il faudrait faire en sorte que les établissements choisis ne fassent pas complètement leur marché. Que les parents se comportent comme des acteurs rationnels sur un marché, au fond nous pouvons le comprendre. Que des établissements publics se comportent de la même manière, cela pose un petit problème. Car l'établissement riche est aussi payé par les impôts des pauvres. Ce qui pourrait être fait, c'est d'instaurer des quotas de boursiers. Nous pourrions empêcher la concentration de manière excessive des élèves les plus favorisés. 

La seconde chose serait d'accroître très sensiblement l'offre éducative des établissements où se trouvent les élèves en difficulté, pour que les gens n'aient pas intérêt à fuir leur quartier. Par exemple une étude sur les "bobos" à Aubervilliers (93) révèlait qu'ils sont assez contents de la mixité sociale. En revanche, dès qu'il s'agit de choisir le collège, cela se complique, car ils n'ont pas confiance dans l'établissement du quartier. Là, nous pourrions imaginer que l'action publique fasse un effort pour enrayer le mouvement, en accroissant l'offre éducative. Pour dire les choses simplement, si je suis convaincu de la qualité de l'hôpital qui se trouve à proximité de chez moi, je n'irai pas me soigner ailleurs. Mais cela demande des moyens. 

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