Inégalités : 4 questions pour comprendre pourquoi l’obsession anti-riches de l’extrême-gauche lui fait royalement s’aveugler sur les vrais problèmes des plus pauvres<!-- --> | Atlantico.fr
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La patronne des Verts, Marine Tondelier, a déclaré qu'elle souhaitait "une France sans milliardaires".
La patronne des Verts, Marine Tondelier, a déclaré qu'elle souhaitait "une France sans milliardaires".
©Thomas SAMSON / AFP

Mise au point

Contrairement à ce qu'en dit une partie de la gauche, la France, en faisant la part belle à son système de redistribution, n'a pas vu le niveau des inégalités augmenter.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Deslol est avocat fiscaliste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscale, IREF, essayiste dont le dernier ouvrage est Civilisation et libre arbitre paru en 2022 cher Desclée de Brouwer.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : La France s'est-elle collectivement appauvrie au cours des dernières années ?

Jean-Philippe Delsol : La France s’est enrichie au cours de ces dernières décennies. Nous y vivons incontestablement mieux que dans les années d’après-guerre par exemple. Le PIB par habitant en dollars calculé en parité de pouvoir d’achat (c’est-à-dire tenant compte du pouvoir d’achat de la monnaie nationale par rapport au dollar) était de 17 700 dollars en 1990, de 26 086 dollars en 2000 et de 50 541 dollars en 2021.

Cependant, elle s’est enrichie moins que d’autres pays développés comme elle. Quelques chiffres parlent :

Par rapport à des pays de même niveau de développement, la France avait en 2000 un petit retard. Vingt ans plus tard, elle accuse un sérieux retard de son PIB par habitant qui reflète le niveau de vie des ménages.

Philippe Crevel : Concernant le PIB par habitant, celui-ci est globalement en augmentation, malgré une diminution en 2009 et 2020 d’environ 1 à 2%, respectivement lors de la crise économique et financière et de la crise sanitaire. Son augmentation est tout de même plus lente que par le passé, étant donné la croissance plus faible. Par ailleurs, le pouvoir d’achat a été multiplié par 3 depuis les années 1960, et là aussi celui-ci a progressé ces vingt dernières années, mais à un rythme moins soutenu. 

Le ratio entre les 10% les plus pauvres et les 10% les plus riches est relativement stable après redistribution, à 3,5, donc après le versement des cotisations sociales et le paiement des impôts. Il n’y a pas eu de divergence entre ces deux catégories de la population. Pour les 0,01% des Français les plus riches, la part du revenu national dont ils disposent a augmenté ces trente dernières années du fait de la valorisation des actifs financiers et des biens immobiliers.

Quelle est l'évolution des inégalités en France, notamment en comparaison d'autres pays dans le monde ?

Jean-Philippe Delsol : Le niveau des inégalités reste stable en France depuis 30 ans et son coefficient de Gini varie peu autour de 32. Il était de 32,4 en 2019 selon la Banque mondiale. Ce coefficient montre mesure la dispersion d’une distribution dans une population donnée. Il varie de 0 à 1, où 0 signifie l’égalité parfaite et 1 signifie l’inégalité totale. En d’autres termes, zéro signifie que l’ensemble des individus a des revenus identiques, 1 signifie qu’une personne se voit attribuer la totalité des revenus. Or le coefficient de Gini est plus faible qu’en France dans les pays du nord de l’Europe, par exemple au Danemark (27,7) ou en Suède (29,3), voire en Allemagne où il est de 31,7 alors que les dépenses publiques sociales allemandes représentent 25,9 % du PIB quand elles atteignent plus de 31% en France ( chiffres OCDE).

En Europe et selon l’Insee, en parité de pouvoir d’achat, le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie annuel médian dans chaque pays, est compris entre 11 900 euros (Irlande) et 17 400 euros (Luxembourg) dans les pays d’Europe du Nord (hors pays baltes) et de l’Ouest, entre 5 900 euros (Grèce) et 11 200 euros (Chypre et Malte) dans les pays d’Europe du Sud et entre 4 400 euros (Roumanie) et 8 500 euros (Estonie) dans les pays d’Europe de l’Est et les pays baltes.

Le ratio de la population pauvre en fonction de seuil de pauvreté national (% de la population) est pour 2019/2020, selon la Banque mondiale, de 13,8 en France, 14,4 aux Pays-Bas, 15,20 en Allemagne. Mais il vaut mieux être pauvre en Allemagne où le seuil de pauvreté est de 13 616 euros par an ou aux Pays-Bas où il est de 13 181 euros qu’en France où il est de 12 283 euros.

Il est difficile au demeurant de comparer les situations car le seuil de pauvreté étant généralement fixé par rapport au revenu moyen, plus le revenu moyen d’un pays est élevé, plus le seuil de pauvreté l’est aussi. Ainsi que le note l’Insee, les pauvres les moins pauvres d’Europe habitent en Suisse et en Norvège où le seuil de pauvreté dépasse 1 300 euros par mois selon Eurostat (données 2016, seuil à 60 % du niveau de vie médian). L’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et la France sont les autres pays où le seuil de pauvreté est supérieur 1 000 euros par mois.

Philippe Crevel : Sur les revenus, la France reste fortement égalitaire. En revanche, au niveau du patrimoine, les inégalités se sont accrues. Comme les actions et les biens immobiliers ne sont possédées que par une partie de la population, leur valorisation entraîne un écart croissant du patrimoine entre les plus riches et les plus modestes. On parle là de valeur comptable, de stock. Et non pas de revenu, de flux. La valeur d’une maison peut doubler, mais ce n’est pas pour autant que le propriétaire se sent plus riche. Le vieillissement de la population, en lien avec la progression de l’espérance de vie, favorise la concentration du capital au profit des ménages les plus âgés et les plus riches. Plus de la moitié du patrimoine est détenue par les plus de 55 ans. Contrairement à une idée reçue, en France, la part du patrimoine national détenue par les 1 % des ménages les mieux dotés est en baisse depuis le début du XXIe siècle. Elle est passée de 2007 à 2019 de 28 à 24 %. Elle est un peu plus élevée qu’en 1990 (18 %).

Les inégalités de revenu après redistribution sont faibles en France par rapport aux autres pays de l’OCDE ou de la zone euro, en revanche, les inégalités de revenu avant redistribution sont au contraire élevées en France. Avant redistribution, l’indice de Gini qui mesure les inégalités, est de 0,52 en France, contre 0,50 au sein de la zone euro (hors France). Après redistribution, la France a un indice de Gini de 0,29, contre 0,39 pour la zone euro (hors France) et de 0,36 pour l’OCDE (hors France). L’écart entre les indices de Gini avant et après redistribution atteint 0,22 en France, 0,19 pour la zone euro et 0,14 pour l’OCDE.

Y a-t-il de plus en plus de pauvres en France ? Et existe-t-il une corrélation entre le nombre de pauvres et le nombre de riches ?

Jean-Philippe Delsol : Il y a probablement une certaine corrélation entre le nombre de pauvres et le nombre de riches, mais différente selon les situations. Il y a plus de pauvres dans les pays qui permettent à certains de s’enrichir indument de manière mafieuse, éventuellement dans la collusion entre l’Etat et certains entrepreneurs. C’est le cas de nombre de pays très pauvres et/ou de pays vivant sous la tyrannie de castes familiales ou autres (les oligarques) ou d’un parti, généralement communiste. Ces pays sont minés par la corruption qui profite à quelques-uns tandis que tous les autres sont écartés des avantages du système. De nombreux pays sous-développés sont dans cette situation. D’autres en voie de développement le sont également comme l’Afrique du Sud avec un Gini  de 63 ou le Brésil avec un Gin de 49. La Russie et la Chine affichent des niveaux de Gini de respectivement 36 et 38, sans doute plus élevés au regard du peu de crédibilité des chiffres livrés par ces pays. 

Généralement, la prolifération de riches dans les pays qui ne sont pas des Etats de droit, est généralement nuisible à la croissance et favorise le maintien d’une large partie de la population dans la pauvreté. Mais dans certains pays développés où l’état de droit prévaut, l’augmentation du nombre de riches est plutôt le signe de la liberté de l’économie qui en favorise la vitalité. Il y a dans ces pays plus de riches et moins de pauvres ou pour le moins, les pauvres y sont moins pauvres. Le revenu moyen y est plus élevé. Aux Etats-Unis, le Gini était de 41,4 en 2018, mais le revenu moyen annuel y a été de 59 973€ en 2021 contre 37 338€ en France. Au surplus, les riches sont beaucoup plus contributeurs aux dépenses publiques dans les pays développés. Le degré d’inégalité, avant comme après redistribution, est beaucoup plus faible dans les pays de l’OCDE, c’est-à-dire dans les pays développés, que dans les autres. Ce qui tend à démontrer que sur le long terme, c’est plus la croissance qui atténue l’inégalité que celle-ci qui nuit à celle-là. Au début du xixe siècle, plus de 80 % de la population mondiale se trouvait sous le seuil de pauvreté. En 2019, il y en avait moins de 10%, mais le taux de pauvreté mondiale est entrain de remonter, hélas, depuis la pandémie par suite de l’arrêt de la croissance et des échanges internationaux.

Philippe Crevel : Le taux de pauvreté en France oscille entre 13% et 14% depuis vingt ans, donc il n’y a pas eu d’augmentation de ce taux. On est le pays avec le taux de prestations sociales le plus élevé au monde, qui permet de réduire le risque de pauvreté au sein de la population.

Il y a une part de populisme du côté de la gauche lorsqu’ils montrent du doigt les milliardaires. Dire qu’on va prendre 10 milliards d’euros à Bernard Arnault, cela veut dire qu’on va prendre une part de LVMH pour le redistribuer. C’est complètement démagogique. Ces gens confondent le flux et le stock. En clair, ils restent dans un discours profondément marxiste, selon lequel le capitalisme c’est avant tout l’exploitation de l’homme par l’homme.

Quelle est l’efficacité de notre système de redistribution ? D’un point de vue monétaire comme d’un point de vue ressenti ?

Jean-Philippe Delsol : La question de savoir si l’augmentation de la redistribution dans un pays donné est favorable ou non à la croissance est un vieux débat. Arthur Okun avait en 1975 soutenu que l’augmentation de la redistribution et de l’égalité se fait au détriment de la croissance. Pour le moins un consensus semble se faire sur le fait que lorsque l’importance de la redistribution sociale est déjà notoire, son augmentation a toujours des effets négatifs sur la croissance (cf. Ostry, Berg et Tsangavides, 2014).

Trop peu de dépenses sociales peut empêcher un pays de sortir de la pauvreté en limitant l’accès à l’éducation ou en réduisant une partie de la population à niveau minimal de subsistance nuisible au développement personnel. Mais à l’inverse, trop de dépenses publiques conduit à infantiliser les citoyens, à annihiler leurs esprits et affadir leur volonté d’entreprendre et de travailler en même temps que leur laisser croire que les repas gratuits existent quand il faut toujours quelqu’un pour les payer. Un Etat trop social est contraint d’accabler d’impôts et de charges ceux qui produisent, nuisant ainsi à l’épargne et à l’investissement, à l’initiative et à l’effort.

L’analyse de la sortie de crise 2008/2010 fait précisément ressortir que la plus forte croissance du PIB sur la période 2000-2014 parmi les pays de l’OCDE a eu lieu dans les cinq pays qui avaient les taux de dépenses sociales les plus faibles : Mexique, Chili, Corée du Sud, Turquie et Estonie. Et les pays de l’OCDE qui ont réduit leurs dépenses publiques sur la période 2009-2012 ont connu sur cette période une croissance moyenne de 0,9 % quand ceux qui les ont augmentées ont connu une contraction de leur économie de 1,3 % par an en moyenne. Les pays qui ont opté pour une augmentation de leurs dépenses publiques sur la période 2009-2012 ont connu une croissance en 2012 de 3,2 points de plus qu’en 2009, mais ceux qui ont réduit leurs dépenses publiques sur la même période, la croissance en 2012 a été supérieure de 4,9 points à celle de 2009. C’est sans doute une leçon pour notre sortie de la crise actuelle.

La croissance économique contribue plus à réduire la pauvreté que les aides publiques, du moins au-delà d’un certain niveau. La lutte contre la pauvreté exige moins de contrainte que de liberté d’entreprendre et d’innover. Elle bénéficie toujours d’une croissance forte dans les pays libéraux et démocratiques.

Philippe Crevel :Après redistribution, nous sommes l’un des pays les plus égalitaires. Certes, le système de redistribution est coûteux (1/3 de notre PIB). Mais le ressenti de la population de l’efficacité de la redistribution n’est pas bon, puisque les Français estiment qu’il y a de plus en plus de pauvres. On peut l’expliquer d’un point de vue historique, avec la forte défiance de la population vis-à-vis du pouvoir qui remonte à plusieurs siècles, avant même 1789.

Il y a des facteurs économiques qui sont l’augmentation des dépenses pré-engagées ou contraintes, dépenses sur lesquelles les ménages n’ont pas prise. Pour les 20% les plus pauvres, ces dépenses montent jusqu’à 40% de leurs revenus, soit une hausse de 7 ou 8 points ces vingt dernières années. Pour l’ensemble des Français, le budget réellement disponible a tendance à se contracter. Mais notons que paradoxalement, le pouvoir d’achat des plus modestes a augmenté plus rapidement par rapport à celui des cadres.

Enfin, le système social extrême développé explique la faiblesse du salaire direct, et le niveau des salaires en France est faible par le fait qu’une grande partie du coût du travail global est aspirée par les cotisations sociales. 

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