Industriels, consommateurs, régulateurs : qui sont les vrais responsables des dérives de l'industrie agroalimentaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour réussir à contrer les fraudes, mondialisées, qui rendent la traçabilité moins efficace, il faudrait opérer des tests ADN systématiques
Pour réussir à contrer les fraudes, mondialisées, qui rendent la traçabilité moins efficace, il faudrait opérer des tests ADN systématiques
©Reuters

A qui la faute ?

L’affaire de la viande de cheval a ouvert la boîte de Pandore des dérives de l’industrie agroalimentaire. Mais les consommateurs, toujours à la recherche du prix le plus bas, ne possèdent-ils pas une part de responsabilité ?

Jean-François Narbonne et Olivier Andrault

Jean-François Narbonne et Olivier Andrault

Jean-François Narbonne est l'un des experts de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire

Il est par ailleurs professeur à l'Université de Bordeaux 1 et docteur en nutrition.

Olivier Andrault est ingénieur en agro-alimentaire. Il est chargé de mission "agriculture et alimentaire" pour l'association de consommateurs UFC-Que choisir. 

Il effectue aussi des missions pour Programme national nutrition santé, pour le Ministère de l'Agriculture et de la pêche, où il travaille pour l'amélioration nutritionnelle des aliments. Il fait aussi parti du groupe d'orientation de l'observatoire de la qualité de l'alimentation.

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Atlantico : L’affaire de la viande de cheval a ouvert la boîte de Pandore des dérives de l’industrie agroalimentaire. Mais qui des industriels, des consommateurs ou des régulateurs sont les vrais responsables ?

Olivier Andrault : Je tiens à disculper les consommateurs. L’argument que l’on entend souvent dans les instances de discussion, où les associations de consommateurs demandent des éléments supplémentaires en termes de traçabilité, est que cela va coûter cher et que le consommateur n’est pas prêt à payer pour cela et que c’est lui qui  tire en permanence les prix vers le bas.

En ce qui concerne le minerai de viande utilisé dans le cas Findus, selon les informations qui nous ont été présentées, le prix de 25 kilos de viande était de 3 euros. On sait qu’un paquet de lasagnes doit faire 300 grammes à raison de 20% de viande par portion. Je ne pense pas que ce soit le consommateur qui fasse pression sur le prix. Sachant que lorsque les consommateurs ont le choix et qu’ils achètent de la viande en morceau, ils dépensent 15 euros le kilo pour un steak haché frais au rayon boucherie. La viande entière non-hachée se situe même plutôt aux alentours de 20 euros le kilo. Et les consommateurs continuent à acheter ce type de viande. Si les consommateurs cherchaient effectivement à obtenir la viande la moins chère, on devrait trouver des viandes assez exotiques dans les rayons. On devrait trouver du poulet brésilien qui est le moins cher au monde. Or, vous ne verrez nulle part du poulet brésilien. En revanche, vous en trouverez dans les plats transformés. Ce n’est donc pas le consommateur qui tire les prix vers le bras, c’est l’agroalimentaire qui cherche à tout prix à utiliser les ingrédients les moins chers pour conserver leur marge.

Jean-François Narbonne : Ce type d’affaires remonte à l’origine de l’homme et surtout à l’origine de la société moderne puisqu’il s’agit de fraudes. Nous avons commencé par mettre de l’eau dans le lait pour vendre l’eau au prix du lait. Remplacer une viande par une autre n’est pas un sport particulièrement français. Ces pratiques de fraudes étaient déjà présentes dans les sociétés primitives. En Chine, c’est un sport national : on remplace le bœuf par le porc. Ils y ajoutent des colorants et des additifs pour que l’on ne le remarque pas. Dans le cas de Findus, comme il s’agit de fraudes, on peut considérer que les industriels sont les responsables.

Mais il existe une conjonction d’éléments. Il y a des personnes qui fraudent et la mondialisation fait que les fraudes sont de plus en plus difficiles à détecter. Plus on éloigne les sources de production, plus les pratiques frauduleuses sont difficiles à détecter. Il faudrait réaliser des tests ADN systématiques pour arriver à réellement détecter ce type de fraudes.

Le fait que la fraude ait été détectée en Grande-Bretagne révèle-t-elle une défaillance des régulateurs français ?

Olivier Andrault : Je ne pense pas. En ce qui concerne la pression de contrôle au niveau français, il faut savoir que les fraudes ont toujours existé et qu’elles existeront toujours. Malheureusement, c’est le quotidien du service de la répression des fraudes et des services vétérinaires. Même s’il y a des gendarmes, il y a toujours possibilité de passer au travers des mailles du filet. Le premier problème est la faible pression des contrôles de la filière viande dont tous les acteurs se plaignent, y compris les industriels. Les industriels et les consommateurs sont unanimes pour se plaindre de la faiblesse des contrôles.

Nous nous sommes associés à la Fédération nationale bovine pour demander une plus grande pression des contrôles et un maintien des effectifs de contrôle qui ont fondu comme neige au soleil ces dernières années. Et nous sommes rejoints dans cette démarche par l’industrie agroalimentaire française, ce qu’il faut noter. Au cours des cinq dernières années, les services de la répression des fraudes ont fondu de 20%. Avant même cette fonte des effectifs en 2007 et en 2008, deux missions d’information vétérinaire menées pour le compte de la commission européenne avaient déjà montré des déficits importants en matière de contrôleurs officiels dans les abattoirs bovins et de volailles. Il ne s’agit donc pas d’une nouveauté

Nous ne demandons pas un contrôle à 100%, une part importante des contrôles restera sous la responsabilité des opérateurs, sous la forme d’autocontrôle. C’est le principe même de la règlementation européenne. La peur du gendarme est un moyen de remettre un peu de pression et d’inciter les opérateurs à s’autocontrôler.

Jean-François Narbonne : Lorsque les fraudes relèvent de pratiques peu courantes, il est difficile de les détecter. Cela signifie que si les fraudes de ce type ne sont jamais produites, on risque de passer à côté parce qu’on n’imagine même pas leur existence. Comme pour les voitures, on assure la sécurité que par l’expérience et ensuite nous mettons en place des systèmes pour que cela ne se reproduise pas. Et les fraudeurs ne manquent pas d’imagination pour défier les systèmes de sécurité, parce qu’on ne peut pas tout contrôler.

Cette fraude est très conjoncturelle. Il n’y avait pas matière à fraude car le cheval coûte trois plus cher que le bœuf. Simplement, cette viande n’était pas chère sur le marché à ce moment donné. Donc, ce n’est pas le type de fraudes que l’on recherche. Par ailleurs, les contrôles sont focalisés sur les risques bactériologiques, comme les salmonelloses. Les contrôles microbiologiques et sanitaires sont pour leur part très drastiques.

Par ailleurs il y a aussi la diminution des contrôles de fraudes en raison d’une élimination drastique de fonctionnaires.

Le consommateur, toujours à la recherche des prix les plus bas, n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans la quête de la baisse des coûts poursuivie par les industriels ? Les consommateurs s’ils veulent consommer des produits de qualité ne doivent-ils pas se résoudre à payer leurs aliments plus chers, c'est-à-dire à leur juste prix ?

Olivier Andrault : Oui, mais de combien ? La question que j’aimerais retourner aux industriels est quelle sera la marge supplémentaire ? Alors même que les ingrédients de base ne coûtent pas si chers que cela. On nous dit en permanence que les ingrédients coûtent chers. Néanmoins, un ingrédient de viande dans des lasagnes coûte quelques centimes d’euros alors que la barquette va coûter entre 3 et 4 euros. Avant que l’on prenne pour argent comptant l’argument qui dit que les ingrédients coûtent chers, je demande qu’on nous montre la construction des prix des produits alimentaires transformés.

Jean-François Narbonne : Tout à fait, le consommateur a sa part de responsabilités dans cette situation. On parle de low-cost mais c’est l’holocauste de nos sociétés, de nos civilisations et de notre santé. On entend sans-arrêt, à la radio, à la télé : « c’est moins cher, c’est moins cher »… Ca devient insupportable. Chacun est à la recherche du centime d’économie. On n’interdit la publicité comparative sur les médicaments et les produits de santé. Les aliments sont un des premiers vecteurs de santé et on autorise ce genre de publicités.

A l’époque de la crise de la vache folle, Carrefour avait essayé de faire une politique très volontariste au niveau de la qualité. En mettant en place cette politique de qualité, ils avaient perdu des parts de marché. Les actionnaires belges ont réagi et ils ont mis en place une politique de prix hard discount au détriment de la qualité. Ils ont récupérer leur clientèle de cette façon. En mettant en place une politique de premiers prix, ils ont récupéré leur clientèle. Coluche disait : "pour pas que ça se vende, il suffirait de ne pas l’acheter".

Réduire le nombre d’intermédiaires permettrait-il de consommer moins cher tout en minimisant les risques sanitaires ?

Olivier Andrault : Consommer moins cher, je ne sais pas mais minimiser les risques sanitaires, c’est indubitable. Au-delà de la fraude identifiée dans l’affaire Findus, on voit très clairement la complexité des filières, qui concerne l’ensemble des filières agroalimentaires. Pour nous, cette complexité est un risque sur la garantie de la traçabilité. Plus il y a d’acteurs, plus il est difficile pour le commanditaire de savoir qui a fabriqué le produit. Par ailleurs, la variabilité des fournisseurs est un élément qui met gravement en danger le principe de la traçabilité au niveau européen. La traçabilité est une chaîne d’informations qui permet aux commanditaires du produit mais aussi aux services de contrôle officiels de retracer l’origine du produit, notamment lorsqu’il y a un problème sanitaire.

Ce cas est exemplaire, car heureusement il n’y a pas eu mise en danger des consommateurs mais il est suffisamment emblématique pour souligner les risques de la complexité des filières et le comportement de certains acheteurs font porter à la traçabilité avec des impacts potentiellement sanitaires.

Jean-François Narbonne : Lorsque l’on traite l’agroalimentaire comme un produit industriel, c’est-à-dire que l’on cherche l’endroit où le coût de la main-d’œuvre est moins cher, les conséquences peuvent être lourdes. Car ainsi vous augmentez le nombre d’intermédiaires et donc les problèmes de traçabilité.

Si vous voulez acheter en Chine, il faut connaître la Chine. Et le directeur de la filière transformation qui fait ses lasagnes, je ne suis pas sûr qu’il connaisse bien les abattoirs chinois. Ajoutez à cela le transporteur, etc… Dans ces pays, souvent les contrôles n’existent pas. Dans ce cas, il faut que le contrôle soit assuré localement pour le distributeur en France. Cela se fait dans certains cas, notamment pour les crevettes. Toutes les étapes sont certifiées par des organismes sur place.

Le problème ne se situe-t-il pas également dans la puissance des centrales d’achat capables d’imposer leur prix aux producteurs ? 

Olivier Andrault : Je dirais que le problème est ailleurs. Un des aspects importants est de rendre au consommateur sa capacité à choisir. Nous demandons la création d’une association de consommateurs européenne et l’étiquetage des produits transformés. Nous essuyions un refus ferme aussi bien des industriels que des autorités européennes qui prennent fait et cause pour les fabricants. Finalement, tout le monde y gagnera.

Jean-François Narbonne : Oui, bien sûr. Les pressions exercées par les centrales d’achat forcent à délocaliser. Et au niveau écologique, les conséquences peuvent être terribles. Par exemple, certaines tomates peuvent être produites au Maroc à Agadir, alors qu’il n’y a pas d’eau. Cette région est quasiment déserte et est devenue productrice de fruits et légumes et en particulier de tomates, très gourmandes en eau. C’est un non-sens écologique, alors que nous avons de l’eau. Pourquoi dans ce cas, la grande distribution importe des tomates du Maroc ?

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