Industrie automobile : qui va survivre ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Produire en Europe de l’Ouest tendra à devenir une exception, limitée au haut de gamme, aux séries spéciales et aux voitures innovantes.
Produire en Europe de l’Ouest tendra à devenir une exception, limitée au haut de gamme, aux séries spéciales et aux voitures innovantes.
©Reuters

Apocalypse maintenant... ou demain

Avec une baisse de 9% des immatriculations de voitures neuves au mois de juin, l'industrie automobile semble glisser vers une apocalypse à laquelle tous les constructeurs ne survivront pas.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Qui sont les constructeurs automobiles européens ayant les clés pour sortir de la crise du secteur automobile du vieux continent ? Quelles sont les stratégies salutaires qu’ils ont mis en œuvre ?

Jean-Pierre Corniou : Il faut résolument distinguer les marchés européens des constructeurs européens car leur sort est désormais dissociable. Les constructeurs européens peuvent survivre à une atonie durable de ce qu’il faut appeler leur marché historique local car ils sont mis en place avec plus ou moins de succès une stratégie mondiale qui les conduit à vendre et à produire partout dans le monde. Leur succès viendra de leur capacité à se redéployer rapidement dans les pays où la demande est la plus forte et où les coûts de production sont les plus bas. Produire en Europe de l’Ouest tendra à devenir une exception, limitée au haut de gamme, aux séries spéciales, aux voitures innovantes. D’ores et déjà la plupart des voitures d’entrée de gamme sont construit à l’Est de l’Europe, Slovénie et Turquie pour Renault, Slovaquie pour PSA

Pour gagner cette empreinte mondiale, il faut disposer d’une base industrielle en Asie, et principalement en Chine, aux Etats-Unis, en Europe centrale et de l’Est et en Amérique Latine. Aujourd’hui seul le groupe Volkswagen, groupe multi-marques, peut se hisser à ce niveau réellement mondial. Mais Renault, grâce à Nissan qu’il contrôle à 43,4 %, dispose avec l’Alliance de cette taille mondiale qui l’a d’ailleurs porté en 2011 au troisième rang mondial des constructeurs avec 8 millions de véhicules. Néanmoins l’intégration industrielle de l’Alliance n’est pas comparable à celle de Volkswagen car l’Alliance n’est pas un groupe, mais un rapprochement capitalistique sous présidence commune et, pour une part croissante, mais encore faible, une mise en commun d’organes et de solutions techniques. La recherche de nouvelles synergies est toutefois un leitmotiv fort au sein de l’Alliance avec un objectif de 4 milliards d'économie d'échelle en 2016 contre 2,3 en 2012.

La situation des autres européens est moins confortable. Il n’est pas sûr que Ford et GM aient perpétuellement envie de jouer  un rôle minoritaire en Europe avec des filiales en difficulté économique et qui régressent en part de marché. Fiat a pris une position de contrôle au sein du troisième américain, Chrysler, et continue de monter à son capital à tel point que son administrateur général, Sergio Marchionne menace périodiquement de transférer le siège de la vénérable société italienne aux Etats-Unis.

Se dirige-t-on vers une hécatombe de l’industrie automobile pour les sites non rentables? Quels sont-ils ?

Hécatombe est un mot fort. Ce ne sera pas un massacre mais une contraction contrôlée, encadrée par les Etats qui voient encore dans l’automobile une pièce majeure de toute politique industrielle. Le processus a été engagé par Renault avec la fermeture en Belgique de son site de Vilvorde en 1997. On estime aujourd’hui que sur les 43 usines de carrosserie-montage que comporte l’Europe 10 sont menacées de fermeture, impliquant 80000 emplois. De très nombreux rapports comme les déclarations des constructeurs estiment à plus de trois millions, en hypothèse basse, la capacité de production durablement excédentaire en Europe.

En France, le sort de l’usine PSA d’Alnay a été scellé. On sait que toutes les usines françaises de Renault tournent au ralenti et exploitent les accords de flexibilité comme le chômage partiel. Mais le constructeur s’est engagé cette année dans un important accord de compétitivité à maintenir sa capacité de production à 800 000 véhicules/an sans fermeture de site en échange de concession horaires et salariales.

La déconstruction de l’industrie automobile britannique, qui n’a plus de constructeur national, s’est faite avec une forte réduction du nombre d’usines historiques et d’emplois : Ford Dagenham (2002), Jaguar Coventry (2004) GM Luton (2002), PSA Ryton (2007), MG Rover Longbridge (2005). Mais les marques survivantes se portent bien, comme Land Rover et Jaguar, devenus indiens, ou Rolls Royce et Mini, bavaroises. La meilleure usine automobile européenne est Sunderland qui appartient à Nissan et atteint une excellente productivité de plus de 500 véhicules construits par an et par personne.

En Suède l’usine Saab à Trollhättan s’est arrêtée  en juin 2011. La même année, le groupe automobile Fiat a fermé, pour des raisons de coûts, son usine de Termini Imerese en Sicile avec1 600 personnes.

Le cas de l’Espagne est complexe. Naguère pays « low cost », le niveau des coûts s’est rapproché de la moyenne franco-allemande, mais avec des voitures entée et moyenne gamme. La compétitivité espagnole est en cause alors que le marché national se dérobe. La Belgique, qui n’a pas de constructeur, avait réussi à voir se développer une industrie automobile riche. Elle est désormais en cours de régression avec les fermetures des usines Ford de Genk en 2014, Opel à Anvers en 2010. Mitsubishi vient d'annoncer en 2012 la fermeture de son usine de Born, au Pays-Bas, qui emploie 1 500 personnes.

Parmi les innovations automobiles et au-delà de l’engouement médiatique, quels sont les modèles les plus à même de réussir ?

Jean-Pierre Corniou : L’Europe sait bien faire deux types de véhicules en grande série: les petites voitures qui ne sont plus exclusivement latines, avec BMW MINI et Mercedes Smart, et les berlines haut de gamme statutaires et sportives, avec BMW, Mercedes,  Audi, Volvo. Il faut ajouter un troisième bloc faible en volume mais vecteur d’image, les grands tourismes et supercars, avec les marques historiques Ferrari, Porsche, Jaguar, Maserati, Lamborghini, Aston Martin, Bugatti… Bentley et Rolls Royce sont à part et se développent.

Sur le marché mondial l’Europe excelle dans le haut et très haut de gamme, symbole de luxe où ni le prix ni la consommation de carburant n’entrent en ligne de compte. Il est important de conserver à cet artisanat d’exception sa place mondiale. C’est une signature européenne durable qui protège durablement les constructeurs premium. Les grandes berlines et SUV européens ont en Chine un succès durable. Il s’y est vendu, en 2012, 1,25 million de voitures haut de gamme pour un coût supérieur à 145 000 €, mais les Chinois commencent à en prendre ombrage et à encourager leurs propres constructeurs à s’attaquer à ce créneau prestigieux et rémunérateur, comme le tente Qoros, tout en limitant les marques occidentales auxquelles peuvent accéder les administrations. Ce n’est toutefois pas la résurrection de la très maoïste berline Drapeau Rouge qui risque de faire ombrage aux Audi et Mercedes officielles.

Force est de reconnaître que la petite voiture européenne s’exporte mal en Chine ou aux Etats-Unis et que l’Afrique raffole des pick-up Toyota et délaisse les Peugeot historiques.

Mais la rationalité conduit à continuer à développer en Europe des petites voitures, mieux adaptées à la logique urbaine, compactes, silencieuses, faiblement émettrices de CO2 ou mieux encore électriques. La réglementation européenne qui prévoit 95 g/CO2 par km en 2020 oblige les constructeurs à innover pour réduire les consommations et donc les émissions. Les constructeurs allemands tentent, avec peine, d’y parvenir sans changer leurs orientations techniques majeures alors que Fiat, Renault et PSA sont bien placés. Il est certain que les autres continents seront obligés de prendre des mesures de même type, comme les Etats-Unis ont commencé à le faire et la Chine confrontée à une grave situation sanitaire due à la pollution atmosphérique sera obligée de le faire.

Toutefois, la montée des modes de propulsion alternatif, électrique, hybride, ou électrique à prolongation d’autonomie, dans le parc est trop lente pour bousculer les habitudes des consommateurs qui en France continuent à privilégier les petites voitures  (53% des ventes), et le carburant diesel.

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