Immobilier : Paris et ces autres villes françaises devenues des « héritocraties »<!-- --> | Atlantico.fr
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A Paris, le prix du mètre carré, qui était autour de 2 500 € au début des années 2000 est maintenant aux alentours de 10 000 €, voire plus dans les arrondissements les plus chers.
A Paris, le prix du mètre carré, qui était autour de 2 500 € au début des années 2000 est maintenant aux alentours de 10 000 €, voire plus dans les arrondissements les plus chers.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Envolée des prix

La flambée des prix immobiliers touche toutes les grandes villes françaises.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : En réaction à un article du Financial Times sur le prix de l’immobilier à Londres, dans lequel la ville est décrite comme une "héritocratie", on peut dire que la situation est semblable à Paris. Comment en est-on arrivés là ?

Alexandre Delaigue : Cette situation s'explique par le fait que les prix ont extrêmement augmenté. L'offre n'a pas tellement augmenté parce que la superficie est relativement contrainte et que la quantité d'endroits attractifs est par nature limitée ; et en même temps la demande a augmenté considérablement sous l'effet de différents facteurs : taux d'intérêt relativement bas ; forte volonté d’investir dans différents actifs qui ont donc vu leur valeur augmenter (immobilier, art, etc.). Tout ce qui est désirable et qui peut constituer un actif voit sa valeur fortement augmenter.

A Paris, le prix du mètre carré, qui était autour de 2 500 € au début des années 2000 est maintenant aux alentours de 10 000 €, voire plus dans les arrondissements les plus chers. Les prix ont été multipliés par quatre, avec une moyenne de +6% par an en euros constants depuis 1997. Les prix ont même été multipliés par plus de dix depuis soixante ans : en 1960, le prix médian au mètre carré était de 525 francs, soit 870 euros si l’on prend en compte l’inflation. A l’époque, un mètre carré valait alors l'équivalent de 1,85 mois de salaire minimum, contre sept mois aujourd’hui.

Or, à 10 000 € le mètre carré, avoir 50 mètres carrés – ce qui est vraiment le strict minimum pour loger une famille - coûte 500 000 €. Si vous allez voir une banque pour acheter à ce prix, on va vous demander quasiment 100 000 € d'apport, ce qui n'est facile à avoir, et l’emprunt de 400 000 € va vous coûter un peu plus de 2 000 € par mois, peut-être même davantage maintenant que les taux ont augmenté. Cela vous oblige à avoir un niveau de salaire aux alentours de 6 000 € par mois, ce qui vous place dans les 3 % de revenus les plus élevés de la population. C'est une barre extrêmement haute, sachant que la moitié des salariés du privé touchent moins de 2 000 € net par mois. Avec un niveau de vie médian, les Parisiens pouvaient prétendre acheter 49 mètres carrés en 2000, contre à peine 30 mètres carrés aujourd’hui.

La situation est-elle similaire dans d’autres villes françaises ?

Oui, la situation est similaire dans le centre des grandes villes : à Bordeaux, les prix ont augmenté de 73,97% en dix ans, selon la note de conjoncture immobilière nationale ; à Lyon, deuxième ville la plus chère de France, de 67,03%. Nantes, Rennes et Strasbourg aussi, voient leurs prix augmenter (+40% en dix ans), même si elles sont encore à des niveaux raisonnables. C'est lié au même problème : c'est là que se trouvent les emplois et il est assez difficile d'y augmenter la quantité de surface de logements.

Il y a aussi un mécanisme économique assez particulier : plus il y a de gens dans une ville et plus être dans cette ville est attractif, parce que ça augmente le type d'emplois disponibles, l’offre culturelle et de consommation, etc.. Il y a une dose de polarisation dans l'économie urbaine. Quand une ville perd une partie de sa population, on pourrait se dire que c'est bien car les prix vont baisser ; mais cela en réduit l'attractivité car des services et commerces vont hésiter à s'y installer.

Au lieu d'avoir un mécanisme économique normal, dans lequel les prix élevés devraient dissuader les acheteurs, dans la pratique, ces prix renforcent l'attractivité de l'endroit.

Quelles sont les conséquences concrètes sur la population ?

Cette situation pose une question pour la soutenabilité même des villes en question, car il y a toute une série de services pour lesquels il risque d'y avoir un problème de qualité et d'accès. Au bout d'un moment, les gens vont se retrouver à une trop grande distance de la ville. Comment faites-vous pour avoir des professeurs d'école qui peuvent habiter dans la ville et travailler dans ses écoles ? Plus la durée de transport augmente, plus les gens sont mécontents, ce qui a des conséquences sociales significatives. Ça peut aussi créer un phénomène dans lequel une ville se retrouve remplie de logements qui sont des actifs financiers, du type résidence secondaire, et pas des lieux d'habitation.

Beaucoup de maires font assaut de bons sentiments et évoquent à longueur de journée la mixité sociale. Est-ce que cette mixité est possible ?

La mixité sociale, quand elle est fabriquée de manière totalement artificielle, par exemple quand une commune va racheter un immeuble pour y mettre des familles défavorisées, ne fonctionne pas bien. Ce qui favorise la mixité et l’ascension sociale, c'est le fait d'avoir une grosse classe moyenne dans une ville. C'est cette classe qui crée la mixité sociale car elle permet à des gens aux revenus un peu différents de se côtoyer. Si vous avez une ville peu accessible pour les classes moyennes, votre mixité sociale va être celle de l'époque où vous aviez, dans les immeubles haussmanniens, des appartements luxueux pour les gens très riches et des chambres de bonne sous les toits. La mixité sociale, ce n'est pas simplement avoir des catégories sociales différentes physiquement au même endroit, car ça n'empêche pas une dose de ségrégation sociale. Sans une classe moyenne et la fourniture de services moyens pour une population large, très vite on va avoir des services séparés entre riches et pauvres.

Une autre conséquence de cette société où seuls les héritiers et les plus riches peuvent acheter, c’est que l’on revient à une situation digne du XIXe siècle où travailler toute une vie ne vous permettait pas d'acquérir un capital. Il y avait une vraie différence de classe complète entre les capitalistes - des gens qui avaient des actifs et les transmettaient à leur descendance - et les gens qui travaillaient. Il était impossible de passer d'une catégorie à l'autre car le revenu du travail ne permettait jamais d'atteindre une situation équivalente à celle des rentiers, sauf en se mariant avec une riche héritière. Le fait que la valeur du patrimoine ait beaucoup baissé au XXᵉ siècle et que, dans le même temps, les revenus du travail aient augmenté et donc créé une classe moyenne et a permis d'atteindre un taux de propriétaires supérieur à 50 %.

Quand la valeur du patrimoine devient telle qu'on ne peut pas y accéder avec un salaire normal, on se retrouve à recréer de l'inégalité durable.

Est-il possible de corriger cette situation ?

On peut imaginer qu'à terme, il y aura une forme de rééquilibrage car la population va avoir tendance à diminuer. On le voit dans de grandes métropoles dans lesquelles les prix de l'immobilier n'ont pas augmenté dans la même proportion. A Tokyo, indépendamment du fait que la pression démographique est un peu moins forte parce que le Japon est un pays dont la population diminue, un élément important est la grande liberté dans la possibilité de construire. Au bout du compte, la seule manière de lever un petit peu le verrou, c'est d'augmenter les surfaces accessibles, c'est à dire de faire en sorte d'augmenter la quantité de logement, d'augmenter la taille des villes. A Paris, le problème est que la ville ne peut pas vraiment s'étendre, mais on pourrait imaginer d’intégrer les villes de la petite couronne et de faire de Paris une ville à 30 ou 35 arrondissements. On pourrait aussi augmenter les hauteurs. Même si l’haussmannien est très bien, on n'est pas obligés d'avoir partout des immeubles homogènes. On pourrait réfléchir à ce genre de possibilités de faciliter la construction. Mais politiquement, c'est une position extrêmement difficile à tenir.

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