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Comment les classes moyennes
se suicident au logement
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Toit toit, mon toit

"Combien, pour cette maison, dans la vitrine ?" Les classes moyennes bavent devant des biens toujours trop petits, trop loin de leur lieu de travail, pour lesquels ils doivent maintenant s'endetter sur 25 ou 30 ans. Et qu'ils ne pourront pas transmettre à leurs enfants, fiscalité oblige ! Suicidaire.

Anthony  Mahé

Anthony Mahé

Anthony Mahé est sociologue à l'ObSoCo (Observatoire Société et Consommation). Il est spécialisé dans les domaines de l'imaginaire de la consommation et de la sociologie du quotidien. Il a réalisé une thèse de doctorat sur le recours à l’endettement bancaire à l'Université Paris-Descartes.

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La flambée des prix de l’immobilier, un sujet qui taraude les médias et les conversations de bistrot depuis plus de dix ans. Certains experts parlent de bulles et prédisent un retournement du marché, certains professionnels sont eux, plus sceptiques. Beaucoup de débats économiques, politiques même, mais comment les Français vivent-ils cela ?

On a peut-être tendance à réduire trop rapidement l’accès à la propriété à sa pure dimension d’investissement financier. La réalité vécue par les classes moyennes va bien au-delà des débats sur la spéculation.

Il est intéressant de constater que malgré la hausse des prix, l’accès à la propriété reste un rêve pour la majorité des Français. Mais c’est peut-être le rapport à la propriété qui s’est transformé. Rappelons que pour Bourdieu, l’achat immobilier relève autant d’une stratégie sociale de reproduction, fonder une famille, que d’une stratégie de placement économique. En effet, la maison regorge d’une dimension symbolique et affective extrêmement puissante. La famille est au cœur de la démarche, elle est le sens même de la propriété pour les classes moyennes dont la recherche de plus-value, si elle reste présente, n’est pas l’unique préoccupation.  C’est peut-être cette structure sociologique qui est trop ignorée.

De fait, l’accélération du marché de l’immobilier dans sa forme capitalistique qu’il connaît aujourd’hui corrèle ce qu’on appelait dans les années 60 le déclin de la famille. En effet, la transmission des biens par voie d’héritage, transmission familiale par excellence, connaît depuis cette époque un fort recul, ce qui a favorisé le recours au crédit, progressivement démocratisé par les politiques publiques. A ce moment, le rôle de la famille est minimisé dans l’accès à la propriété et le processus achève de déconnecter la maison de sa réalité vécue pour en faire une marchandise rationnelle et sans âme, en somme un marché. Combien d’intellectuels de cette époque ont alerté sur ce phénomène ? Bourdieu, Baudrillard, Klossowski, etc.

Pourtant, il convient peut-être de ne pas rester bloqué sur ces analyses. Il faut les acter et continuer à observer. Et que voit-on justement ?

L’accès à la propriété reste un rêve pour la majorité des Français

On constate un recours particulièrement important depuis quelques années à des dépenses liées à l’habitat et au confort intérieur. Le bien-être chez-soi est devenu un axe majeur et corrèle la volonté de s’équiper et d’aménager son intérieur pour en faire un véritable « chez-soi ». L’esthétique des pièces à vivre prend le pas sur la pure fonction utilitaire, comme la cuisine qui devient de plus en plus un espace de réception de ses proches et plus seulement la pièce du cordon bleu, qu’il faut donc décorer comme les autres pièces.

Ce surinvestissement de la sphère privée, qui est une véritable tendance de fond, est une sorte de repli domestique face à l’incertitude du monde extérieur. La bulle de l’immobilier n’est pas seulement financière, il y a aussi une bulle protectrice que chacun se confectionne pour aspirer à mener une vraie vie « terrestre » loin des spéculations métaphysiques de quelques protagonistes.

Cette bulle protectrice est malheureusement aussi fragile que la première. Cela suppose un recours accru à l’endettement alors que l’accompagnement des banques et de l’Etat sur ce plan reste timoré. Cela suppose d’habiter plus loin des bassins d’emplois pour réaliser ce projet de vie au risque de fragiliser sa situation professionnelle.

"Les mœurs précèdent toujours le droit" affirmait Durkheim, il en est de même pour la vie économique. Au jeu des prédictions, disons que si l’émergence du capitalisme est bien enracinée sur une standardisation des bien marchands échangeables, alors le vrai retournement de situation serait à observer dans ce repli émotionnel qui annonce peut-être une transformation des motivations d’achat d’un bien immobilier centrées autour du bien-être et non plus seulement du lieu géographique.

Cette distance entre les besoins avancés des Français et les acteurs du monde économique ne pourra pas tenir longtemps. Ce n’est plus l’accès à la propriété en soi qui prédomine mais la manière de vivre sa propriété. Ce changement de paradigme risque d’être lourd de conséquences et obligera à terme les professionnels à prendre en considération la part de symbolique qui existe, tout simplement parce que l’immobilier est inséparable de sa fonction d’habiter et de vivre-ensemble. De nombreuses industries ont dû se réinventer à cause de cette distance introduite par la marchandisation exacerbée des rapports (les banques, les assureurs, la grande consommation). La prémisse du secteur immobilier est peut-être déjà là. 

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