Il a voulu s’appeler François parce qu’il voulait être Français…<!-- --> | Atlantico.fr
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François Cheng pose, le 13 juin 2002, après son élection à l'Académie française.
François Cheng pose, le 13 juin 2002, après son élection à l'Académie française.
©JACK GUEZ / AFP

Penseurs d’hier, politiques d’aujourd’hui : la chronique d’Isabelle Larmat.

Lisez François Cheng pour redécouvrir à quel point la France peut être belle.

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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« UNE LONGUE ROUTE pour m’unir au chant français » est le titre du livre autobiographique que nous donne, au soir de sa vie, l’académicien François Cheng. Il s’agit d’une œuvre -testament stimulante et nécessaire. Tout d’abord parce qu’elle rend compte du parcours de vie exceptionnel de ce poète français, venu de la Chine lointaine. Mais encore et surtout parce qu’elle redessine le tracé effacé du chemin souvent raide que doit emprunter tout Français ou quiconque aspire à le devenir.

L’auteur nous livre ainsi, en cette époque qui nous chahute comme autant de bateaux aussi ivres que veules, soumis à la loi du moindre effort et abandonnés aux bons soins d’un vivre-ensemble qui s’avère chimérique, le mode d’emploi pour faire nation. Je ne peux résister à citer ici la phrase d’Oscar Wilde que les adolescents, épris d’idéal, placardent encore sur les murs de leur chambre : « Il faut toujours viser la lune, car même en casd’échec, on atterrit dans les étoiles. » De même, dans son ouvrage, François Cheng nous dit, et nous ne pouvons qu’y être sensibles en ces temps de déferlante migratoire alors que se pose la question de l’accueil : visons l’assimilation, nous obtiendrons à tout le moins l’intégration.

Voyons tout d’abord les grandes lignes de cette exceptionnelle destinée placée sous le signe d’un travail acharné. François Cheng est né le 30 août 1929, dans une famille chinoise lettrée. D’emblée, il doit fuir la guerre : le Japon s’est lancé à la conquête de la Chine. C’est : « L’irruption du mal radical dans sa conscience d’enfant. » et l’exode avec sa famille dans un pays dévasté. Pourtant, lors d’une halte, l’été, au bord d’un lac, la beauté apaisante de l’eau le pacifie et surtout lui révèle les propriétés démiurgiques du verbe : « La naturepossède le pouvoir de métamorphose, l’eau est son moteur et son modèle. Nous les humains, possédons aussi un pouvoir de métamorphose : notre verbe. »

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Commence alors une vie vouée à la littérature et plus particulièrement à la poésie. En 1948, sa famille, de passage à Paris, décide d’émigrer aux États-Unis. Lui choisira de rester dans la Ville Lumière. Il ne parle pas un traître mot de français. « La terre française sera ma terre, la langue française sera ma langue. » Dans la précarité voire le dénuement, il se met à fréquenter assidûment la bibliothèque Sainte-Geneviève. Il déchiffre Baudelaire, Rimbaud et surtout Rilke qui ouvrira son âme à la voie orphique. Il rencontre Gide, Tzara, Guillevic, Claude Roy, Seghers et Vercors avec lequel il se liera d’une amitié profonde.

Dans les années 60 Cheng découvre le structuralisme et travaille avec Berger, Greimas, Damiéville, Lacan. L’autodidacte se lance alors dans la traduction en chinois de poèmes français puis de poèmes chinois en français. Il enseigne également au Centre de linguistique chinoise (futur Centre de recherches linguistiques sur l’Asie orientale). « Toutes ces années1970, je les consacre (…) à un travail intense d’écriture et de réflexion. Au long de cette besogne, c’est peu dire que je navigue entre deux cultures, effectuant un va- et -vient passionné propre à un acte d’épousailles. »

Naturalisé français en 1971, il choisit le prénom François, en référence à Saint François d’Assise. C’est un témoignage d’amour au pays qui est devenu le sien. Il mène alors de front l’enseignement et l’édification de son œuvre. De cette abondante production se détachent neuf ouvrages : « Publiés pêle-mêle au long des décennies, sans aucun plan préétabli, ils obéissent à un rythme ternaire. » nous dit l’auteur : trois romans, trois essais, trois recueils de poèmes. François Cheng n’est pas seulement écrivain, il est aussi auteur de nombreuses calligraphies. Le 13 juin 2002, il est élu à l’Académie française et depuis 2008, membre d’honneur de la fondation Chirac, créée pour agir en faveur de la paix dans le monde. Il est également membre de l’Observatoire du patrimoine religieux, une association multiconfessionnelle qui œuvre à la préservation et au rayonnement du patrimoine culturel français.

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Magistrale leçon de vie que nous offre François Cheng. Soulignons en préambule que le sage réhabilite la mort alors que notre civilisation moderne s’efforce de l’occulter. Or sans l’acceptation de la mort, point de dépassement de soi. « Sans la mort, la Vie ne serait qu’un ordre de robot. Avec la mort, la Vie devient un processus dynamique. Paradoxalement, la mort constitue le mécanisme le plus vital de la Vie. »

Cheng, qui a choisi pour prénom François également parce qu’il contenait le mot « Français », a illustré plus que personne la formule de Paul Valéry que lui cita, un jour, la file du poète : « La France est un creuset où l’on devient Français. Dans l’esprit de mon père, cette phrase nes’appliquait pas seulement aux étrangers qui viennent vivre en France, mais à tous les Français de souche, en ce sens où ils ont à faire un effort conscient pour intérioriser la vocation spécifique de la France. » François Cheng, quant à lui, ajoute : « Moteur de lanation, la langue est là quiunit et élève. » Il poursuit : « (…) le français incarne toujours une exigence éveillée de l’esprit. Ce derniertrouve en lui son meilleur refuge. Une menace pour la langue française ne pourrait venir que des français eux-mêmes. La langue évoluera, il dépend d’eux que ça ne soit pas dans le sens d’un avachissement. » C’est donc ce Français venu d’ailleurs qui nous donne l’une des clés d’une assimilation qui pourrait être à tout le moins celle d’une intégration réussie.

Accueillir, ça n’est pas ouvrir grand des frontières à des hommes, des femmes et des enfants pour les laisser s’entasser dans des cloaques en bordures des grandes villes. Accueillir oblige.Il faut être capable de transmettre l’amour de son pays, sa culture et surtout d’enseigner rigoureusement sa langue. En l’état cela semble pour l’instant impossible et pourtant… Si tel était le cas, dans un monde utopique, nous aurions alors des citoyens d’exception susceptibles de réhabiliter la beauté de notre pays.

Laissons le dernier mot à François Cheng : « Je suis parvenu à ma manière, à rendre visible lameilleure part d’une culture qui m’habitait, sans ignorer que cela ne m’a été possible que grâce à la meilleure part d’une autre culture, laquelle, entre-temps, m’a procuré des références et une vue assez élevée pour tout embrasser. A la base de ce long processus réside l’incontournable langue. Cette langue tant convoitée que j’ai tenté de conquérir de haute lutte (…) »

François Cheng, UNE LONGUE ROUTE pour m’unir au chant français, Albin Michel, 2022, 257 pages.

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