Idéologie politique du chef de l’Etat : le Macronisme est-il le progressisme qu’il dit être ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse.
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse.
©JAVIER SORIANO / AFP

Bonnes feuilles

« Le dictionnaire du progressisme » est publié aux éditions du Cerf sous la direction de Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois. Après les dictionnaires des conservatismes et des populismes, la même équipe rassemblant 130 chercheurs internationaux décrypte le progressisme. Une somme politique foisonnante pour comprendre notre époque. Extrait 1/2.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Olivier Dard

Olivier Dard

Olivier Dard est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV), membre de l’UMR Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (CNRS UMR 8138) et coresponsable de l’axe 2 (épistémologie du politique) du LABEX « Écrire une histoire nouvelle de l’Europe » (EHNE). Spécialiste d’histoire politique, il a notamment publié La Synarchie. Le mythe du complot permanent, Perrin, 1998 ; Le Rendez-vous manqué des relèves des années 30, PUF, 2002 ; Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005 ; Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008 ; Charles Maurras. Le maître et l’action, Armand Colin, 2013. Il a dirigé et codirigé une trentaine d’ouvrages collectifs consacrés principalement aux droites radicales en Europe et aux Amériques.

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Frédéric Rouvillois

Frédéric Rouvillois

Frédéric Rouvillois est Professeur de droit public à l’université de Paris. Il est à l'origine de la Fondation du Pont-Neuf. Dernier livre paru : Liquidation, Emmanuel Macron et le Saint-Simonisme, Cerf, sept. 2020.

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Le macronisme est-il un progressisme ? Pour pouvoir répondre à cette question en forme de pastiche, encore faudrait-il savoir s'il existe bien : c'est-à-dire si on peut le considérer comme un systeme cohérent (comme on dirait « le cartésianisme »), ou si, à l'inverse, il ne s'agit que d'un terme commode désignant, soit une collection d'actes et de discours qui n'ont en commun que leur auteur, soit l'attitude de ceux qui le soutiennent (comme lorsqu'on parle du « sarkozysme » de l'electorat de droite).

Le macronisme existe-t-il ? A l'appui d'une réponse négative, on pourrait mettre en avant la carrière publique et privée d'Emmanuel Macron, son habilite manœuvrière, sa souplesse intellectuelle et un pragmatisme qui faciliteront grandement, en 2014, son entrée au gouvernement. Au premier abord, le personnage donne le sentiment que, pour lui, les idées seraient avant tout des instruments au service d'une politique et d'une ambition personnelles.

Cette impression semble confortée par la répétition ad nauseam de la célèbre formule « en même temps » : et donc, au-delà du souci de nuancer le propos, par la coexistence avouée, au sein du discours macronien, de positions qui, à force d'être contradictoires, finissent par ressembler à de simples postures. D'autant que cet « en même temps » est loin de ne porter que sur des questions accessoires : c'est ainsi qu'Emmanuel Macron déclare que «la France, en tant que nation, n'est pas née en 1789» (France Culture, 9 mars 2017), ou que depuis la mort de Louis XVI elle a toujours souffert d'un défaut d'incarnation ressenti comme un « vide » (Le Un, 8 juillet 2015), et en même temps, qu'elle est «républicaine par nature e (Révolution, p. 50). Avant même son élection, il souligne le besoin de verticalité du pouvoir et la dimension Jupitérienne de son détenteur (Challenges, octobre 2016), tout en appelant à la mise en place d'une « République contractuelle» (Révolution, p. 259) et à la promotion de « l'horizontalité » du débat public (20 Minutes, 7 avril 2016). Il déplore le malheur d'une France qui « perd son identité (Révolution, p. 53), mais exècre l'idée d'une «identité figée, fermée, repliée sur un âge d'or fantasmé (ibid., p. 169) ; appelle à aimer l'histoire de France dans sa totalité, mais dénonce son passé colonial comme un «crime contre l'humanité» (Le Monde, 16 février 2017) ; proclame son e attachement au terroir» (Révolution, p. 45), mais vomit la formule «Français de souche »; répète que e la France est un bloc » et que «notre histoire et notre culture constituent notre socle commun » (ibid., p. 176), avant de déclarer qu'« il n'y a pas une culture française », mais « une culture en France, diverse et multiple» (Discours de Lyon, 4 février 2017) joue sans états d'âme, selon Gaël Brustier, la « contestation des élites par les élites au bénéfice des élites » (L'Humanité, 3 mars 2017); revendique, enfin, un libéralisme que certains qualifient de «  chimiquement pur » tout en martelant sa conviction que « l'État a évidemment toujours vocation à jouer le rôle central» (Révolution, p. 259), mais en accélérant le démantèlement de celui-ci à travers les transferts de souveraineté à des instances privées ou supranationales.

Au total, ces positions font penser à un manteau d'Arlequin composé de pièces non seulement incompatibles, mais instables, Macron n'hésitant pas à répéter que sa vision du monde a changé : «Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, [...] sans que rien n'ait changé », assure-t-il ainsi le 10 décembre 2018 au début de la crise des Gilets jaunes ; même chose le 23 août 2019 à propos des questions climatiques : «J'avais des convictions... J'ai changé [...] très profondément ces derniers mois, très profondément, j'ai beaucoup lu, beaucoup appris»; puis à nouveau le 13 avril 2020, en pleine épidémie du covid-19 : «  Le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif [...] Sachons [...] nous réinventer— et moi le premier. »

Arrivé à ce point, on est donc tenté de conclure que, visiblement contradictoires et si susceptibles de changements, ces idées, manipulées avec brio au gré des circonstances, ne forment pas un système cohérent : guère plus qu'un arsenal rhétorique adaptable à différents auditoires. D'où l'on semble pouvoir déduire que le macronisme n'existe pas en tant que tel. Qu'il n'est qu'un mot. Une étiquette.

Pourtant, cette conclusion décevante paraît d'emblée en décalage avec l'image que Macron donne de lui-même, mais aussi, avec ce que décrivent ceux qui ont observé plus attentivement ce «philosophe en politique» (Le Un, 8 juillet 2015). Certes, reconnaît ainsi Brice Couturier, «Emmanuel Macron ne se présente pas comme un "philosophe". [...] Mais à étudier de près ses discours, ses articles, ses interventions et son livre programmatique, il est évident que sa pensée s'est abreuvée à des sources philosophiques » (B. Couturier, p. 27) : et si certains «ont dénoncé un programme flou, inconsistant, équivoque » et purement opportuniste, c'est «qu'ils ne savent pas lire ».

À ce propos, Brice Couturier observe que Macron « est un défenseur acharné des Lumières, de leur idéal d'autonomie individuelle, et un rationaliste convaincu. Loin de dépasser les idéologies» — dans le cadre d'un utilitarisme intégral ou d'un relativisme postmoderne —, « il est l'un des rares politiques à en défendre, au contraire, l'impérieuse nécessité» (ibid., p. 64). « Je crois à l'idéologie politique », déclare-t-il en 2015. « L'idéologie, c'est une construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant sens, et qui donne ainsi une direction à votre action» (Le Un, 8 juillet 2015) : et même s'il s'agit aujourd'hui d'« un mot qui fait peur » (La vie, 22 décembre 2016), elle n'en est pas moins indispensable, «  le rôle du politique » n'étant que « d'expliquer, de porter une idéologie au sens noble du terme », c'est-à-dire, a une vision commune du pays, des valeurs» (Le Un, 13 septembre 2016). Sans elle, le politique perd ses repères et sa raison d'être.

De ce point de vue, peu importe que l'idéologie puisse comporter des éléments contradictoires : la formule « en même temps », si elle signale la discordance, implique aussi son dépassement, selon une perspective dialectique familière à ce lecteur de Hegel. «Face à une même réalité, commente encore Couturier, Macron réclame le droit de pouvoir viser des catégories de faits différents [...]. Tout l'art du politique, selon lui, réside dans l'articulation entre eux de [...] ces différents niveaux de réalité. » (B. Couturier, p. 107). De là, une idéologie que le président qualifie parfois de « nouvel humanisme » (Révolution, p. 216), mais qui n'est au fond qu'un progressisme de facture très classique — comme le confirme son porte-parole Christophe Castaner, appelant en septembre 2018 à «revisiter l'identité du progressisme pour développer notre corpus idéologique» (L'Opinion, 17 septembre 2018).

Ce progressisme est du reste systématiquement revendiqué. Par-delà l'opposition droite-gauche, ou libéralisme-étatisme, «  le véritable clivage », écrit Macron, « est entre les conservateurs passéistes [...] et les progressistes réformateurs qui croient que le destin français est d'embrasser la modernité » (Révolution, p. 42). Ce nouveau clivage, explique-t-il quelques mois plus tard, correspond en France à un changement de paradigme : «Nous allons vers une tripartition inédite du champ politique, avec un camp progressiste central, représenté par l'offre que nous proposons, avec une gauche conservatrice [...] et avec une droite dure, extrêmement conservatrice, qui se rapproche de l'extrême droite» (Le Monde) 4 avril 2017). Une tripartition qui finit, en 2018, par être analysée comme un combat entre progressistes et « nationalistes » (L'Opinion, 12 juillet 2018), puis un «duel entre progressistes et populistes» (Le Monde, 4 juin 2019). Les méchants changent de nom, pas les bons.

De ce progressisme macronien, on peut noter qu'il est fondamentalement optimiste, volontariste et émancipateur.

Pour Macron, le progressiste est avant tout celui qui agit : qui entend « réinventer » son pays (Révolution, p. 64) et «se réinventer lui-même, au rythme de ses propres perfectionnements. «Comme vous, déclare-t-il le 17 avril 2017 dans son discours de Bercy, je n'en pouvais plus du défaitisme et de l'impuissance qu'on nous renvoyait au visage. Ce que je vous propose, c'est le grand combat de la volonté et de l'optimisme contre la nostalgie. De la transformation profonde contre l'immobilisme ou la nostalgie. »

Avant de suggérer aux Français de « penser printemps », il se présente à eux comme « un homme du pour» — et non du contre. Pour «aller plus loin dans la nécessaire refondation du pays. Pour construire un projet, renouer le fil de notre histoire et la dynamique du progrès » (Révolution, p. 28-29). Car le progrès «  ne tombe pas du ciel », comme le rappelleront deux de ses plus proches conseillers, David Amiel et Ismaël Emelien, dans un livre programme publié en 2019: il exige un «effort collectif», celui qui va «nous rendre libres et meilleurs » et «nous projeter dans l'avenir » (Révolution, p. 51).

Un effort qu'il appartiendra à l'État de soutenir, et à son chef, de guider avec clairvoyance dans la bonne voie, celle du «projet fou d'émancipation des personnes et de la société » (Révolution, p. 264) que se propose le progressisme. « Je crois profondément à une société du choix, [...] libérée des blocages de tous ordres », et où « chacun pourrait décider de sa vie» (Révolution, p. 136) en fonction de ses désirs et de ses capacités. Et sans qu'aucune contrainte extérieure, origine, préjugés, inégalités, statuts, coutumes, vienne restreindre cette liberté.

« Notre devoir », proclame-t-il devant le Congrès réuni à Versailles le 3 juillet 2017, alors qu'il assure désormais la fonction de guide dont il se contentait de rêver dans Révolution, « Notre devoir est d'émanciper nos concitoyens, c'est-à-dire leur permettre de ne pas subir leur vie, mais bien d'être en situation de la choisir. De pouvoir "faire", là où souvent nos règles entravent au prétexte de protéger ». À rebours de cet idéal, le progressisme condamne tout ce qui ressemble à des frontières: ce qui entrave, délimite, immobilise, ralentit ou isole, autrement dit, ce qui empêche la circulation, le mouvement, la fluidité, l'échange et le commerce.

Il présente ce faisant un caractère prescriptif, et quasi religieux, ce qui n'étonne pas chez cet ancien élève des Jésuites passé à Kant et aux Lumières : la foi dans le progrès, la raison et l'émancipation constituant les bases d'une nouvelle sacralité centrée autour de l'homme et de ses droits, destinée à se substituer aux religions du passé, épuisées, discréditées et en voie de liquidation.

Et c'est d'ailleurs sur ce mot que l'on peut conclure — le projet macronien dans son ensemble pouvant s'analyser comme une liquidation, au deux sens du terme : avec, d'une part, l'abolition de ce qu'il appelle le «  vieux monde », synonyme d'archaïsme, de limites et de contraintes indues ; et d'autre part, la promotion d'une société et d'un monde fluidifiés, en mouvement perpétuel, selon le rythme des besoins, des envies et des possibilités changeants de chaque individu, libre de «  se réinventer» à tout moment dans un XXIe siècle qui sera «  un siècle de promesses» (Révolution, p. 263). Un projet qui s'éclaire lorsqu'on le rapproche de ses racines intellectuelles, le saint-simonisme, qui fut au XXIe siècle une première tentative pour combiner libéralisme et progressisme. Ou encore, selon le mot cruel mais prophétique du poète allemand Heinrich Heine, pour faire coïncider « l'âge d'or » et « l'âge d'argent ».

FRÉDÉRIC ROUVILLOIS

Extrait de l'ouvrage collectif « Le dictionnaire du progressisme », publié aux éditions du Cerf sous la direction de Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois

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