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Gita Gopinath, économiste en chef du FMI et directrice du Département des études, arrive pour des réunions du FMI et de la Banque mondiale, le 15 octobre 2019 à Washington.
Gita Gopinath, économiste en chef du FMI et directrice du Département des études, arrive pour des réunions du FMI et de la Banque mondiale, le 15 octobre 2019 à Washington.
©OLIVIER DOULIERY / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Le Fonds monétaire international a alerté les dirigeants sur les menaces qui pèsent sur la croissance mondiale. Il est encore difficile de repérer le futur chemin de l’économie mondiale tant les incertitudes sont nombreuses liées aux prix des matières premières et aux conséquences des politiques monétaires.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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À l’occasion des assemblées annuelles des institutions de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) a appelé l’attention du dirigeants du Monde sur les menaces qui pèsent sur la croissance mondiale, goulets d’étranglement logistiques, surchauffe, inflation, risque de ralentissement...

Selon le FMI, la croissance mondiale est repartie en 2021 avec 6 % et a été revue à la hausse pour 2022 à près de 5 %. Comme avec la crise de 2008-2009, le mouvement modifie les classements entre pays ou groupes de pays. Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne et le fossé se creuse entre les développés d’une part et les émergents et les pays du Sud d’autre part.

Le PIB américain a enregistré un recul de 3,5 % en 2020, et connu un rebond de 7 % en 2021 et de 4,9 en 2022. Cette situation s’accompagne d’une forte inflation à plus de 5 % ; la FED considère que le phénomène est temporaire, mais c’est loin d’être certain surtout avec la prévisible remontée des taux d’intérêt.

Cette croissance a entrainé une très forte valorisation boursière. On pensait avoir tout vu durant les quatre ans de Donald TRUMP au cours desquels l’indice Standard and Poors a été multiplié par 2 et le NASDACQ par 2,5. Aujourd’hui, les niveaux sont exceptionnellement élevés malgré l’apparition en septembre d’un essoufflement ; cela incite de nombreux commentateurs à prédire une crise boursière.

La baisse de la croissance en zone euro a été plus accentuée qu’aux États-Unis (en 2020 -6,5 contre – 3,5) ; de même, la reprise a été moins forte sur le vieux continent que dans le nouveau monde (4,8 contre 7 en 2021 et 4,3 contre 4,9 en 2022). Cela s’explique par la disparité des réponses des États membres de la zone ; l’insuffisante coordination européenne et l’approche nationaliste ont occasionné un coût pour la zone.

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En revanche, l’inflation européenne à 3 % est inférieure à celle américaine mais elle ne prend pas en compte l’énergie et certains produits.

La zone euro s’en sort avec de très importantes injections de liquidités des banques centrales au premier rang desquelles se trouve la Banque centrale européenne. La BCE a ralenti ses achats de titres publics mais, à la différence de la FED, n’a pas encore envisagé de relever ses taux.

N’oublions pas que cette politique monétaire est préjudiciable à un double titre :

  • Au-delà du non-respect des Accords de Maastricht, tous les États membres ont aggravé leur endettement public et le risque d’une nouvelle crise des dettes souveraines n’est pas à exclure
  • Détenir de l’argent coûte de l’argent pour une banque, 0,25 %. Cette période de liquidités abondantes à des taux faibles, voire négatifs est préjudiciable au secteur bancaire.

Cette différence de résilience et de réactivité entre les États-Unis et la zone euro se retrouve dans le change dollar/euro. 22 ans d’oscillations entre 0,89 et 1,61 $ pour un euro depuis 1999. Les excès des années 2010-2014 ont laissé la place à une fourchette entre 1,05 et 1,20 depuis 2015. Aujourd’hui, le curseur s’est stabilisé autour de 1,17 ; il a baissé de 5,5 % depuis le début de l’année. Cette zone semble convenir comme le démontre la diminution régulière du montant total des positions spéculatives en faveur de l’euro. Dans le même temps, avec une dette libellée en $ à 7 000 Md$, le billet vert est moins contesté et semble redevenir une valeur refuge.

En 2020, la croissance chinoise a baissé mais est restée positive avec 2,3 % ; après un rebond en 2021 à 8 %, le pays revient à des taux antérieurs à la pandémie, avec une prévision à 5,6 %.

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L’économie a très vite redémarré, probablement trop vite car elle a alimenté la hausse des matières premières, l’apparition de goulets logistiques, l’engorgement des ports chinois, la perturbation des chaines d’approvisionnement…, autant de blocages qui handicapent aujourd’hui la croissance chinoise qui doit aussi faire face à d’importantes pannes d’électricité dues à une diminution de la production charbonnière due à des pluies diluviennes et mondiale.

Cela a entrainé une contraction de l’activité manufacturière pour la première fois depuis février 2020, à un moment où l’économie doit faire face à :

  • Un marché boursier très volatile, avec régulièrement un risque d’explosion ; en juillet, les bourses de Hong Kong, Shanghai et Shenzhen ont dévissé.
  • Une surchauffe dans le secteur immobilier à cause des difficultés d’EVERGRANDE, 2ème promoteur national ; même si la faillite est peu vraisemblable, de nombreux épargnants auront des pertes.
  • Une volonté de Pékin de tout contrôler, les grands groupes et, plus particulièrement les activités économiques, sans insister sur celles politiques ; en atteste notamment l’interdiction des transactions commerciales avec des crypto monnaies. Sous couvert de recherche de l’autosuffisance économique et de la sécurité nationale, les autorités accentuent la supervision de la société chinoise.

N’oublions pas que la croissance chinoise ne doit aller en deçà des 5 % sous peine de créer de fortes tensions sociales. Par ailleurs, cette situation chinoise pourrait entrainer un ralentissement de la croissance mondiale fragilisée par une envolée des matières premières :

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  • En dépassant les 80 $ la hausse brutale du baril de pétrole a pris de court tous les opérateurs ; depuis le 1er janvier le brent a augmenté de plus de 60 % et le WTI de plus de 70 %
  • L’envolée des métaux précieux, Or Argent, Platinum, Palladium…
  • Ont aussi explosé les prix des premières industrielles, Acier, Aluminium, Inox… La tonne de cuivre a doublé de 5 à 10 000 $ en un an
  • Il en est de même pour les matières premières agricoles, Blé, Maïs, Sucre… Le prix de l’Arabica a augmenté de 60 %. Plus généralement, les prix alimentaires mondiaux ont augmenté de plus de 30 % au cours de l’année écoulée.
  • Pour la 1ère fois depuis dix ans, le prix du coton a repassé la barre du dollar pour une livre ; il, est monté en ligne droite depuis les 50 cts atteints en mars 2020 au début de la pandémie. Les cours actuels sont la combinaison de plusieurs facteurs : forte demande chinoise, rattrapage de l’activité économique, diminution des stocks globaux ?

Parallèlement, les prix du fret ont été multipliés par dix en dix-huit mois ; l’indice Baltic Dry pour le fret au plus haut depuis dix ans. Tous les ports sont congestionnés, Douala, Los Angeles, Rotterdam, Schenzhen…, et cela risque de durer ! Il n’en demeure pas moins que, malgré tous ces blocages, les échanges mondiaux augmentent.

Le monde affronte plusieurs risques :

  • Sous la pression des hausses de matières premières, des blocages logistiques et des délais d’approvisionnement, l’inflation est repartie à un rythme annuel mondial de 3,5 %. Même si aucune autorité n’ose publiquement souhaiter ce retour, il soulagerait tous les pays endettés, surtout eu égard la hausse des taux attendue.
  • La remontée des taux d’intérêt et la sortie des politiques accommodantes. La Norge Banks, la banque centrale de Norvège a été la première banque centrale à avoir procédé à une augmentation des taux. De son côté, la FED cherche à acclimater les marchés à cette perspective et seraient programmées deux hausses de 0,25 %, en novembre ou décembre. En un an et demi le coût de l’argent aux entreprises a été multiplié par 3 pour atteindre 1,65.

La directrice générale du FMI a insisté sur la nécessité pour le Nord d’aider les pays en développement à vacciner leurs populations ; à défaut, elle n’a pas hésité à déclarer que le PIB mondiale pourrait perdre dans les cinq années à venir 5 300 Md$ ! Plusieurs pays connaissent des turbulences qui risquent de s’accentuer avec le changement de politique monétaire américaine :

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  • Au-delà d’une gestion chaotique de la pandémie, le Brésil doit faire face à une crise politique avec les attaques répétées du Président BOLSONARO contre les institutions
  • Le Mexique doit faire face aux problèmes de la première entreprise mexicaine et la seconde latino-américaine, le groupe pétrolier PEMEX qui représente encore 3,5 % du PIB mexicain
  • La croissance en Turquie, de retour après la pandémie est handicapée par de graves déséquilibres. Cédant aux pressions du Président ERDOGAN, la banque centrale turque abaissé son taux directeur de 19 à 18 %, niveau justifié par une inflation de près de 20 %. Cela a entrainé une baisse de la livre turque qui a atteint son plus bas historique de 10 livres pour un euro.

À cette liste pourrait s’ajouter l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Nigéria, Le Kenya, L’Ukraine…

Nouriel ROUBINI a dernièrement mis en évidence quatre scenarii :

  • La perspective idéale des « boucles d’or » avec une croissance plus forte et une modération de l’inflation
  • La surchauffe avec une croissance confortée par la levée progressive des goulets dans un contexte inflationniste
  • La stagflation avec une persistance de l’inflation conjuguée à une croissance molle
  • Un ralentissement de la croissance favorisant un recul de l’inflation.

Même si le scénario le plus vraisemblable est entre surchauffe et stagflation, il est encore difficile de repérer le futur chemin de l’économie mondiale tant les incertitudes sont nombreuses entre prix des matières premières, goulets et surtout atterrissage des politiques monétaires accommodantes.

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