Hôpitaux, écoles, transports et cie : qui osera stopper le naufrage du management public ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les contrôleurs de la SNCF ont fait grève le week-end de Noël. Ils réclament notamment des hausses de salaire.
Les contrôleurs de la SNCF ont fait grève le week-end de Noël. Ils réclament notamment des hausses de salaire.
©Thomas SAMSON / AFP

Naufrage

Partout les agents ou salariés du secteur public fuient. Aucune entreprise privée ne survivrait aux gabegies publiques et aucun dirigeant n’échapperait à la justice s’il traitait ses salariés comme l’Etat ou les organismes publics.

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte est journaliste à l'IREF. 

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Les contrôleurs de la SNCF ont fait grève le week-end de Noël. Ils réclament notamment des hausses de salaire. A quel point y-a-t-il des gaspillages dans la gestion de la SNCF ?

Adelaïde Motte : La SNCF a été épinglée à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Ses coûts de production sont 30% plus élevés que ceux d’entreprises comme la Deutsche Bahn, son homologue allemand, qui affiche pourtant chaque année une hausse de fréquentation d’1,6%. A cause de son incapacité à se réformer, la SNCF s’endette, avec notamment un déficit de 800 millions d’euros en 2019. Tout cela aboutit à une dette de plusieurs milliards d’euros, sans cesse épongée par l’Etat. En 2018, il a repris 35 milliards d’une dette qui en comptait 55 pour préparer l’arrivée de la concurrence. En 2021, le groupe a reçu 18,5 milliards d’euros de subventions, soit 35% de plus qu’en 2015. Trois milliards serviront uniquement à financer le régime spécial de retraites. Le Français moyen paie donc la SNCF deux fois : la première comme contribuable, lorsqu’il donne à l’Etat de quoi financer une entreprise inefficace, la seconde comme usager, lorsqu’il achète des billets qu’il trouve bien chers, et dont il ne paie pourtant, à ce moment, que le quart.

Pierre Bentata : Quand il y a, dans le bilan de la SNCF, entre 13 et 17 milliards financés par le contribuable de déficit de la SNCF, avec globalement des gens mieux payés que la moyenne des salaires, cela montre un problème dans la gestion de l’entreprise. La quantité de personnes dans le middle management et dans l’administratif est bien plus importante qu’ailleurs. Il y a donc clairement un déficit de gestion. Ce n’est pas problématique pour eux, mais pour le contribuable. Ce problème est d’autant plus paradoxal que l’entreprise a déjà été scindée pour éponger ses dettes. C’est une entreprise avec une mission de service public mais qui ne se prive pas d’augmenter ses prix dès que la demande augmente. Il y a un échec total de la gestion de l’entreprise. Et en plus les employés sont mécontents.

Plus largement, dans quelle mesure le management public, que ce soit pour les hôpitaux, les écoles ou les transports, est-il déficient ?

Adelaïde Motte : Le problème du management public est surtout dans le statut de la fonction éponyme et le pouvoir de nuisance des syndicats. Ledit statut contient de nombreux avantages qui coûtent une fortune. Prenons l’exemple des retraites. Un ancien salarié de la SNCF part la plupart du temps à 50 ou 55 ans, voit sa pension calculée sur les six derniers mois de travail, au lieu des vingt-cinq meilleures années dans le privé, et cette pension doit correspondre à au moins 75% de la dernière rémunération. Le tout pour, durant la vie active, 15% de jours travaillés en moins et des salaires de 15 à 30% supérieurs à ceux des salariés français. Ne parlons pas des divers avantages, le plus connu étant les voyages gratuits ou à tarif réduit pour les salariés, les retraités et leurs ayant droits. Or, tout cela n’est pas gratuit, c’est le contribuable qui le paie. Il prend notamment en charge plus de 60% des retraites des employés de la SNCF.

Pierre Bentata : Il ne faut pas mettre tous les services publics dans le même panier. La SNCF, c’est une entreprise qui n’a jamais été capable de changer de modèle. Elle fonctionne encore comme si elle était encore planifiée, sans compte à rendre aux clients. Cette entreprise n’a plus lieu d’être, elle est anachronique. Dans le cas de l’hôpital et de l’éducation, c’est la volonté de planifier pour égaliser les traitements des individus que nous arrivons à cette situation. Nous ne laissons aucune autonomie aux établissements. Nous avons tenté de revoir les financements mais sans succès puisqu’in fine cela désincite tout le monde à avoir un comportement efficace. Cela limite toutes les tentatives de créativité entrepreneuriale. Notre volonté d’avoir un traitement équitable pour tous rend le service désastreux pour tout le monde.

Si les entreprises publiques étaient privées, leur modèle actuel leur permettrait-il de survivre ?

Adelaïde Motte : La survie de la SNCF telle que nous la connaissons est incertaine dans le cadre d’une réelle privatisation et d’une ouverture à la concurrence de l’ensemble du réseau. En revanche, cela l’obligerait à une plus grande rigueur budgétaire. Fini les avantages indus sous peine de fermeture. Les grèves auraient également un impact bien moindre, puisqu’il suffirait aux Français de se tourner vers une autre compagnie. La concurrence signerait peut-être la mort de la SNCF, mais elle permettrait aux usagers de bénéficier d’un meilleur service. On pourrait espérer des trains plus ponctuels, puisque nos TER affichent une régularité de 90,3% contre 97,5% pour les Pays-Bas, 96,8% pour la Suisse, 96,3% pour l’Allemagne et 92,9% pour la Grande-Bretagne. Comme les entreprises étrangères, déjà en concurrence, ont réduit leurs coûts, avec par exemple le coût de roulage du service TER, de 60% supérieur au service équivalent en Allemagne, on pourrait également attendre une diminution du coût de leurs services. De 2006 à 2018, le coût de la SNCF pour le contribuable a augmenté de 92%, pendant qu’il baissait de 34% en Allemagne, où la mise en concurrence date de la fin des années 90.

Pierre Bentata : Il est sûr que non. Avec un déficit comme celui de la SNCF, une entreprise privée aurait fait faillite depuis longtemps. C’est ingérable. Pour l’éducation ou la santé, on ne saurait même pas dire à quoi cela ressemblerait. Les tentatives de réformes, comme la tarification à l’acte, sont des façons socialistes de planifier l’économie. Cela aboutit à une multiplication de services identiques, des hôpitaux au milieu de nulle part, une administration des localisation de la médecine de ville, etc. Tout dans l’hôpital est anti-marché. C’est sans doute ce qui inquiète les décideurs. On voit bien que le système ne marche pas, mais qu’est-ce que ce serait dans le privé ? Il faut réinventer le système si on veut y intégrer un peu de libre entreprise.

Qui pourrait oser, aujourd'hui, mettre fin au naufrage du management public ? Comment ? 

Adelaïde Motte : Le management public n’a pas lieu d’être dans le secteur des transports. Le Conseil européen demande l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire depuis le début des années 2000, ce qui veut dire que la France est particulièrement en retard, notamment à cause des syndicats. Il existe donc deux solutions pour mettre fin, non pas au naufrage du management public, mais au management public tout court. Vous pouvez d’abord ouvrir à la concurrence en acceptant les blocages qui en résulteront. Cela va engendrer des semaines, et sans doute plutôt des mois, de blocages des syndicats, pendant que les entreprises étrangères, et peut-être quelques nouvelles entreprises françaises, achemineront les voyageurs tant bien que mal aux différents coins de France. Vous voyez d’ici le tableau.

L’autre solution est plus longue et plus technique. Il s’agirait de reprendre le financement des syndicats. Ce sujet mériterait un article à lui tout seul, alors soyons brefs. Les syndicats reçoivent deux types d’aides publiques : les subventions financières et les aides « en nature », par exemple les locaux dont ils ne paient pas le loyer où les salariés mis à leur disposition. On peut donc leur demander de convertir ces deux dernières en apports financiers et de les déclarer. Ensuite, il faut savoir que les syndicats entretiennent une forte opacité sur leur financement, puisque chaque petite filiale de chaque fédération a son propre rapport fait par un Commissaire aux comptes, et que ces rapports ne sont pas synthétisés. Si vous obligez chaque fédération à indiquer l’ensemble des aides perçues par toutes ses filiales, vous constatez l’importance de l’argent public dans leur fonctionnement. Vous pouvez alors le réduire, en proposant par exemple, soyons généreux, que les syndicats reçoivent un euro d’argent public par euro de cotisations. On en est très loin. Vu la faible représentativité des syndicats, cela réduirait drastiquement leurs moyens financiers, donc leur pouvoir de nuisance. Vous pouvez alors envisager la privatisation des services qui en ont besoin.

Pierre Bentata :Personne et pas grand-chose à mon avis. Avec une décentralisation totale on pourrait régler certains problèmes, mais on abandonne l’idée d’un management public et d’une égalité selon les territoires. Donc soit on abandonne la mission qui consiste à vouloir un système efficace et uniforme en même temps soit on effectue une réelle privatisation. Ce sont les deux voies. Le reste est impensable. On garde les choses précieuses dans le public parce qu’on ne peut pas les laisser aux vilaines mains du privé, mais on s’aperçoit bien que ce qui va le plus mal aujourd’hui, c’est ce qu’on a laissé au public. Il faudrait que la population actuelle s’aperçoive que les choses ne marchent pas dans le public à l’heure actuelle. Le substitut de l’hôpital ce sont les cliniques, le substitut de l’école publique, c’est le privé, celui du train, c’est l’avion. Ceux qui ne peuvent pas se rendre dans le privé n’ont que des désavantages.

Ce diagnostic est-il posé dans la sphère politique ?

Pierre Bentata : Il l’est au moment des campagnes. Mais qui ose vraiment aller au-delà de pointer le problème ? Pas grand monde. David Lisnard en parle par exemple. Assez peu de voix à droite se saisissent du sujet. On entend quelques intellectuels issus de la gauche libertaire, mais rien dans les partis majoritaires. Les Républicains, avec l’axe Ciotti ou ce qu’il reste du PS, ainsi qu’Ensemble ou le RN, sont en fait très étatistes. Ce n’est pas dans leur logiciel de se demander comment avoir quelque chose de plus décentralisé et encore moins privatisé.

Comment retrouver du sens dans les services publics pour les employés et de l'efficacité dans ces derniers ?

Adelaïde Motte : La perte de sens vécue par les employés est due à la sur-administration des services – la SNCF pourrait ainsi supprimer quarante mille postes – et la difficulté de gravir les échelons par sa seule compétence. En réalité, si vous voulez retrouver du sens dans les services publics, le plus simple est de leur donner plus d’autonomie et de les libérer de l’administration étatique. Autrement dit, de repenser le concept de « service public » pour conserver simplement le premier terme. Un service peut être très bien rendu par le privé, nos voisins nous le montrent.

Pierre Bentata : La question du sens est fondamentale et très hypocrite à la fois. C’est une question importante qui se pose dans toutes les grandes entreprises, en particulier chez les jeunes. Ils cherchent un sens et une aventure collective. Mais c’est assez hypocrite quand on se rappelle que, normalement, il y a déjà un sens à assurer une mission de service public. Quand en plus vous êtes mieux payés que la moyenne et avec une quasi-sécurité de l’emploi, cela peut ressembler à de l’hypocrisie que de parler de crise de sens. A mon sens, les seules revendications véritablement légitimes sont celles de l’hôpital, si l’on regarde les indicateurs internationaux. Pour les transports et l’école, non. Il n’est juste pas possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre.

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