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Hommes ou femmes politiques à la télévision ou à la radio : mais au fait, apportent-ils vraiment quelque chose ?
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Reconversion

Canal Plus, i-Télé, Europe 1... Tous ces médias ont engagé un ou une ex-politique pour la rentrée.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Atlantico : Daniel Cohn-Bendit sur Europe1, Jeannette Bougrab au Grand Journal de Canal Plus ou encore Roselyne Bachelot sur i-Télé : la rentrée médiatique voit l'arrivée de nombreuses anciennes personnalités politiques. Cette relation entre mode politique et mode médiatique est-elle nouvelle ? 

Jean-Marie Charon : Hélas, non ! La confusion des genres entre politiques et médias fait partie de l’héritage national français. Il est sans doute possible de le faire remonter à la Révolution française : c'est à cette époque que voit le jour de ce qu'on appellera par la suite le pluralisme de l’information. Historiquement, la presse ne se pose pas comme un quatrième pouvoir se fixant pour idéal l’objectivité. Elle se situe au contraire au cœur du débat politique. Marat, Camille Desmoulins, Hébert et bien d’autres, sont des hommes de la Révolution, "journalistes", combattant aux côtés ou contre les élus du peuple. La Restauration verra se cristalliser cet affrontement entre blocs politiques, la presse contribuant largement aux journées révolutionnaires de juillet. Thomas Férenczi, dans "L’invention du journalisme en France", montrait bien comment toute la IIIe République vit se croiser les carrières d’hommes politiques, de journalistes, d’éditeurs... qu’il s’agisse d’Aristide Briand, de Jaurès, de Clémenceau, ou de Jean Dupuy, avec les développements de ce phénomène très français des journaux d’opinions.

Il est vrai que l’avènement de l’audiovisuel et la Ve République contribuèrent à faire puissamment régresser ce phénomène. Il n’en reste pas moins que la relation politiques / médias est plus floue en France que dans les pays anglo-saxons, où il n’est pas rare d’invoquer la ligne jaune qui doit s’imposer à tout journaliste devant renoncer à tout engagement ou mandat politique. Les exemples de politiques annonçant leur arrivée dans les médias peuvent paraître anecdotiques et parfois lointains de l’information proprement dite. Il n’en reste pas moins qu’ils entretiennent à leur manière la confusion des genres.

Qu'est-ce que ces ex-politiques peuvent apporter dans un média ? Leur analyse / vision peut-elle être crédible pour le grand public au regard de leur ancienne profession ?

Au regard des enquêtes sur la crédibilité des politiques, comme des journalistes, il est peu probable que ces personnalités renforcent la confiance des Français dans leurs médias. Un Français sur deux ne croit pas que les choses se soient passées tels que les médias les ont présentées, deux sur trois ne croient pas les journalistes capables de résister aux pressions des politiques (baromètre TNS / La Croix).

Il s’agit sans doute, de tout autre chose qui se situe du côté de l’image de quelques personnalités. Le risque est de voir des composantes entières du public considérer les élites comme incapables de se situer de plain-pied dans les problèmes et les questions qui font leur quotidien.

Est-ce un gros risque pour les divers médias qui les ont engagés ? Pourquoi ?

Le risque est moins du côté des médias qui les emploient, que du point de vue de la démocratie. Outre l’héritage historique, on retrouve là le poids qu’a pris la communication aux dépens du débat d’idées, de l’affirmation de projets clairs de la part des politiques. Dans une période où le public, les électeurs, les citoyens doutent de la capacité des politiques à traiter les grands problèmes du pays, la confusion politique, médias, communication, voire divertissement, fragilise à sa manière la démocratie. D’autant que la démocratie a besoin de contre-pouvoirs forts, à commencer par celui des médias qui ne peut que souffrir de toute suspicion de complicité avec les pouvoirs.

Comment gérer la connivence et les conflits d'intérêts entre les deux mondes ? Peut-on vraiment arrêter d'être un politique un jour ?

Il ne me semble pas possible de traiter des questions de la relation politiques et médias, politiques et journalistes, à l’échelle individuelle. Il s’agit d’évolutions sociales, forcément lentes, qui s’imposent à tous. La ligne jaune qui régit la relation, politiques et journalistes anglo-saxons, n’est écrite nulle part. Il n’y est même pas fait référence dans les codes édictés par les journalistes. En revanche, la représentation de toute une partie de la société française a changé. Le thème de la connivence ou de la complicité est omniprésent dans le débat public depuis au moins deux décennies. Il ne paraît plus acceptable qu’un journaliste puisse traiter de politique et être encarté.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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