Hommes (et femmes) au bord de la crise de nerfs : pourquoi les policiers et les militaires français n'en peuvent plus <!-- --> | Atlantico.fr
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Les milieux policiers et militaires font face à des conditions de travail de plus en plus difficiles.
Les milieux policiers et militaires font face à des conditions de travail de plus en plus difficiles.
©Reuters

Ras-le-bol !

Jeudi 24 septembre, France Info dévoilait le nombre d'heures supplémentaires non payées réalisées par les fonctionnaires de police. Le décompte est impressionnant : pour son seul corps d'élite, l'Etat doit plus d'un million d'heures. Ce chiffre témoigne de l'état dans lequel les forces de sécurité françaises se trouvent aujourd'hui et s'avère très parlant sur le rapport que notre société entretient avec elles, dans une période de crise et de danger terroriste.

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Megret est secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).

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Jean-Claude Delage

Jean-Claude Delage

Jean-Claude Delage est secrétaire général d'Alliance Police Nationale. Il est membre de la confédération syndicale : CFE-CGC.

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Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : Les milieux policiers et militaires font désormais face à des conditions de travail de plus en plus difficiles, entre les heures supplémentaires impayées, l'extension du plan vigipirate… Quel diagnostique peut-on faire aujourd'hui ? Dans quel état se trouvent nos forces de polices ? Souffrent-ils plus que par le passé ?

Jean-Paul Mégret : Il faut savoir que depuis le mois de Janvier et les événements qu'on connaît,  depuis qu'on réalise que la menace terroriste ne va pas aller en diminuant, les forces de police sont totalement mobilisées. C'est également le cas des gendarmes, néanmoins, les forces de police sont plus concernées en raison de leur présence renforcée dans le milieu urbain. Concrètement, cela signifie que les effectifs ont été portés à leur maximum. En parallèle, les droits aux congés sont réduits au minimum. On demande donc aux fonctionnaires de police de faire plus d'heures que ce qui est prévu, le tout sans poser de récupération. On a donc des stocks d'heures (qui se chiffrent en millions) qui s'accumulent. C'est, malheureusement, une situation ancienne qui se développe depuis le phénomène des 35h. Bien évidemment, les policiers continuent à travailler sur des rythmes plus importants, mais disposent de jours RTT qui se cumulent avec leurs autres jours de récupération. Ce système typique français, qui consiste à accorder des récupérations en temps aux fonctionnaires est aujourd'hui à l'agonie. Dans la majorité des autres pays, c'est une rémunération qui est accordée et qui indemnise les heures supplémentaires. C'est le cas pour toutes les polices modernes, et il faudra un jour passer à un système équivalent à celui d'autres pays comme la Hollande ou les Etats-Unis, en dépit des clivages idéologiques qui justifient ou « condamnent » les heures supplémentaires.

Aujourd'hui, puisque mobiliser des fonctionnaires de police n'est pas couteux (sauf dans le cadre des CRS qui, en raison de l'IJAT sont rémunérés en heures supplémentaires après 8h de travail et dont les unités coutent), on a tendance à le faire sur d'énormes durées. Il s'agit, bien sûr de services légitimes, publics et d'ordre. On a des agents très présents spécifiquement pour ce service-là mais qui vont, logiquement, manquer ailleurs. Il y a donc le risque de n'avoir que très peu de fonctionnaires par moment et à d'autres occasions des pics de présence. Ce phénomène est actuellement couplé au plan vigipirate qui relève du choix politique, quand bien même il est fait en résonance avec les événements de Janvier. Concrètement, il a été décidé de mobiliser des fonctionnaires de police sur tout un ensemble de points fixes. Un point fixe, c'est une garde de 24h sur 24. Il a donc fallu mobiliser l'ensemble des forces de police. En région parisienne, par exemple, on en compte par centaine. On se retrouve dans une situation où la police n'est plus capable d'assurer son rôle de protection. Il n'y a plus de police de proximité, de police du quotidien. Dans l'urgence, des centaines de points fixes et de gens (qui s'estiment menacés) à protéger ont fait surface. Par conséquent, les forces de polices commencent à tirer la langue : la situation ne saurait se régler à moyen ou à long terme et il va falloir s'y adapter.

Certes, la police apparaît comme plus appréciée de la population aujourd'hui. Pour autant, il faudra que la police réforme ses doctrines d'emploi. Cela correspond à une demande que nous avons déjà formulée au Ministère de l'intérieur : dans l'urgence il est possible de réaliser certaines choses, néanmoins l'urgence ne relève pas de la stratégie. Nous sommes actuellement en guerre, contre le terrorisme. Le rôle des dirigeants n'est par conséquent pas (uniquement) de palier aux problèmes et aux dangers du quotidien mais aussi et surtout de faire de la stratégie. Cela revient donc à économiser les troupes, militaires comme policières. 

Or, celles-ci sont épuisées aujourd'hui. A la fois physiquement et moralement. Cet épuisement physique est dû aux heures qui se cumulent, à l'équipement qu'il convient de porter (en été, un gilet pare-balles paraît d'autant plus pesant et d'autant plus chaud qu'en hiver) tout en restant fixés sur des points précis sans mener de mission précise. Sur le plan moral, nous nous rendons bien compte d'une évidence assez déprimante : ce qu'on nous demande de faire, c'est très visible. Mais cela ne sert pas à grand chose : le rôle d'une sentinelle c'est de mourir en faisant le plus de bruit possible. Il s'agit de retenir et de donner l'alerte tout en nourrissant l'espoir que d'autres forces arrivent à temps pour interrompre l'attaque. Les militaires réalisent pertinemment qu'ils font un travail qui n'est pas celui pour lequel ils s'étaient engagés. Ils se sont engagés pour défendre la République en dehors des frontières et se retrouvent à devoir surveiller des points-écoles... ! Tous ces éléments remettent en cause la vocation de plusieurs hommes, d'autant plus quand ils sont moqués ou provoqués par les populations. C'est quelque chose de neuf pour eux et ils ignorent comment y répondre de façon graduée. Et pour cause : ils ne se sont pas engagés dans la police, mais bien dans l'armée. Fondamentalement, on fait jouer à tous les acteurs des rôles qui ne sont pas les leurs. Aux militaires on demande d'être des policiers et aux policiers d'être des militaires. Eux qui, culturellement, ont intégré qu'il ne fallait pas riposter, ne pas tirer plutôt que d'avoir blessé sans être dans le cadre de la légitime défense... C'est à eux qu'on demande maintenant de faire face à la menace en se servant des armes. Il faut refaire l'ensemble de la culture de nos forces de polices.

Jean-Claude Delage : On fait face, aujourd'hui, à une ambiguïté qui est particulièrement difficile à saisir pour les forces de polices. Nous vivons mal le fait d'avoir été les héros nationaux en Janvier. Nous avons payé un lourd tribut au cours des attentats. Plusieurs de nos collègues sont morts assassinés et nous avons eu droit à la reconnaissance générale. De la population, mais aussi de toute la classe politique, du gouvernement, qui ont tous salué le travail difficile que nous fournissons, souligné les conditions dans lesquelles nous exerçons et pointé du doigt les faibles moyens dont nous disposons.

Après toutes ces déclarations, les forces de police s'attendaient donc à des avancées notables concernant les conditions d'exercice et les moyens qui leur sont alloués. Finalement, depuis les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Casher... En dépit du Thalys, de tous les risques terroristes qui existent sur le territoire national (rappelons que, tous les jours, les services d'investigation déjouent des attentats, qu'ils appréhendent des individus potentiellement dangereux...), il n'y a eu aucune évolution. Fut-elle matérielle, humaine (en termes de recrutement, de renforts) ou d'armes juridiques plus favorables aux policiers. Pas de plan pluriannuel, pas de plan Marshall. Rien, ou presque. Aux problèmes, on a trouvé des solutions parcellaires : pour faire face au manque d'effectifs et de moyens dans les services de renseignement, on va déplacer des gardiens de la paix en provenance d'autres unités, où ils ne peuvent pas encore être remplacés. On se contente de déplacer le problème. Dans d'autres situations, où le problème de fond concerne l'emploi, le cœur du métier, la mission qu'on nous demande d'exercer, comme dans le cadre des CRS qui font face à une situation de suremploi dangereuse, la solution a été la suivante : une augmentation de 3 euros pour les agents. Quand bien même cela faisait des années qu'on ne leur avait pas octroyé de hausse, cela ne règle en aucun cas le problème originel.

Compte-tenu du fait que notre corps de métier à été encensé, que son travail a été glorifié et ses moyens contraints, soulignés, nous nous attendions à une évolution. Le Président de la République a annoncé des améliorations, tant en termes de renouvellement des effectifs et de recrutement qu'en termes de moyens prévus et alloués à la défense nationale. Logiquement, nous espérions que cela concernerait la police nationale. Nous voulions un plan pluriannuel, comprenant des mesures importantes. L'annonce de moyens effectifs et matériels, la révision des armes juridiques, comme celles concernant le contrôle d'identité, celles traitant de la légitime défense... Il nous est difficile de réagir, si nous sommes d'ores et déjà en deçà de ceux à qui nous faisons face. En outre, nous espérions aussi une évolution plus personnelle ; la perspective d'amélioration des carrières des policiers, plus de visions sur l'avenir, et finalement nous n'en avons rien.

Nous sommes déçus. En Janvier prochain, on fêtera le triste anniversaire des attentats, tout le monde en parlera et cela donnera lieu à de grandes cérémonies. Pendant ce temps-là, les forces de polices ont l'impression que tout cela n'aura été qu'un coup de com' de la part de l'Etat. Dans les faits, rien n'a amélioré la situation des policiers au quotidien. Il n'y a aucune perspective d'évolution. Et avec tout cela, l'effort qui nous est demandé est accru : depuis janvier, le plan Vigipirate nécessite la mobilisation des policiers. Je dois le dire : il est heureux que l'armée soit également réquisitionnée pour nous venir en aide. Sans quoi, compte-tenu de la mission que nous devons assurer, nous ne serions plus capable d'assumer la moindre de nos tâches de sécurité publique. Les heures supplémentaires s'accumulent. Elles sont au nombre de 15 à 20 millions (le syndicat Alliance les a sanctuarisées) et elles ne sont simplement pas réglées. C'est physiquement éreintant pour l'ensemble des troupes. Ça l'est également d'un point de vue moral : mes collègues persistent à assurer cette mission car ils pensent à la population que nous protégeons. Mais nous manquons de moyens (en hommes, en matériel) pour le faire, et nous manquons de considération. Sur le long terme et sans perspective d'avenir, cela risque de ne pas être possible à tenir. D'ici peu de temps, la situation pourrait se complexifier.

Mathieu Zagrodzki : Il y a deux choses qui entrent en conjonction pour conduire à la situation actuelle.

La première est une baisse ou la relative stabilité des effectifs. Il y a eu une grosse augmentation entre 2002 et 2007, qui a été suivie par une grosse baisse jusqu’en 2012. Depuis, il y a des efforts pour re-augmenter les effectifs policier. Seulement la plus part des nouveaux recrutements qui ont été fait depuis l’ère François Hollande sont des agents de sécurité. Il s’agit d’agents contractuels qui signent pour 3 ans renouvelable une fois, et qui n’ont pas tous les pouvoirs d’un gardien de la paix. 

Le deuxième élément, est propre à ces huit derniers mois : il y a une explosion de garde statique et notamment en région parisienne. Ce phénomène s’explique par la multiplication du nombre de personne à protéger. L’actualité du nombre d’heure impayées qui touche le secteur en ce moment concerne surtout ce type de garde. Avec la menace terroriste, il n’y a plus seulement des personnalités politiques à protéger, ainsi qu’un certain nombre d’intellectuels, d’artistes ou de journalistes.

Par ailleurs, cette unité est difficile à renforcer, car n’importe qui ne peut pas y rentrer. La sélection est drastique, et la formation également. C’est une filière élitiste, où il est difficile de recruter. Cela ne peut pas se faire d’un claquement de doigt, car entre le moment ou vous décidez d’augmenter les effectifs, et le moment où ces effectifs arrivent sur le terrain, il y a 2 ans. Le renforcement est donc différé. Avec la menace terroriste, nous sommes en outre obligé de mettre des dizaines d’agents devant des synagogues, des médias, des écoles, et de fait, nous ne pouvons plus répondre au 17 …

La police de proximité n’existe plus, quant à elle depuis des années. La situation est telle que nous en arrivons à un stade où c’est le service général de la police qui patrouille en voiture. Nous n’arrivons même plus à assurer cette mission.

Sur l’aspect physique, il y a une augmentation de la charge de travail, et porter un gilet par balle renforcé est très lourd et fatiguant. En outre, les missions actuelles ne sont vraiment pas des plus motivantes. Au contraire, il n’y a rien de moins motivant qu’être en garde statique toute une journée avec un équipement lourd. Il est difficilement possible d’imaginer à quel point cela influx sur le moral.

A tous ces éléments s’ajoute le faite que, traditionnellement, la police en France a tendance à se sentir mal aimée - ce qui n’est pas forcement vrai s’il l’on en croit les enquêtes d’opinion. 

Fondamentalement, de quoi la police et les militaires ont-ils besoin aujourd'hui ? De plus de considération ? D'un allègement de leur travail ? Que faire pour remédier à leur mal ?

Jean-Paul Mégret : Il existe des pistes, qu'on connaît. Je vais commencer par réagir sur la considération, mais ça n'est pas l'unique solution.

Il est important de rappeler les mérites de la considération, mais également ses vices. C'est un jeu dangereux. Dès lors qu'on se satisfait de la considération (nouvelle) de la population, on a de nouveaux devoirs vis à vis d'elle : celui de ne pas la décevoir, d'être à la hauteur, encore meilleur. Début Janvier, nous avons payé le prix du sang. Il est important de faire en sorte d'être efficace sans avoir à le payer de nouveau. Être efficace, face à des gens de plus en plus techniques. Gardons à l'esprit que nous avons eu droit à quelques miracles qui ont évité des drames (comme le Thalys), mais ces miracles n'arrivent pas tout le temps. Il faut être mieux préparés. Et ça, ça passe par un allègement des missions qu'on demande à la police d'exercer. Au fond, il faut revenir à l'essentiel de ce qu'elle doit accomplir.

Je crois aussi, bien que cela dépasse vraisemblablement mon rôle, qu'il est important d'avoir une réflexion politique sur la sécurité. Peut-être que certains points sensibles ne doivent plus être gérés par l'Etat et ses forces, mais pas des forces de sécurité privée, payées par les gens qui s'estiment menacés. Sur le long terme, l'Etat ne pourra pas, d'un point de vue humain comme financier, couvrir l'intégralité des menaces. Il s'agit dans tous les cas d'un choix politique et si je n'ai pas de réponse définitive à apporter, il m'apparaît important d'au moins se questionner.

Enfin, il faut aussi simplifier le travail des forces de polices. Diminuer l'aspect administratif de nos agents de police, utiliser les compétences des fonctionnaires au mieux, plutôt que de les enfermer dans des bureaux pour réaliser de la paperasse... Valoriser ceux qui exercent sur le terrain, dans la rue, mieux les former, sur des aspects parfois plus techniques (riposte en intervention, par exemple), mais aussi mieux les payer... Il faut que le métier de policier puisse être plus valorisant : de nombreux agents spécialisés dans l'anti-terrorisme reviennent régulièrement en week-end pour procéder aux écoutes judiciaires des terroristes potentiels qu'ils sont chargés de suivre. Ces heures supplémentaires ne sont jamais payées. Ils ont une véritable connaissance, une vraie culture, qui n'est pas valorisée, pas payée. Après quelques années, ils finiront par partir dans d'autres domaines, parce qu'épuisés et ce sera une perte sèche pour le capital humain de la police nationale. Quand, pendant deux week-end de suite, ils ne rentrent pas chez eux, que leurs familles guettent leurs arrivées et qu'au final, il n'y a pas de récompense financière et qu'ils continuent à devoir se serrer la ceinture, c'est quelque chose qui joue sur l'estime de soi et sur le regard de leurs proches.

Jean-Claude Delage : C'est un propos qu'on tient depuis l'arrivée de Manuel Valls en 2012 et que j'ai récemment répété à Bernard Cazeneuve. Ce dont la police à besoin en premier lieu, c'est d'une perspective d'avenir, d'une reconnaissance de son travail et enfin d'un recentrage sur son cœur de métier. Nous avons besoin qu'on nous présente clairement les objectifs à accomplir et qu'on nous accorde les moyens de les mener à bien.  Qu'on nous précise non moins clairement les priorités sur lesquelles se focaliser, plutôt que de nous surcharger de missions (sans nous fournir de quoi les remplir) comme c'est le cas aujourd'hui. Fondamentalement, la police demande des objectifs plus clairs, plus spécifiques, ainsi qu'une reconnaissance de notre travail. Les agents de police doivent savoir que leur travail est connu et qu'après plusieurs années à servir l'Etat, il aura une véritable reconnaissance (c'est le mot juste) de sa carrière. Nous avons besoin d'être récompensés.

Mathieu Zagrodzki : La demande numéro 1 c’est le renfort des effectifs. Par nature, les taches que peuvent réalisées la police sont infinies. C’est un type de travail où l’on arrive jamais au bout de toutes les missions. Seulement, aujourd’hui, nous arrivons à un stade, où l’on arrive même plus à assurer la base, c’est à dire répondre aux appels du 17.

Il y a un problème structurel dans la police française. Nous disons qu’il n’y a pas assez de policiers en France, en réalité notre densité policière par habitant est plus élevée que la moyenne européenne. Seulement, en France, les policiers sont souvent obligés de réaliser des taches de secrétariat, de ressources humaines …

En outre, la police en France n’a pas le temps ni la formation pour parler aux personnes, et cela joue également. La communication n’est donc vraiment pas une des valeur prioritaire des jeunes gardiens de la paix, et cela est redoutable.

Dans la mesure ou le pays fait face à une véritable menace terroriste, qu'est-ce que cela cette situation traduit de notre société aujourd'hui ?

Jean-Paul Mégret : La difficulté de la France relève du fait qu'on a été, autrefois, très en pointe sur le dispositif juridique visant à empêcher les associations de malfaiteurs de commettre des actes terroristes. Nous nous sommes donc crus préservés. On s’aperçoit aujourd'hui que ce que les gens qui travaillent dans les services anti-terroristes (la DGSI, par exemple) annonçaient s'est réalisé. L'effet de masse a conduit à ce que le risque se concrétise. Aujourd'hui, des gens issus de cités sensibles passent à l'attaque contre leur propre pays. On se retrouve donc avec un certain nombre de nos valeurs remises en cause... Ce ne sont plus des attentats commis par des individus manipulés par des puissances étrangères : désormais, on fait face à des gens qui sont opposés à nos valeurs, font partie de la communauté nationale et visent à la changer radicalement. Pour y parvenir, ils l'attaquent. Cela complique énormément le travail des forces étatiques : ça implique de surveiller bien plus de monde. Une fois de plus la charge de travail a été confiée à la police, mais elle devrait revenir à la justice. Et toutes ces valeurs que nous avons nourries, développées, finissent par nous handicaper : au fond, on ne sait plus quoi faire de tous ces individus qu'on interpelle. Le modèle social français, le contrat républicain, tout cela n'a pas préservé le pays des attaques. La France n'a pas écouté assez les forces de polices qui, pourtant, annonçaient le drame à venir. 

Jean-Claude Delage : Cela traduit une urgence. Il est urgent que l'Etat prenne conscience de la nécessité d'une politique pénale et d'une politique policière à la hauteur de la menace. Cette menace est forte, réelle. De plus en plus d'individus se tournent vers des voies radicales, cherchent à mettre à mal l'État de droit. Ces gens cherchent à briser la société telle qu'on l'imagine.

Pour lutter contre cette menace, nous ne pouvons pas travailler comme il y a vingt ou trente ans. Je ne m'exprime que pour le domaine des forces de sécurité, mais il est essentiel d'adapter nos politiques policières et pénales, ainsi que nos objectifs, à cette nouvelle situation sans cesse plus violente. La police doit disposer de moyens juridiques, de moyens clairs et répondre à une politique claire. Nous ne devons pas vider les prisons et libérer des gens dangereux, mais y envoyer ceux qui doivent s'y rendre.

Aujourd'hui, il est clair que nous avons besoin d'une politique pénale et policière plus ferme, plus répressive et plus claire concernant les sanctions qui attendent les terroristes. Elle doit également être plus volontariste : cela signifie fournir les moyens nécessaires à l'atteinte des objectifs (clarifiés) que nous nous devons de remplir. Dans plusieurs situations, pour pouvoir mener à bien son travail, un agent de police se retrouve à devoir jouer sur les textes, voire les détourner. Nous ne pouvons pas, actuellement, contrôler n'importe qui, en tout lieu et en toutes circonstances sans être taxé d'être un affreux réactionnaire, puisque nous portons l'uniforme de policiers républicains. Bien sûr, il est essentiel de pouvoir contrôler les forces de polices pour éviter les abus, mais il est primordial de nous fournir les armes nécessaires à la bonne réalisation de notre propre travail. Un contrôle d'identité, par exemple, rentre dans le cadre de nos missions de prévention de sécurité.

Aujourd'hui on fait de plus en plus attention au sort des agriculteurs, et d'autres corps de métiers, mais on tend à oublier les policiers et les militaires. Pourquoi ? Comment pourrais-t-on revenir à une situation ou les forces de polices jouissent d'un respect mérité, comme aux Etats-Unis ?

Jean-Paul Mégret : En France, la culture est autrement plus contestataire qu'aux Etats-Unis. Il y a toujours eu ce côté moquerie vis-à-vis de la police et des gendarmeries. Néanmoins, je demeure persuadé que la population reste très attachée à ses forces de sécurité : il s'agit de l'exemple même du service public. Le problème vient du fait qu'en France il faut commettre des actions marquantes, comme les grèves, pour être aperçu. Par définition, celui qui rentre dans la police ou dans la gendarmerie accepte de mettre le service des autres et le travail avant tout. Ce sont des valeurs primordiales au sein de ce corps de métier et par conséquent la cessation-du-travail n'est pas concevable, en plus d'être simplement interdite. Même sans avoir de quoi travailler, on fait avec des bouts de ficelle. Quand bien même une décision est prise et va à l'encontre de ce que l'on pense (comme lors du débat sur les gardes à vues), nous finissons par revenir à notre attachement à la République. Nous sommes républicains, nous faisons donc. Même si cela se fait au détriment de notre motivation, de notre vie de famille et de notre vie privée. On essaye toujours, et au fond on est pris à notre propre jeu. Nous sommes, par conséquent moins visible sur l'agenda social (et cela ne représente en aucun cas une critique du monde agricole qui est extrêmement dur également). Sans avoir toujours été maltraités par le passé, les forces de polices restent un enjeu de pouvoir et forment, avec les médecins urgentistes, les gendarmes, les pompiers l'un des derniers services en contact avec la population. Et une crise dans ces domaines cela signifierait que ces derniers bastions de l'Etat Régalien (par là j'entends aussi l'armée) sont vraiment touchés. C'est pourquoi on porte des revendications sociales, sans mettre le travail de côté.

Jean-Claude Delage : Le pouvoir exécutif doit envoyer un signal fort aux forces de sécurité. Il est important que l'Etat se positionne de façon globale, dans la culture et non pas simplement dans la communication. Nous avons besoin de soutien et du soutien d'une culture de la sécurité. Manuel Valls m'apparaît comme appartenant à cette culture (on l'a constaté quand il était maire), mais cela ne semble pas suffire. Je pense que le chef de l'Etat et l'Etat dans son ensemble se doivent d'adopter cette culture-ci. 

L'an passé, le Président de la République l'a reconnu et a présenté certains symboles. Il a dit qu'il avait conscience du travail que nous exercions, de l'investissement dont nous faisions preuve, de notre engagement. C'est une forme de reconnaissance qui touche les policiers, les gendarmes et les forces de sécurités au sens large. Néanmoins, le témoignage de sa reconnaissance devrait passer par la mise en œuvre d'un plan qui nous fournit les moyens que j'évoque depuis le début de cet entretien, les perspectives d'avenirs que nous avons déjà abordées également. C'est à ce moment-là que nous arriverons enfin à un niveau de reconnaissance comparable à d'autres pays, comme les Etats-Unis.

A mon sens, la clef est donc politique et financière. Sans quoi, on ne peut pas reconnaître la juste valeur de l'engagement d'hommes et de femmes qui risquent leur vies pour la France, au sein des forces de police, de gendarmerie et de sécurité de façon plus générale.

Mathieu Zagrodzki : Déjà les policiers et les gendarmes n’ont pas le droit de grève. Cela limite leur pouvoir d’action. Les policiers sont syndiqués. Chez les Gendarmes, il y a eu un arrêt de la Cour Européenne des droits de l’homme autorise les associations, mais pendant longtemps ils n’avaient pas le droit de se syndiquer.

La police aux USA est malgré tout assez scrutée par les médias, les associations de citoyens, et notamment des minorités, elles ont été frappées par un certain nombre de scandale récent qui ont porté atteinte à leur image. Les polices aux Etats-Unis sont locales. Il y a 18 000 polices au total qui correspondent à des villes ou des contés. Les forces de police ont été crée autour de communauté locales. Elles sont donc perçues comme légitimes. En France le processus est inverse. La police travaille pour l’état. Elle travaille pour le pouvoir central et elles est perçue comme une force d’oppression pour servir le gouvernement, l’état, et ses intérêts qui ne sont pas ceux des citoyens.

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