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Henri Guaino : "Un second tour Macron - Le Pen serait dramatique car il n'y aurait plus de place pour la moindre pensée qui prenne en compte la complexité du monde et de la condition humaine"
©Reuters

Entretien politique

Alors que le premier tour de l'élection présidentielle approche à grands pas, Henri Guaino, député Républicain des Yvelines se confie sur cette dernière et sur les événements en Syrie.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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 Atlantico : Au fil des jours et des sondages, il apparaît que la probabilité d'un second tour opposant Marine Le Pen à Emmanuel Macron soit la plus forte à ce jour. Selon vous, que révèle un tel panorama de la situation du pays ?

Henri Guaino : Ce qui frappe d’abord dans cette campagne c’est que la dynamique est du côté des candidatures hors système - Le Pen, Macron, Mélenchon – et que les candidats des partis traditionnels sont à la peine, comme s’ils étaient à bout de souffle, usés et qu’ils n’avaient plus rien à dire. Cette campagne me semble révéler deux faits majeurs.  Le premier c’est que la société française ne s’est pas « droitisée » comme on le dit souvent mais « radicalisée » dans l’accumulation des crises et des souffrances. Le deuxième fait majeur, c’est que les français ne réclament pas tellement une alternance entre la droite et la gauche, plutôt le remplacement de ce qu’ils ressentent comme un système politique, une façon d’agir et de penser, vieux, sclérosé, verrouillé et qu’ils jugent non sans raison un échec total. 

L’hypothèse d’un second tour Le Pen – Macron conforterait cette thèse en signant l’échec de ce qu’on a appelé « les grands partis de gouvernement ». C’est-à-dire, d’un système politique avec deux grands partis dominants, un de centre gauche et un de centre droit, auquel la création de l’UMP, au début des années 2000, avait semblé apporter la touche finale. On nous avait vendu la modernité politique sous la forme de deux cartels électoraux – PS et UMP -  qui devaient ratisser très large et alterner tranquillement au pouvoir à l’intérieur de ce que l’on appelait dans les années 90 le « cercle de la raison ». Mais leur défaut congénital était qu’ils réunissaient chacun en leur sein des courants et sensibilités qui n’avaient en fait pas grand-chose en commun, et qui ne s’entendaient que sur une seule chose : gagner ensemble les élections. Cela ne correspondait ni au génie politique français, ni à la période de l'histoire dans laquelle nous entrions. La situation de crise de plus en plus aigüe à la fois économique, culturelle, sociale, identitaire exigeait au contraire des familles politiques avec des identités fortes. Or c'est à ce moment qu'on a bâti des partis à identité faible voire sans identité. Résultat, non seulement on a laissé le champ libre aux extrêmes, mais en outre ces cartels électoraux ont étouffé les clivages qui étaient en train d’émerger comme les vrais clivages de l’époque et qui traversaient tous les partis depuis la chute du Mur de Berlin : mondialisation heureuse contre critique de la mondialisation, européisme béat, contre euroscepticisme, ceux qui croyaient en la Nation, et ceux qui n'y croyaient pas, ceux qui pensaient en termes de civilisation et ceux qui s’y refusaient, ceux qui vivaient douloureusement l'insécurité culturelle et la crise identitaire et ceux qui considéraient qu’elle n'avait aucune importance, les idolâtres du marché et ceux qui appellent l’Etat à jouer un rôle dans l’économique etc.. Ces clivages-là, n’ont pu s’imposer dans un système qui, à la fin, ramenait toujours tout au clivage droite gauche et dont le système de la primaire est l’ultime expression. C’est ce système qui est en train de se décomposer entre les gauches "irréconciliables", de Manuel Valls, et les droites toutes autant « irréconciliables ».

Un second tour Macron – Le Pen exprimerait l’émergence brutale d’un clivage plus pertinent que la droite et la gauche, puisque tous deux se positionnent sur une ligne ni droite, ni gauche. Mais faute que ce nouveau clivage se soit inscrit raisonnablement dans une recomposition ordonnée du débat et du paysage politique, il s’imposerait sous sa forme la plus radicale, ou si l’on veut, la plus caricaturale : "l'ouverture contre la fermeture", "l'européisme contre l'anti-européisme", le "nationalisme contre le monde sans frontière"… C'est en réalité dramatique, car il n'y aurait plus de place dans ce débat-là pour la moindre nuance, pour la moindre pensée qui prennent en compte la complexité du monde et de la condition humaine. Il n’y aurait plus  qu’un d'affrontement brutal entre deux visions du monde dont ni l’une ni l’autre ne peuvent se suffire à elles-mêmes.

Selon les derniers sondages (BVA) publiés le 7 avril, Jean Luc Mélenchon serait désormais en capacité de faire jeu égal avec François Fillon, le mettant ainsi en capacité de prétendre à un second tour. Comment interprétez vous cette situation, et quelles peuvent être les conséquences d'un tel scénario?

Ce serait une autre version du même phénomène, car contrairement aux apparences ce ne serait pas davantage le retour du clivage droite - gauche. Ce résultat marquerait plus nettement encore la défaite de la pensée unique économique et sociale néo ou pseudo libérale qui constitue le cœur de l’idéologie de la mondialisation et de la doxa européenne. Cette défaite s’inscrirait sur fond d’affrontement entre nationalisme et internationalisme. Si l’on veut bien reconnaitre qu’éventuellement Macron n’est que le masque juvénile de la continuation du système sous d’autres formes, l’affrontement au second tour Le Pen – Mélenchon serait plus en phase avec le contexte historique, le profond malaise de la société et la radicalisation des esprits.

Quel en serait les conséquences pour la droite française ? Dans une telle configuration, quel sera votre choix personnel, et comment comptez-vous participer, ou non, au renouveau de votre courant politique ?

Tout dépend comment vont se passer l'élection présidentielle et les élections législatives. Si vraiment la vie politique se structure autour de cette ligne de front, il n'y a plus de droite française au sens où on l'entend aujourd'hui au singulier. Et il n'y a plus de gauche au singulier non plus. On verra d’une manière ou d’une autre l'explosion du Parti socialiste, et de l'UMP qu'on appelle aujourd'hui les Républicains. Ce sera la fin de ces grands cartels électoraux qui ne pourront pas résister à leurs tensions internes. Le Parti socialiste sera écartelé entre la gauche de la gauche et la gauche macronienne. Les Républicains seront écartelés entre le Front national et la droite macronienne. Un autre paysage politique peut surgir de ces décombres avec des courants politiques dont l’identité sera plus affirmée et qui concluent des alliances électorales au lieu de perdre leur personnalité et leur âme en se fondant dans des appareils uniquement voués à la conquête du pouvoir.

Peut-être reverra-t-on émerger deux familles qui ressembleront au RPR et à l’UDF de jadis avec un pôle gaulliste, ou gaullo bonapartiste, et un pôle, européen libéral. N’est-ce pas au fond ce vieux courant gaullo-bonapartisme qui a structuré longtemps les droites, dont la disparation organisée a permis qu’une bonne partie de l’espace politique soit occupée par le Front national ? 

En tout cas, entre le Front national et le centre, il y a une droite qui doit se libérer et choisir son destin entre un idéal qui ressemblerait au gaullisme et une dérive droitière qui la mettrait à la remorque du Front.

On oppose régulièrement un clivage droite-gauche pouvant être dépassé par un clivage "ouverture-fermeture", quelles sont, selon vous, les causes profondes d'un tel revirement idéologique ? Quelles sont les conditions d'un retour au clivage traditionnel ?

Nous n’avons plus à choisir entre le communisme et la liberté. Mais l’erreur a été de croire que la chute du mur de Berlin signifiait que l’Histoire et la politique étaient finies. Comme si la gestion allait remplacer la tragédie. Comme si l’approfondissement de la démocratie et du marché était désormais l’unique tâche à remplir pour rendre l’humanité heureuse. Et nous avons oublié tout le reste : les raisons de vivre ensemble, de partager une destinée commune, d’être solidaire mais aussi, du même coup, ce qui fait la légitimité d’une autorité, d’un pouvoir, qu’il soit politique, économique, judiciaire, culturel, moral, spirituel…

Ce sont les fondements même de la civilisation qui ont été ébranlés sans qu’il fut jamais possible d’en débattre car, n’est-ce pas, il y avait la droite et la gauche, et rien d’autre.

Mais lorsque l’on ne peut pas poser des mots ni penser un tel malaise, quand celui-ci est exclu du débat public, quand la politique l’ignore, quand l’art de gouverner l’écarte, il ne reste que la radicalité et la violence pour l’exprimer. Quand la politique devrait procéder de la réflexion la plus approfondie parce qu’il n’y a plus de consensus sur les principes, les valeurs, le rapport au monde, le rapport aux autres, elle devient au contraire de plus en plus superficielle, synthèse alors non plus de la pensée et de l’action mais de la gestion et de la communication. Alors le retour brutal du refoulé est inévitable. C’est ce que nous vivons à travers la crise de la politique qui frappe l’Occident en général et la France en particulier. 

Que vous inspire la percée de Jean Luc Mélenchon de ces derniers jours ? Le candidat de la France Insoumise est-il le seul à avoir su "capter" la tension relative au creusement des inégalités ?

Je crois qu'il n'y a pas que ça. Bien-sûr, il y a les inégalités. Mais surtout il met en évidence la faiblesse des autres car Jean-Luc Mélenchon, indépendamment de ce qu'on peut penser de ses choix idéologiques fait précisément de la politique en donnant une place importante à la réflexion, à la pensée.  Il ne fait aucune concession sur le terrain de la langue, ni sur celui de l'exigence intellectuelle que nous impose le profond malaise auquel la politique est confrontée. Il fait de la politique comme tout le monde devrait en faire. C'est le seul aujourd'hui à mobiliser intelligence et culture. Et il est frappant que les français lorsqu’on les interroge, disent qu’ils le comprennent mieux que les autres. Comme quoi on ne gagne jamais rien à abaisser son niveau d’exigence dans le débat politique. Peut-être les gens sentent-ils qu’un moindre degré d’exigence vis-à-vis de soi-même révèle un manque de considération à leur égard.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, Donald Trump a choisi de frapper une base syrienne. Quelle est votre réaction par rapport à ce revirement ?

Inquiète. Donald Trump est décidément lui aussi l’un des visages du malaise de l'Occident, de la crise intellectuelle et morale que nous traversons. Quand on est le chef du pays le plus puissant du monde, quand on est le chef de la plus puissante armée du monde, on ne prend pas des décisions de cette nature à l'emporte-pièce ! Simplement parce qu'on est ému par les images qui passent à la télévision. Il faut prendre de la distance, du recul, réfléchir, peser les conséquences. Régis Debray dit « l’homme d’Etat est celui qui veut les conséquences de ce qu’il veut ». Sinon quand on a un tel pouvoir et qu’il s’agit de questions aussi graves, le danger est immense. Car bombarder une base aérienne dans un autre pays n'est pas une décision que l'on prend tout seul sur un coup de tête. Je ne sais pas si c’est réellement le cas, mais c’est vraiment l’impression que cela donne.

Que pensez-vous du soutien apporté par la France et l'Allemagne de François Hollande et Angela Merkel à ce bombardement ?

Il y a une forme de pusillanimité dans cette réaction qui est irresponsable parce qu’elle conforte Donald Trump dans le sentiment qu’il peut tout se permettre. Nourrir cette ivresse de la toute-puissance est toujours dangereux. 

Au-delà il faut s’interroger sur un système politique qui ne permet plus d’exprimer la révolte d’un peuple que par l’élection d’un personnage comme Donald Trump. Ce questionnement nous renvoit à notre propre élection présidentielle alors que plus personne ne s’interroge sur ce que doit être un président de la République parce qu’on fond tout ce qui compte c’est qu’un nom sorte du chapeau et après on verra bien. Les plus optimistes, qui ne croient pas à l’importance de la politique, jugeront que ce n’est pas grave. Les plus lucides se diront qu’à l’heure où le tragique de l’Histoire nous ressaute à la figue, les conséquences peuvent être très lourdes et qu’un système qui produit aussi peu d’hommes d’état dignes de ce nom est mortifère. L’histoire ne nous a-t-elle donc pas enseignée à quelle sorte d’effondrement un tel abaissement de la politique conduit toujours nos Démocraties. A voir le déroulement de notre élection présidentielle on se dit qu’hélas tout se passe comme si en politique on n’apprenait jamais rien. 

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