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Hausse des problèmes d’érection : s’agit-il d’une libération de la parole ou d’une augmentation réelle du phénomène ?
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Masculinité écornée

Une étude de l’Ifop en date du 11 octobre 2018 fait état de la progression des problèmes érectiles dans la population française. En 2000, 25% des femmes avaient déjà eu un "partenaire qui a eu un problème d’érection".

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : En 2018 ce taux grimpe à 59%. Comment peut-on expliquer cette progression (évolutions sociétales en 20 ans) ?

Michelle Boiron : Le changement de société. On ne change pas impunément des lois qui fondaient la sexualité sans conséquences sur l’homme et précisément sur sa sexualité. 
Les banquiers, les traders, les hommes d’affaires sont les guerriers des temps modernes. La réussite doit s’étendre à tous les domaines ! Ce qui crée chez l’homme l’anxiété de la performance professionnelle s’est propagé  aussi dans l’intimité. Or, aujourd’hui l’homme doit rendre des comptes sur sa sexualité. Ses performances sont mesurées, calibrées, minutées, analysées, voire corrigées ! C’est grâce aux molécules sexoactives, qui sont certes une invention majeure, une potion magique, que l’homme ne peut plus être défaillant. Il est contraint d’y recourir si la moindre panne se produit : « Interdit de rester dans cet état-là », puisqu’il existe un remède, il faut le prendre…
La société est anxiogène par le truchement des médias : télévisions, journaux féminins. Elle donne l’étalon de la normalité dans notre sexualité via des enquêtes sérieuses Les, comme l’étude de Nathalie Bajos et Michel Bozon , ou d’autres moins sérieuses, la norme est décrite, il n’est pas question d’y échapper, il faut l’atteindre ! L’étude de l’IFOP  sur l’augmentation des troubles érectile qui fait objet de cette interview est un exemple d’étude anxiogène pour le commun des mortels masculin. Ceux qui vont la lire risquent ils de développer une panne pour être « conformes » ? Vont-ils se poser une question qui n’était pas à l’ordre du jour ? 

Quel impact la  généralisation de l’accès à la pornographie a-t-il pu avoir sur cette progression ?

Si l’on s’accorde sur le fait qu’il existe d’une part  en l’homme un besoin violent et indéracinable de stimulants et d’excès et d’autre part que la pornographie est le cocktail le plus enivrant et le plus destructeur pour l’homme, on peut penser que la pornographie a un impact. Elle agit sur les circuits excitation  et l’érection peut être  moins facilement atteinte quand l’excitation devient de plus en plus exigeante eu égard aux circuits sollicités pendant le visionnage régulier de films pornographiques. 
L’influence des images pornos visionnées de plus en plus précocement a un impact sur la sexualité. L’absence de maturité chez l’adolescent notamment ne permet pas une médiation langagière  et symbolique. Elle  lui fait courir un danger certain eu égard à l’absence de distance qu’il ne peut gérer face à ces images effractantes. L’abolition de l’écart spectateur/ image met celui qui regarde en situation d’impuissance. Il perd ainsi la capacité de symboliser, c'est-à-dire de penser de juger, et de comprendre que la réalité ne se résume pas à ce qui est montré.  De là à en déduire qu’il y a un risque  d’impuissance il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Il y a parfois,  un risque d’anorgasmie.
On rencontre dans nos patients jeunes (20 ans) des problèmes érectiles au cours des premiers rapports. Pour certains l’exigence et la performance peuvent avoir un réelle impact sur leur sexualité avec ou sans visionnage de pornographie.
La seule évidence de cette consommation de films pornographiques c’est le risque de l’addiction.  Une addiction sans produit c’est la raison pour laquelle on ne s’en n’est pas méfié car on « ingère » rien. 

Quels pourraient être les leviers d’action pour faire baisser ce pourcentage ?

Le sujet humain est avant tout un être culturel. Il faut donc étudier le système de valeurs  et de croyances d’une société pour accélérer à la compréhension des comportements sexuels. On constate que le contexte culturel de la quasi- totalité des individus est conforme aux normes du groupe social auquel ils appartiennent.
Or l’homme de 2018 doit être lisible, transparent, performant.
Impossible à l’homme de rester enroulé dans sa coquille comme un escargot. Messieurs, vous n’avez plus le droit d’être mou ! Adieu l’intimité ! Après l’amour sans contrainte, sans obligation de résultat, voici l’heure de la transparence ; vous ne pouvez plus vous cacher, tricher ; il faut rendre des comptes sur votre vie sexuelle. Votre nouveau statut ? Se plier à la norme de la société, des médias, norme bien établie.
Le dévoilement de son intimité et sa codification ont fait apparaître sa fragilité. Là où l’important était sa jouissance, confondue avec l’éjaculation, aujourd’hui le faire jouir devient un must, sous le regard de la société. 
Alors l’augmentation des problèmes érectiles me parait être une conséquence de notre société. L’homme s’est perdu dans un univers qu’il pensait maîtriser mais qui en fait le dépasse et dont il ne parvient plus à échapper. Il s’est éloigné de sa réalité pour prendre l’apparence du «politiquement correct», élargi aujourd’hui au « sexuellement correct ». L’homme s’est dissout dans le social. Il a perdu la protection, le refuge que constituait son intimité. En parallèle la femme a fait du chemin et exige une jouissance. 
Alors redonnons à l’intimité ses lettres de Noblesse, informons, éduquons nos jeunes et moins jeunes hommes sur leur condition d’être viril au lieu de les tester sur leur capacité érectile et de les questionner sur leur identité. 

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