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Mariage princier (et mixité sociale) : pourquoi les contes de fées à la Harry et Meghan entre gens d’origine sociales ultra différentes existent beaucoup moins qu’avant
©Oli SCARFF / POOL / AFP

Jour J

Si le mariage de Meghan Markle avec le Prince Harry réunit deux familles très éloignées socialement, ces "contes de fée" sont de plus en plus rares. Les mariages entre personnes d’origine sociale différente disparaissent au profit d'une grande homogénéité dans les couples. Les occasions de se rencontrer sont en effet de moins en moins nombreuses.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Sophie  Bramly

Sophie Bramly

Sophie Bramly a été photographe et est maintenant productrice de télévision. Elle est aussi créatrice du site secondsexe.com, un portail dédié au plaisir au féminin. Elle a publié avec le Professeur François Olivennes Tout ce que les femmes ont toujours voulu savoir sur le sexe et enfin osé le demander.

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Atlantico : L'union de Meghan Markle avec le Prince Harry est très exceptionnelle et en cela, elle peut se rapprocher des mariages tels qu'ils sont racontés dans les contes, notamment Cendrillon de Charles Perrault, repris par Disney, depuis. Quel message cela renvoie-t-il dans notre société ?

Sophie Bramly : Il y a des aspects très positifs, comme d’entrevoir qu’une situation défavorable peut évoluer positivement, quoique cela tienne à des éléments extérieurs et que la probabilité soit faible. D’autres sont malheureusement très pénalisants pour les femmes. Si l’émancipation féminine avance par certains côtés (économiques surtout) on voit aussi comme elle stagne sur d’autres aspects. Notre société toujours très masculine continue d’encourager les femmes à être séduisantes et répondre aux critères de beauté de l’époque pour plaire aux hommes (ce qui est par ailleurs un bon commerce…). Que Disney ait encore envie de véhiculer ce message aux petites filles me semble tout à fait exaspérant.  

Quel est le poids, l'influence, des morales de contes dans le développement des enfants, la construction vers l'âge adulte ?

Sophie Bramly : L’influence est extrêmement importante et c’est bien la raison pour laquelle ces histoires traversent les siècles. Le travail du psychanalyste Bruno Bethelheim va plus loin, puisque pour lui la pantoufle de verre (et non de vair dans son cas) symbolise l’hymen, donc il faut que la femme soit belle et également vierge pour plaire à l’homme. On voit bien, hélas, l'influence encore aujourd’hui, où hommes et femmes ont du mal à se défaire de stéréotypes comme "une femme ne couche pas le premier soir". Tout ce qui est inculqué aux enfants en bas âge, alors qu’ils sont malléables, influençables, devient une vérité difficile à effacer même à l’âge adulte.   

L'égalité homme-femme a progressé ces dernières décennies, le monde professionnel s'étant "féminisé" dans de nombreuses branches. Quel a été l'impact de cette évolution sur les inégalités de revenus des différents ménages dans les pays développés ? Les inégalités sociales se sont-elles accrues, comme le suggère une étude internationale menée par des économistes (ici et ) ?

Vincent Touzé : La participation des femmes au marché du travail s’est accrue depuis le milieu du siècle dernier et continue d’augmenter dans beaucoup de pays développés. Chaque nouvelle génération de femmes a été plus active sur le marché du travail que celle qui l’a précédée. Cette tendance résulte de deux facteurs principaux : la montée du secteur tertiaire (les services) et le combat des femmes pour s’émanciper et accéder à une autonomie financière. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, le taux d’activité des femmes était à 47,5% en 1962. Cinquante ans plus tard, il a gagné 20 points et a atteint 67,6% (en 2012). En France, en 2012, ce taux d’activité est estimé à environ 66,7% contre 53,1% en 1975. Ce phénomène est général, même si certains pays affichent du retard. Par exemple, en Italie, il est seulement à 53,5%. Les femmes grecques font légèrement mieux avec un taux d’activité de 58,4%.

Aujourd’hui, l’accession des femmes au marché du travail est d’autant plus aisée qu’elles réussissent souvent mieux scolairement que les hommes (voir l'étude DARES, mars 2012). Par exemple, les femmes sont très nettement majoritaires dans la réussite au concours de médecine. Cette profession se féminise très rapidement.

Il est certain qu’un meilleur accès au marché du travail a permis aux femmes d’obtenir des salaires plus élevés, ce qui a pu réduire considérablement les inégalités entre les hommes et les femmes. De plus, pour un couple, avoir deux salaires accroit le niveau de vie et constitue une meilleure garantie contre le chômage.

Toutefois, la baisse des inégalités de revenu entre les hommes et les femmes n’a pas nécessairement réduit les inégalités entre les ménages. D’un certain point de vue, la plus grande activité des femmes pourrait avoir accru les inégalités entre les couples.

Une étude de l’INSEE de 2006 montre ainsi que  « les femmes vivent plus souvent que les hommes avec un conjoint ayant une position plus élevée sur l’échelle sociale ». Elles sont donc plus souvent « hypergames » que les hommes. Dans ce cas de figure, on peut aisément imaginer que les écarts de revenu ont pu s’accroître entre des couples composés d’ouvriers peu qualifiés et travaillant dans des secteurs très exposés à la mondialisation (taux de chômage souvent élevé et peu de perspectives de hausse de salaire au nom de la sacrosainte compétitivité) par rapport aux couples composés de deux cadres supérieurs hautement qualifiés et qui travaillent dans des secteurs bénéficiant pleinement de la mondialisation avec des possibilités de carrières internationales.

Une note de l’INSEE d’août 2013  montre que le taux d’activité des femmes croît avec le niveau de diplôme et que le taux d’activité à temps partiel est plus élevé chez les femmes peu diplômées. Ces différences de taux d’activité à temps plein favorisent un creusement des inégalités sociales entre les femmes et indirectement entre les couples en raison de l’hypergamie des femmes.

Cette hypergamie des femmes conduit d’ailleurs à une situation un peu particulière sur le plan de la natalité. Une étude de l’INSEE publiée en 2006 montre  que 14% des hommes et 10% des femmes nés entre 1945 et 1953 n’ont pas eu d’enfant. Pour les hommes, il s’agit souvent des moins diplômés. Pour les femmes, c’est plutôt le contraire. L’hypergamie des femmes et l’hypogamie (fait d’avoir un conjoint de niveau social plus faible) des hommes seraient-elles des facteurs de célibats et d’inégalités sociales ?<--pagebreak-->

Dans ce contexte, l'histoire de Cendrillon est-elle saine pour les enfants ?

Sophie Bramly : Pourquoi vouloir se marier/être en concubinage en dehors de sa tranche de revenus ? Pour être dépendant de son partenaire, soumis à son bon vouloir ou à son autorité ? Je ne vois pas comme une mauvaise nouvelle le fait que les gens se choisissent à égalité, si je puis dire. Mais pour en revenir à Cendrillon, son cas n’est pas le même : elle est la fille d’un bourgeois, destituée par sa belle-mère. Donc d'une certaine façon elle récupère son statut et l’améliore. Expliquer à un enfant qu’il peut y avoir des passages difficiles dans la vie, mais qu’ils ne durent pas est en soi une bonne chose, mais l’exemple choisi montre aussi hélas qu’elle passe d’un gentil père à une méchante femme avant d’être sauvée par un homme, ce qui véhicule encore et encore l’idée que les femmes ne peuvent s’en sortir par elles-mêmes. 

Le fait qu'hommes et femmes travaillent aujourd'hui à poste équivalent est une réussite sur le plan de l'égalité. Paradoxalement, ne constate-t-on pas dans le même temps une tendance de plus en plus forte à l'endogamie ? Pourquoi ?

Vincent Touzé : Les classes préparatoires, les écoles, les multinationales sont autant de lieux de rencontre où se constituent et se renforcent les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux favorisent les rencontres et la constitution des couples. Si l’ascenseur social ne fonctionne pas bien au niveau de l’école et que finalement, les "héritiers" et les "héritières" ont toujours les clés d’accès aux meilleures carrières, alors le système renforce l’endogamie et la reproduction des élites.

Cette consanguinité sociale réduit-elle les chances de mobilité sociale ? Dans quelles proportions ?

Vincent Touzé : La consanguinité sociale est l’expression même d’un conservatisme social et d’un cloisonnement de la société. Par exemple, les enfants des classes dominantes auront tendance à déserter les universités pour se réfugier dans les nombreuses grandes écoles (dont le nombre de places a beaucoup augmenté depuis leur création) au moment même où la politique du "bac pour tous" a réussi à donner accès à l’Université à un plus grand nombre de jeunes. En bref, la France de l’enseignement supérieur pourrait bien être cloisonnée.

Faut-il se résoudre à cette tendance ? Comment restaurer cette mobilité sociale sans pour autant revenir en arrière ?

Vincent Touzé : L’école a un rôle essentiel à jouer, mais le monde professionnel aussi. En France, les carrières sont encore trop souvent dépendantes des parcours scolaires et de la réussite ou non à un concours à l’âge de 20 ans. De ce point de vue, il faut trouver un moyen de libérer le marché du travail afin que tous les talents puissent s’exprimer et se voir reconnus par des carrières professionnelles également ascendantes. Dans certains pays (Allemagne, par exemple), l’apprentissage peut s’avérer être une véritable école de la réussite. En France, les cursus scolaires d’excellence (classes préparatoires, grandes écoles) sont certes des filtres de révélation des talents mais ils peuvent aussi renforcer la reproduction sociale dans la mesure où ils imposent des codages ou des connaissances qui ne s’apprennent pas à l’école de la République. Consciente de cette reproduction sociale, de nombreuses grandes écoles (Sciences Po, par exemple) ont décidé d’ouvrir des concours parallèles afin de garantir une ouverture sociale plus importante.

Pour certains économistes si les inégalités de revenus continuent de progresser, les gains obtenus par le travail n'atteindront que très difficilement la fortune héritée. Cendrillon serait-elle devenue le modèle à suivre pour les jeunes filles ?

Sophie Bramly : Des fortunes héritées, on sait aussi qu’elles sont généralement dilapidées à la troisième génération, donc je ne pense pas que le monde se scinde définitivement entre une poignée d’ultra-riches héritiers et le reste du monde. Tous les systèmes finissent toujours par s’épuiser … Par ailleurs, je ne crois pas non plus que les gens n'aient qu’un idéal d’argent dans la vie, il me semble que beaucoup d’hommes et de femmes ont d’autres valeurs et l’on voit d’ailleurs l’importance grandissante accordée au bonheur dans notre société, dont on sait qu’il tient plus du rapport humain qu'à l’argent. Enfin j’espère qu’en 2015 les jeunes filles ne courent plus après des chimères de princes charmants et riches, même si hélas des succès comme "50 nuances de Grey" sont des variations sur le thème de Cendrillon. 

Dans une société de plus en plus matérialiste et consumériste, tout porte à croire que l'on ne peut être pauvre et heureux aujourd'hui. Même la morale de Cendrillon tend dans cette direction…

Sophie Bramly : Il me semble au contraire que la troisième révolution industrielle dont parle l’économiste Jérémy Rivkin est une révolution de partage : on revend sur E-Bay, on circule avec auto-lib, on loue sa maison sur Airbnb, la mode est au vintage, les produits culturels sont dématérialisés… On ne cherche plus à posséder.  Il me semble que les annonceurs ont besoin de continuer à créer du désir pour les besoins de leur commerce, mais les gens sont de plus en plus sensibles à ces nouveaux modes de consommation, qu’ils apprécient la désintermédiation et le regroupement en tribus qui partagent les mêmes idéaux sur les réseaux sociaux et s’affranchissent ensemble des diktats commerciaux et politiques. Je suis très optimiste là-dessus et ne voit pas trop la place de Cendrillon dans ce modèle.

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