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Harcèlement contre résistance au changement : comment sortir la France de l’enfer professionnel qu’elle est devenue ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Condamnation

France Télécom et trois de ses ex-dirigeants ont été reconnus coupable de harcèlement moral institutionnel. Cette affaire illustre une nouvelle fois les rapports conflictuels, si ce n'est violents, autour de la modernisation du travail en France.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Les entreprises françaises doivent faire face à des exigences d'évolution pour rester compétitives tout en tenant compte des perspectives salariales, parfois hostiles au changement. Comment éviter que la gestion de cette contradiction ne mène à des conflits aussi déplorables que celui dont l'entreprise France Télécom (désormais Orange) est devenue le symbole ?

Hubert Landier : Le changement est une nécessité permanente de l’entreprise mais il ne peut pas se faire contre la majorité du personnel, ni même sans une coopération active venant de sa part. Le problème, c’est qu’il est souvent conçu en petit comité et imposé d’en haut, sans information et sas concertations préalables. Or, c’est le meilleur moyen de susciter une opposition du personnel, ce que les manuels de management qualifient de « résistance au changement ».

Bien sûr que le changement nous dérange tous dès lors qu’on n’en voit pas l’utilité, qu’il bouscule nos habitudes et qu’il nous impose de nous interroger sur nos compétences. La première tâche du management, c’est donc d’en faire comprendre la nécessité, avec des arguments qui soient compréhensible par les non initiés. Comme disent les manuels, « susciter l’adhésion au changement ». Mais il ne s’agit pas seulement de susciter l’adhésion, il faut aussi donner la possibilité à chacun d’être acteur du changement dans son domaine de compétence en enrichissant le projet de ses observations et de ses propositions. Et également en faisant en sorte que chacun comprenne ce qu’il a à y gagner. Ce qu’il a à y gagner, c’est le maintien de son emploi, son évolution professionnelle et, s’il ne peut pas suivre, à quitter l’entreprise dans de bonnes conditions.

Il faut également assurer l’accompagnement des salariés et des managers. Tous n’y sont pas préparés. Il s’agit en effet souvent d’un changement dans les tâches mais aussi d’un changement de philosophie. Comment passer d’un système taylorien, où il y a ceux qui décident et ceux qui exécutent, à une organisation dans laquelle chacun a son mot à dire et sa part de responsabilité ? Si on néglige cette dimension humaine du changement, si on agit avec brutalité, on a ce qui s’est produit chez France Télécom.

Comment expliquer que les relations au travail en France soient aussi difficiles, conflictuelles, et brutales ? Est-ce que la culture syndicale de notre pays peut expliquer en partie l'établissement de conflits aussi durs ?

Bien sûr, la culture syndicale en France est profondément marquée par la tradition d’une opposition nécessaire entre le patron et les ouvriers, entre la Direction et les salariés. Mais il s’agit là en partie au moins de la conséquence d’une certaine forme de management. Si les salariés n’ont aucune possibilité de participer à la vie de l’entreprise autrement qu’en exécutant les ordres et en suivant les directives qui leur sont imposées, ils se rattrapent en se faisant entendre collectivement. Et s’il s’agit de faire face à des décisions qui ont déjà été prises, leur expression prend alors nécessairement la forme d’une opposition.

Il est donc important que la mise en oeuvre de changements qui impacteront le travail des salariés soit précédée d’une période d’information, de concertation et de négociation. Et plus le changement est lourd, plus il faut accorder d’importance à cette phase. Comme le disait l’un des dirigeants de la CGT à un auditoire de DRH, « il faut se parler, et plus c’est difficile, plus il faut se parler ». Ou encore, comme l’affirmait Edmond Maire à la CFDT, il faut passer d’un jeu « gagnant-perdant » à un jeu « gagnant-gagnant ». Cela ne va pas de soi. Et quand l’entreprise se trouve au pied du mur, tout dépendra de la façon dont les relations entre la Direction et les syndicats se sont structurés dans le passé.

Le cas de France Télécom, à l’époque où les dirigeants qui viennent d’être condamnés étaient aux manettes, est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Imposer d’une façon brutale et méprisante. Bien sûr qu’il fallait aller vite : la survie de l’entreprise en dépendait probablement. Mais il ne fallait pas le faire comme ça. Il fallait communiquer autour des enjeux, essayer d’associer le personnel et de susciter une émulation. Et ceci tout en discutant avec les représentants du personnel des modalités concrètes à envisager de façon à ce que chacun s’y retrouve. Et surtout, surtout, ne pas laisser chacun tout seul avec ses problèmes personnels et son angoisse face à l’avenir. Il y a des gens solides, mais il y en a d’autres qui sont fragiles. Et il faut les aider, les accompagner.

Quelles réformes pourraient aider à apaiser les relations au travail et éviter que les situations comme celle de France Telecom ne se reproduisent ou continuent à avoir lieu ? Peut-on s'inspirer d'autres pays ?

Le problème de la France, c’est que c’est un pays profondément élitiste, et ce n’est pas vrai seulement de la façon dont sont dirigés les grandes entreprises, on le voit bien actuellement avec le problème de la réforme des retraites. Les grandes entreprises sont souvent dirigées par des équipes de « cadres dirigeants», qui s’imaginent tout savoir mais qui ne connaissent pas grand chose des réalités du travail. Ils prennent des décisions qui leur semblent rationnelles mais qui sont souvent décalées par rapport à la réalité humaine de l’entreprise. On n’est pas comme en Allemagne où les cadres dirigeants sont nombreux à être issus de l’école d’apprentissage de l’entreprise où ils ont fait toute leur carrière ou comme au Japon où toutes les décisions sont précédées d’une période qui peut être assez longue de concertation interne.

Ce que l’on peut regretter c’est que la dimension humaine et sociale de la vie de l’entreprise ne soit pas davantage prise en considération par les grandes écoles, qu’il s’agisse d’écoles d’ingénieurs ou d’écoles de management. Et j’ajouterai que plus l’école est réputée, plus cette dimension humaine et sociale est absente des programmes. Le résultat, c’est que l’on voit de jeunes diplômés, qui ont l’ambition d’être rapidement promus aux plus hautes fonctions, et qui ignorent quel est le rôle d’un délégué syndical. Cette carence des grandes écoles est parfaitement connue, mais elle se heurte à la nécessité pour elles d’obéir à certaines prescriptions qui conditionnent leur « ranking » et qui sont imposées par les Etats Unis. Or, aux Etats Unis, les problèmes sociaux se posent différemment. Et il s’ensuit que nombre de dirigeants sont très incompétents sur le plan humain et social.

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