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Hadopi déjà dépassée : où et comment écouterons-nous de la musique dans 10 ans ?
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La lala la lalala

Téléchargement illégal, peer-to-peer, streaming... Contre toutes ces dérives, Hadopi n'a - pour l'heure - trouvé aucune réponse satisfaisante. Peut-elle alors s'adapter à un marché de la musique en évolution permanente, où les mots-clés sont désormais "crowdfunding", "musique collaborative" ou encore "curation" ?

Atlantico : Hadopi (la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet) traverse actuellement une énième crise de légitimité avec, tout récemment, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti qui a déclaré vouloir en réduire le budget. Est-ce que Hadopi a encore, dans sa dénomination actuelle, une utilité ou est-elle condamnée à court terme ?

Virginie Berger : C’est compliqué. D’un côté, il est très clair qu’on ne peut absolument pas laisser croire qu’on peut télécharger illégalement de la musique partout. Je pense notamment à la rémunération des artistes qui en pâtit, il y a vraiment quelque chose à faire sur ce sujet, pour expliquer que pirater les artistes, c’est les pénaliser.

La problématique se pose toutefois plutôt dans les termes suivants : est-ce que Hadopi a servi à quelque chose ? Il y a des batailles de chiffres à ce sujet. Il y a effectivement eu une baisse du téléchargement illégal, la fermeture de MegaUpload, mais il n’y a pas vraiment d’augmentation de la part de l’offre légale.

Justement, après la fermeture de MegaUpload, est-ce que Hadopi doit désormais se concentrer davantage sur la question du streaming plutôt que sur celle du téléchargement ?

Une étude publiée récemment précise que 70% de la consommation illégale de musique ne provient pas d’Internet : clés USB, disques durs… Le téléchargement ne consiste pas qu’à aller sur un site de piratage. Plein d’autres choses existent et un simple changement de fusil d’épaule du direct download (téléchargement direct) au streaming (écoute en ligne) ne suffit pas.

Mais le vrai travail qu’a à faire Hadopi est un effort de communication auprès du grand public. Il y a bien eu une série de publicités au deuxième degré... Il faudrait communiquer de manière "cool", détendue, intéressante, en expliquant ce qu'était le téléchargement et les conséquences de celui-ci sur la rémunération des artistes.

Contrepied de ce dernier point : de plus en plus d’artistes décident de mettre quelques morceaux de musique gratuitement en téléchargement sur Internet pour se faire connaître. Il y a ainsi plein de nouvelles choses à intégrer à la communication institutionnelle. Il y a donc un énorme boulot en communication à faire, ainsi que de compréhension des usages. La manière de consommer la musique n’est plus du tout la même qu’auparavant.

Le tout-répressif aurait donc montré ses limites ?

Exactement. Après, je ne télécharge pas illégalement moi-même mais d'après ce que je vois autour de moi, les gens ne vont pas vraiment sur ces sites. Il y a plein d’autres techniques maintenant !

Notamment via les clés USB, et autres disques durs...

Voilà, et puis maintenant vous trouvez facilement ce que vous voulez sur le Net… Télécharger illégalement, c’est vraiment faire preuve de mauvaise foi, comme si on n’arrivait pas à trouver ce qui nous plait sur Internet aujourd’hui ! Entre les sites de streaming, les artistes qui laissent légalement leur musique sur leur site, Bandcamp ou Soundcloud… Il y a le choix !

Les artistes se sont-ils donc finalement adaptés aux consommateurs plutôt que le contraire ?

Oui… ils n’avaient pas le choix. C’est assez dur, mais nous sommes dans un univers un peu nietzschéen, voire même dans un univers darwinien avec la théorie de l’évolution. Très concrètement, il y a une évolution de la consommation et des usages de la musique grâce à Internet. Il y a encore deux ans, on ne consommait pas la musique comme maintenant. Le consommateur va suivre, prendre le train en marche, monter dedans et avancer. Ainsi, soit les fournisseurs de musique s’adaptent, soit ils meurent.

C’est la même problématique pour la presse papier ou Internet : quel est le business model à développer ? Les gens ont l’habitude de consommer gratuitement : comment peut-on gagner sa vie en dehors de la publicité ? Une grande majorité d’artistes a décidé de s’adapter, et ces artistes se sont rendu compte qu’il y avait un renversement de la consommation.

Jusqu’à MySpace en 2002-2003, il fallait passer par deux intermédiaires : un magasin de disques, et des maisons de disques qui les approvisionnaient. A mon époque, j’allais acheter les « OK » et autres « Podium » et c’est tout, nous n’avions aucune communication avec les artistes. Il n’y a désormais plus d’intermédiaire et les artistes ont bien compris qu’il y avait un retournement du rapport de forces. Si toi, artiste, tu ne vas pas communiquer, parler avec les gens, le fan va voir quelqu’un d’autre. Soit il s’adapte et il donne des nouvelles – et de la musique – régulièrement, soit il ne s’adapte pas et c’est très compliqué de se maintenir au sommet.

Je mets un bémol pour les artistes haut de gamme et très suivis où c’est un peu différent car ils ont une telle base de fans que tout le monde va les suivre. Mais regardez ce qui se passe actuellement avec Madonna, c’est un vrai cas d’école. McCartney n’arrive pas à vendre ses concerts, pas mieux pour Jon Bon Jovi… Les fans peuvent désormais se rebeller car ils ont d’autres possibilités pour écouter de la musique.

Les artistes ont donc évolué et finalement, ils n’ont pas le choix. C’est une évolution de la consommation et des usages et on ne peut pas aller autrement.

Cette autre manière de consommer de la musique et surtout d’en parler passe-t-elle forcément via les réseaux sociaux, grand public comme Facebook ou Twitter ou spécifiques comme Soundcloud ?

Il y a encore un changement du rapport de force, de la consommation, de la promotion. Il y a encore dix ans, on allait au « Grand Journal », on passait sur NRJ, on avait des papiers dans des magazines et c’était tout, c’était ainsi qu’on pouvait se vendre la musique. Aujourd’hui c’est tout à fait différent : tout le monde peut déposer sa musique sur le Net, on est obligé de communiquer avec les gens. Donc on va passer par les réseaux sociaux. Facebook est incontournable, alors que Twitter est plutôt de l’ordre du bouche-à-oreille, là où les amis vont faire la promotion de quelque chose qu’ils écoutent.

Peut-on parler de relais plus que de mode de diffusion ?

Exactement : Twitter est une sorte de bouche-à-oreille mondial. Facebook permet de faire écouter des choses, parler avec ses fans alors qu’avec Twitter est plus dans l’interactivité.

Ensuite, Soundcloud et Bandcamp sont des moyens de faire vendre, écouter, télécharger sa musique. On peut se dire que c’est compliqué car il faut savoir gérer ces outils mais d’un autre côté, c’est absolument génial pour plein d’artistes qui ne veulent plus avoir d’intermédiaires ou qui veulent se connecter directement à leurs fans.

C’est chronophage…

Exactement. Cela permet de vraiment se faire connaître alors qu’auparavant, sans le soutien des maisons de disques, de NRJ, de MCM… c’était tout à fait impossible.

En complément de ces réseaux sociaux se développent de nouvelles techniques comme le crowdfunding (NDLR : financement de projets par les internautes), les labels collaboratifs… Est-ce que vous croyez à ces nouveaux outils, comme Kickstarter ou GogoYoko ? Peuvent-ils vraiment permettre aux artistes de promouvoir et vendre leur musique ?

Un outil comme Kickstarter n’est qu’un moyen de lever des fonds pour faire sa musique, il n’aide en rien à sa promotion ou à sa vente. Si l’artiste n’est pas entouré derrière, même avec ces fonds, ce n’est pas assez. Il est, ceci étant, révolutionnaire pour la musique : il permet à des artistes qui n’avaient pas de fonds d’en avoir pour faire un clip, du merchandising, finaliser une tournée, finir la production de son album… A noter que Kickstarter ne concerne toutefois que des projets très précis.

Mais comment un artiste va-t-il lever ces fonds ? Ce n’est pas seulement en postant son projet sur Kickstarter que tout à coup, les mécènes vont s’accumuler. Il faut une communauté déjà établie, savoir chercher ses bienfaiteurs… Et ensuite, une fois que ces fonds sont levés, la problématique est la même : comment vais-je faire ma promotion ?

Ces sites sont géniaux, constituent des révolutions pour la musique ainsi que pour toute la filière (tourneurs, producteurs). Mais après, si l’artiste n’est pas entouré et n’a ni l’expérience ni les compétences nécessaires, il va se retrouver dans une mauvaise situation : son album est fini, produit, le merchandising est réalisé… mais grosso modo, que peut-il faire derrière ? Il faut savoir chercher des fans, faire sa promotion, réaliser le travail de marketing et de stratégie. Les fonds ne viennent d’ailleurs que si vous avez été suffisamment bon jusque-là.

Le concept de Kickstarter est donc révolutionnaire, j’en suis totalement convaincue. N’empêche que persiste exactement le même système darwinien qui fait que si vous n’avez pas su communiquer a priori, vous n’aurez pas levé les fonds.

Si on ne communique pas, l’artiste n’est d’ailleurs visible ni sur Facebook, ni sur Spotify…

Voilà. Tout revient à ça. Chris Anderson, le rédacteur en chef du magazine « Wired », a développé il y a quelques années la théorie de la longue traîne. (NDLR : cette longue traîne représente une partie du marché des entreprises de vente, notamment en ligne comme Amazon ou iTunes, qui vendent de nombreux produits, chacun en petite quantité.) Mais cette longue traîne, en fait, ne marche pas : quand on regarde les tops des ventes sur iTunes et des écoutes sur Spotify, c’est peu ou prou la même chose. Bref, si vous ne faites pas un boulot monstrueux de visibilité, vous n’arriverez pas à être visible. Et cela ne passe pas que par Internet : cela passe aussi par la vraie vie, les concerts, le live. Même un amateur de musique ne va pas aller chercher à vous découvrir si vous n’arrivez pas à être visible.

En dehors des happy few qui savent où dénicher ces musiques, via des sites comme The Hype Machine...

Voilà, en dehors des influenceurs. Tout passe par la curation : savoir découvrir, conseiller, choisir. Le site qui arrivera vraiment à s’en sortir, qui va être énorme et qui pourrait largement dépasser un Deezer ou un Spotify, est celui qui arrivera à intégrer une notion de conseil et de découverte dans son offre.

Est-ce que, de manière plus radicale, on est en train de tendre à force vers une gratuité totale du support musique et, par de là, une rémunération des artistes via les concerts ?

Cette stratégie ne marche pas du tout ! Il est faux de dire que les artistes peuvent vivre grâce au live. Seuls les plus gros peuvent s’en sortir. Un artiste de classe moyenne ne peut pas vivre grâce aux seuls concerts, à moins qu’il ait une fan-base monstrueuse.

Je ne suis d’ailleurs pas du tout d’accord avec le concept de gratuité sur Internet. La musique sur le Net est une propriété intellectuelle. Pourquoi un artiste ne devrait pas être payé pour le travail qu’il a fait ? Pourquoi, lorsque des centaines de personnes l’écoutent, ne devrait-il pas être rémunéré là-dessus ? Après, qu’on trouve une rémunération juste et qu’on réfléchisse aux ayant-droits, aucun problème. Mais pourquoi l’artiste devrait être sacrifié au nom du bien-être des auditeurs ? Très concrètement, si on en arrive à ne plus payer les artistes, il n’y en aura tout simplement plus.

Si on pouvait donner un panorama de la musique en ligne dans 5-10 ans, quelles seraient les grandes directions dans lesquelles irait ce marché ?

C’est très compliqué de le savoir. Il y a des évolutions techniques qui arrivent tous les jours… Je pense que la possibilité d’écouter sa propre musique partout, tout le temps, sera essentielle. Cela arrive d’ailleurs petit à petit sur les téléphones portables, via le 3G, via le cloud

Je pense aussi que les playlists collaboratives, la musique collaborative, vont beaucoup se développer. On voit le succès de ces dernières notamment sur Spotify, la possibilité d’accéder à des playlists préparées par d’autres ; sur Facebook, on peut par exemple savoir ce qu’écoutent les autres.

Je ne sais pas comment va évoluer la radio : ce média n’évolue d’ailleurs presque pas. Il y a plus de titres/jour qui passent en antenne (37 sur NRJ il y a quelques années), mais je pense qu’in fine on va arriver à privilégier ses propres choix, sa musique personnalisée, écouter sa musique quand on veut où on veut.

Quant au débat streaming vs propriété de la musique ; le streaming n’a pas encore fait ses preuves, notamment avec les réseaux 3G qui ne sont pas nickel partout, le cloud, le prix des abonnements… Plein de choses sont en train de se mettre en place.

Je pense malgré tout que les gens aiment être propriétaires de leur musique. Ceci étant, le support CD va à mon sens naturellement disparaître : dans les derniers ordinateurs ou dans les autoradios par exemple, il n’y a sur les derniers modèles plus de lecteurs CD. Naturellement et technologiquement, ce marché va se restreindre, comme le fut celui du vinyl.

La musique de l’avenir est donc la musique « n’importe où » : sur n’importe quel mobile, quel device, actuel et à venir, avec la possibilité de stocker et de découvrir. La clé, pour les prochains services, réside pour ceux qui seront capables, à partir de titres qu’on a dans notre bibliothèque (comme Genius sur iTunes mais de manière beaucoup plus poussée), d’aller faire découvrir des choses qu’on n’aurait jamais découverts autrement.

Il y a des sites qui sont en train de se monter actuellement avec des empreintes acoustiques capables de générer des recherches Internet et montrer des titres qu’on n’aurait jamais découvert autrement. De même avec les sites permettant la constitution de playlists collaboratives.

Avec des sites comme 22tracks, 8Tracks par exemple ?

Notamment, mais de manière encore plus poussée.

Gwendal PERRIN

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