Guerre en Ukraine : Vladimir Poutine en pleine fuite en avant… mais vers quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des référendums d'annexion vont se dérouler les 23 et 27 septembre dans certaines régions du Sud de l'Ukraine. Vladimir Poutine a annoncé une mobilisation partielle également.
Des référendums d'annexion vont se dérouler les 23 et 27 septembre dans certaines régions du Sud de l'Ukraine. Vladimir Poutine a annoncé une mobilisation partielle également.
©Alexei DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Stratégie du Kremlin

Les autorités pro-russes dans plusieurs régions d'Ukraine vont organiser des référendums d'annexion par la Russie les 23 et 27 septembre. Vladimir Poutine a annoncé une "mobilisation partielle" des Russes en âge de combattre.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : Vladimir Poutine s’est exprimé ce mercredi matin. Que faut-il retenir de sa prise de parole ?

Françoise Thom : Fidèle à lui-même, placé au pied du mur, y compris par ses alliés asiatiques qui ont tenté de lui faire entendre raison,  il choisit l’escalade. Il y a dans ce discours ce mélange caractéristique chez Poutine de bravade et de couardise sous-jacente typique du voyou des banlieues. En dépit de sa rhétorique enflammée il choisit une demi-mesure : la mobilisation partielle, qui concerne les réservistes. A son habitude il attribue aux Occidentaux ce qu’il fait lui-même depuis des années : le chantage nucléaire. Ce discours montre que Poutine est plus que jamais enfermé dans sa réalité alternative. Cela n’augure rien de bon, ni pour la Russie, ni pour l’Ukraine, ni pour l’Europe.Les arrière-pensées du président russe s’expriment clairement dans une déclaration de Dmitri Medvedev : «Après l’inclusion de nouveaux territoires en Russie, la transformation géopolitique du monde deviendra irréversible. […] Après les amendements à la Constitution de notre État[1], pas un seul futur dirigeant de la Russie, pas un seul fonctionnaire ne pourra revenir sur ces décisions. » Le but évident de Poutine est d’enchaîner par ces annexions ses successeurs à sa politique de confrontation avec l’Occident.

Les autorités pro-russes dans plusieurs régions d'Ukraine ont annoncé mardi la tenue dans l'urgence du 23 et 27 septembre de référendums d'annexion par la Russie, en pleine contre-offensive ukrainienne. Ce sera le cas dans le Donbass (oblasts de Donetsk et de Louhansk), mais également dans les régions de Kherson et de Zaporijia. On imagine que ces référendums seront truqués. Les Russes ont-ils l’intention de gagner par la force ce qu’ils perdent sur le plan militaire ?

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Jérôme Pellistrandi : Les autorités russes essayent de donner une légitimité à leur intervention. Au début, ils cherchaient à “dénazifier” l’Ukraine. Avec ces référendums, ils tentent de faire croire que la population russophone ne veut plus être intégrée au sein de l'Ukraine. Les territoires seront désormais considérés comme russes, ce qui change la donne en matière de droit international. 

Françoise Thom : Le Kremlin doit de toute urgence faire la démonstration des succès de l'opération spéciale Z qui suscite des doutes croissants dans l’opinion russe. On remarquera la manière toute soviétique dont il procède : l’initiative émane soit-disant de la base, est attestée par un scrutin, et le Kremlin ne fait soi-disant que répondre aux attentes des masses. Le même procédé a été employé pour l’annexion des Etats baltes à l’été 1940. Tout cela est fait dans une grande précipitation, tant Moscou craint une nouvelle percée de l’armée ukrainienne.

Dans le même temps, les législateurs russes de la Douma ont adopté une loi introduisant les concepts de "mobilisation, loi martiale et temps de guerre" dans le code pénal. Dans quelle mesure cela rapproche-t-il de la mobilisation générale ? Est-ce le signe d’une fuite en avant du pouvoir russe face à ses difficultés militaires ?

Jérôme Pellistrandi : C’est le sentiment que cela peut donner. On peut effectivement parler de “fuite en avant” de la Russie. L’opération militaire spéciale lancée le 24 février dernier a complètement échoué. La Russie se retrouve dorénavant en situation défensive sur le terrain. Trouver des solutions, aussi bien militaires que politiques, apparaît bien difficile. 

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Françoise Thom : Pour déclarer une mobilisation générale la Russie doit déclarer la guerre à l’Ukraine, renonçant à la fiction de « l’opération militaire spéciale ». Jusqu’à présent elle n’a pu s’y résoudre car déclarer la guerre à l’Ukraine reviendrait à reconnaître que celle-ci existe en tant qu’Etat. L’« opération militaire spéciale » était pensée avant tout comme une opération de police contre une poignée de rebelles (d’où l’envoi de la Garde nationale chargée en Russie de réprimer les troubles intérieurs). Une déclaration de guerre est une reconnaissance de l’État ukrainien, ce que Poutine ne peut admettre. C’est pourquoi il procède de sa manière habituelle, hypocritement, sournoisement, en refilant la tâche de la mobilisation aux autorités locales. Les modifications au code pénal aggravent les peines sanctionnant la désertion, la reddition à l’ennemi etc...

Quelles peuvent être les conséquences d’une annexion par la Russie de ces quatre régions ? Pourrait-elle déboucher sur une escalade irrémédiable ? Certains observateurs estiment que les référendums, en rattachant les quatre régions à la Russie, permettrait à Moscou de justifier une réaction militaire forte et directe en cas d’attaque ukrainienne sur ces territoires, voire une escalade nucléaire. Est-ce ce que recherche Moscou ?

Jérôme Pellistrandi : L’annexion de la Crimée en 2014 avait entraîné des sanctions du bloc occidental contre la Russie. S’il y avait une annexion de ces territoires, comment le monde pourrait-il réagir face à cette captation de territoires ?

L’Ukraine ne pourra pas accepter ces annexions pures et dures, qui rappelleraient celle des Sudètes. Elle a les moyens de poursuivre la guerre. 

Les Russes ont une position extrêmement fragile au regard du droit international. Et plus généralement, le président Poutine a renforcé la mobilisation car l’armée russe manquait de soldats. Moscou est affaiblie depuis plusieurs semaines car la conquête est très laborieuse, avec une perte importante de soldats et d'équipements. Ils sont en phase défensive au nord et au sud de l’Ukraine. 

Françoise Thom : Poutine a  a décidé une fois de plus de renverser un échiquier où il commençait à perdre et à faire monter les enjeux. On procédera aux référendums sans contrôler la totalité des territoires, sans en avoir  renforcé la défense. Organisés en trois jours au pied levé, ces référendums n’auront même pas l'apparence d'une procédure démocratique. Les résultats du vote seront dictés d’avance au Kremlin. L’annexion des régions séparatistes aura des conséquences pratiques importantes aux yeux du Kremlin : le service militaire dans ces territoires sera assimilé au service à l'intérieur des frontières de la Russie avec toutes les conséquences qui en découlent. Les conscrits pourront légalement y être  envoyés pour leur service militaire immédiatement après avoir été appelés. Pour les militaires sous contrat, le service dans ces territoires cessera d'être une mission à l'étranger, ce qui signifie que l’État pourra se dispenser de payer les frais de mission. Ils pourront être mutés pour servir dans ces territoires sans leur consentement ;  les réservistes pourront être envoyés dans des camps d'entraînement militaire dans ces territoires, comme les conscrits. En outre, Moscou mobilisera immédiatement les hommes des régions occupées, forçant les Ukrainiens à combattre leurs compatriotes.

Et Poutine pourra brandir son arme nucléaire, en arguant qu’une attaque ukrainienne contre les régions annexées revient à une agression contre la Russie. L’objectif est de démoraliser les  Ukrainiens en combinant ces menaces à une destruction en plein hiver des infrastructures vitales du pays et d’intimider les Occidentaux pour qu’ils cessent d’aider et d’armer l’Ukraine. N’oublions pas qu’en décembre dernier la Russie s’était déjà livrée à un chantage nucléaire explicite au moment où le Kremlin avait adressé un ultimatum aux Etats-Unis et à l’OTAN exigeant le retrait de l’OTAN à ses positions de 1997.Ce n’était qu’un bluff.

Lors du récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, certains pays - la Turquie et l’Inde - ont mis la pression sur Moscou pour que la voie diplomatique soit privilégiée dans ce conflit. La Russie ne risque-t-elle pas de se mettre à dos ses “alliés” ? Peuvent-ils peser suffisamment pour éviter l’escalade ?

Jérôme Pellistrandi : Erdogan a récemment dit que Poutine voulait la paix, mais à quel prix ? Il n’y aura pas de capitulation de l’Ukraine. Ce pays résiste et n’a aucune raison  militaire de capituler. Les Ukrainiens sont en position de force donc n’ont pas vraiment intérêt à négocier non plus. Nous sommes dans une impasse stratégique. 

Quant à la Chine, il y a le congrès du PCC en octobre, ce qui veut dire que l’escalade n’est pas envisageable pour le pouvoir chinois, du moins tant que le pouvoir de Xi Jinping n’est pas conforté. Xi Jinping doit répondre auprès du Congrès et a besoin de maintenir des relations avec les Etats-Unis sur le plan économique. Une forte montée des tensions provoquée par Poutine serait préjudiciable aux intérêts économiques de la Chine.

Françoise Thom : Les « alliés » de la Russie, la Chine surtout, sont un peu dans la position d’Hitler à l’égard de Mussolini lorsque celui-ci se lança dans son expédition désastreuse en Grèce : ils s’énervent contre leur comparse et maudissent sa sottise, mais ne veulent pas le laisser tomber tout à fait par peur d’un renversement d’alliance.


[1]    Il s’agit de l’amendement introduit en 2020 : « La Fédération de Russie, unie par une histoire millénaire, préservant la mémoire des ancêtres qui nous ont transmis les idéaux et la foi en Dieu, ainsi que la continuité dans le développement de l'État russe, reconnaît l'unité de l'État historiquement établie ».

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