Guerre en Ukraine : sérieuse alerte pour Vladimir Poutine avec l’évolution du Kazakhstan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine serre la main du président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev lors de leur rencontre à Sotchi, le 19 août 2022.
Vladimir Poutine serre la main du président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev lors de leur rencontre à Sotchi, le 19 août 2022.
©Nikita ORLOV / SPUTNIK / AFP

Géopolitique

Le Kazakhstan s'éloigne de plus en plus de la Russie. Le pays refuse notamment de reconnaître l'indépendance des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Kazakhstan semble vouloir s’éloigner de la Russie. Comme d’autres pays d’Asie centrale, le pays refuse de reconnaître l’indépendance des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. Le 26 août, Kassym-Jomart Tokaïev, le président kazakh, a refusé de parler russe lors d’un entretien avec Ilham Aliyev, président de l’Azerbaïdjan. Comment expliquer de telles prises de positions pour le Kazakhstan ?

Michael Lambert : Longtemps considéré comme faisant partie de la sphère d'influence de la Russie, le Kazakhstan semble émerger comme une puissance à part entière entre l'Occident, la Russie et la Chine. Ce pays de taille considérable (2,725 millions de km2), dispose de ressources énergétiques notables dont le pétrole (12ème producteur mondial) mais surtout l'uranium (2ème producteur mondial), ce qui lui permet d'approvisionner aussi bien l'Occident que son voisin chinois. La puissance du Kazakhstan ne se limite pas à ses abondantes ressources énergétiques, puisque le pays affiche également un taux de natalité élevé de 2,9 enfants par femme et un secteur des hautes technologies particulièrement abouti. À ce titre, le Kazakhstan a longtemps été leader dans le secteur des crypto-monnaies, avant de connaître des difficultés liées à la hausse des prix de l'énergie en 2022. Le pays est également un épicentre de l'industrie spatiale avec le cosmodrome de Baïkonour d'où sont lancés une partie des satellites et des missions spatiales.  

En résumé, ce pays d'Asie centrale a tous les atouts pour réussir, notamment grâce à sa proximité avec la Chine pour les exportations, sa principale faiblesse restant la corruption systémique.  

Sur le plan géopolitique, le Kazakhstan ne souhaite pas s'aligner sur la ligne politique du Kremlin. En effet, le Kazakhstan n'a aucun intérêt à soutenir la guerre en Ukraine, ni à reconnaître les nouveaux États soutenus par la Russie (Abkhazie, Ossétie du Sud, républiques de Donetsk et de Louhansk). Au contraire, les Kazakhs se sentent plus proches de la Turquie, et se retrouvent avec elle au sein de l'Organisation des Etats Turcs.

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Loin de se détacher de la Russie, le projet actuel d'Union eurasienne, qui est devenu par la suite l'Union économique eurasienne (2015), est une idée d'origine kazakhe proposée par Nursultan Nazarbayev en 1994. On constate ainsi que le pays avait une vision régionale avec des ambitions internationales dès les années 1990.

Pour toutes ces raisons, et grâce à son taux de natalité élevé (contrairement à la Russie, la Chine et l'Occident qui peinent dans ce domaine) et sa proximité commerciale avec la Chine, le Kazakhstan peut se permettre de prendre ses distances avec la Russie et d'afficher des ambitions internationales. Tous ces éléments inquiètent naturellement la Russie qui constate qu'en déclenchant sa guerre en Ukraine, elle perd son soft power en Asie centrale.
Peut-on parler d'un échec pour Vladimir Poutine ? Comment expliquer cette perte d’influence en Asie Centrale et quelles pourraient en être les conséquences pour la Russie ?

La perte d'influence de la Russie en Asie centrale est principalement due aux investissements chinois dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie. En effet, rappelons que l'économie de chacun des pays de cette région peine à se développer, et ce sont principalement les investissements de Beijing qui donnent à ces Etats la possibilité d'être promus sur la scène internationale.

De plus, le facteur militaire reste problématique avec des forces armées en phase de reconstruction. On constate l'absence de forces aériennes décentes, et de surcroît, ces pays ne disposent plus d'armes nucléaires depuis la fin de la Guerre froide. Cela explique leur participation à l'Organisation du Traité de Sécurité Collective aux côtés de la Russie.

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Néanmoins, chaque nation de la région est différente et doit être analysée avec prudence. Le Turkménistan est une dictature comparable à la Corée du Nord, un état dont on sait peu de choses, tandis que le Tadjikistan est en proie à des groupes terroristes et au trafic de drogue en provenance d'Afghanistan, ce qui explique l'installation d'une base militaire chinoise secrète près du corridor de Wakhan. Suivant ce même raisonnement, le Kazakhstan est un pays présentant des lacunes structurelles, comme l'a souligné le soulèvement du 2 au 11 janvier 2022 au cause des prix énergétiques. Quant au Kyrgyzstan, il se trouve dans une situation intermédiaire après une période de rapprochement avec l'Occident.

En considérant ces paramètres, il est indéniable que la Russie devra adopter une approche de plus en plus conciliante envers les peuples d'Asie centrale, pour la simple raison qu'une grande partie des travailleurs émigrés qui viennent en Russie sont originaires de cette région. La démographie russe étant en baisse avec 1,5 enfants par femme, il est très probable que l'avenir de la Russie se trouve en Asie centrale.

Dans l'immédiat, ce déclin de l'influence russe en Asie centrale inquiète le Kremlin, qui constate que la Chine est en train de prendre le contrôle de cette partie du monde. Bien que pour l'instant cela ne soit pas contraignant sur le plan sécuritaire aux yeux de Moscou. Au contraire, la Russie est bien obligée d'avoir la Chine pour sécuriser cet espace, car elle n'a pas les moyens d'être présente sur tous les fronts.

Faut-il y voir une volonté du Kazakhstan de se rapprocher de l’Europe et des États-Unis ? 

Ce n'est pas le cas, sauf sur le plan commercial. Le Kazakhstan a une culture unique et ne partage pas la même vision du monde que l'Occident, une visite en Asie centrale peut lever tout soupçon dans ce domaine. Le Kazakhstan voit simplement dans le retrait de la Russie des marchés occidentaux une opportunité pour accroître la vente d'hydrocarbures, tout en renforçant ses relations avec la Turquie et l'Azerbaïdjan.

Cela dit, le Kazakhstan ne se considère pas comme un antagoniste du monde occidental, contrairement à la Russie et à la Chine, ce qui en fait un partenaire neutre. 
Devons-nous nous attendre à ce que cette protestation s'étende à d'autres anciennes républiques soviétiques ?

À ce jour, la Russie ne bénéficie que d'un soutien partiel de la part des autorités biélorusses, arméniennes, abkhazes et sud-ossètes. Certaines anciennes républiques soviétiques sont farouchement opposées au Kremlin (Estonie, Lettonie et Lituanie, Géorgie). Tandis que d'autres jouent la carte de la neutralité comme l'Azerbaïdjan.

Le maillon faible reste la Biélorussie, dont la population ne fait pas confiance à son gouvernement et attend une étincelle pour se révolter. Bien que fortement influencé par la propagande russe, le peuple biélorusse est capable de se retourner contre ses dirigeants pour obtenir plus d'autonomie. Les mois à venir montreront si les événements évoluent dans ce sens, bien que cela soit peu probable. Le gouvernement biélorusse lui-même est ambigu, rappelant que Minsk ne reconnaît toujours pas l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, ce qui a même conduit à des crises majeures entre Minsk et Moscou par le passé, dont la guerre de juin 2009. La Biélorussie pourrait ainsi devenir le "Kazakhstan d'Europe".

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