Guerre en Ukraine : pourquoi l’Occident ferait bien de garder un œil attentif sur Loukachenko<!-- --> | Atlantico.fr
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Alexandre Loukachenko lors d'une conférence de presse avec son homologue russe après leurs entretiens au Kremlin à Moscou, le 18 février 2022
Alexandre Loukachenko lors d'une conférence de presse avec son homologue russe après leurs entretiens au Kremlin à Moscou, le 18 février 2022
©SERGEI GUNEYEV / SPUTNIK / AFP

Méfiance

Véritable maître de la géopolitique, le président biélorusse Alexandre Loukachenko contrôle son pays d'une main de fer. Souvent considéré comme le dernier dictateur d'Europe, Loukachenko est en réalité bien plus perspicace et astucieux que le chef du Kremlin, Vladimir Poutine

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : L'image du président biélorusse Loukachenko est celle d'un personnage parfois outrancier, prêt à tout pour soutenir Poutine, et complètement vassalisé à la Russie. Dans quelle mesure cette image est-elle due en grande partie à une stratégie de Loukachenko visant à paraître plus idiot qu'il ne l'est ?

Michael Lambert : L'approche occidentale qui consiste à voir la Biélorussie comme un allié de la Russie est réductrice et ne correspond pas à la réalité. En effet, les relations entre les deux pays sont plus complexes et la Biélorussie s'est souvent opposée à la Russie, notamment lorsqu'il est question de reconnaître diplomatiquement l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud (ce que Loukachenko continue de refuser), débouchant même sur la fameuse guerre du lait en juin 2009. 

Loukachenko est en réalité un Maître de la géopolitique, bien plus perspicace et astucieux que Vladimir Poutine qui utilise plus souvent la force. Avant la crise de 2020 avec l'Occident suite aux élections biélorusses, et l'interception du vol Ryanair 4978 par les services de renseignement biélorusses, Loukachenko avait à maintes reprises tenté de se rapprocher de l'Union européenne pour diminuer l'influence de Moscou. 
En définitive, bien qu'aujourd'hui contraint de s'appuyer sur Moscou en raison de l'isolement du pays, Loukachenko était parvenu à développer une politique complexe entre Orient et Occident, notamment en autorisant les Occidentaux à venir dans le pays sans visa, ce qui avait ainsi recréé une frontière entre la Russie et la Biélorussie, au désavantage de Moscou à l'époque.

Pendant de nombreuses années, et encore de nos jours, la Russie a tenté de soumettre la Biélorussie de Loukachenko, allant même jusqu'à avoir des plans pour une invasion militaire du pays. Mais Loukachenko a toujours résisté, ne reconnaissant pas l'annexion de la Crimée (jusqu'à récemment), refusant de cautionner l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, et allant même jusqu'à détruire le projet d'Union Eurasiatique, qui est aujourd'hui l'Union Économique Eurasienne, portant ainsi profondément atteinte à la politique internationale de Vladimir Poutine.

Quel est le rôle et l'influence réelle de Loukachenko auprès de Poutine ? 

Vladimir Poutine essaie de faire plier Loukachenko depuis plusieurs dizaines d'années. Ne nous méprenons pas, les deux sont des autocrates avec un manque avéré en matière de respect des droits de l'Homme, mais pour autant, la Biélorusse rêvait et rêve encore d'Europe, notamment en raison de sa proximité culturelle avec la Pologne, mais aussi parce qu'elle aspire à plus d'indépendance. A bien des égards, c'est la politique occidentale qui a manqué de subtilité pendant la crise biélorusse, car le pays aurait pu être le Cheval de Troie de l'Occident en Eurasie. 

Aujourd'hui, Loukachenko n'a plus aucune influence réelle car il est isolé du reste du monde à la suite de la crise de 2020. 


Sous ses dehors inoffensifs, le président biélorusse applique une politique de fer. De la crise migratoire à la frontière avec la Pologne, celui que l'on surnomme le dernier dictateur d'Europe donne du fil à retordre à l'Union européenne. L'Occident devrait-il prêter davantage attention aux actions de Loukachenko ? 

La tragédie humaine des migrants du Moyen-Orient en Biélorussie est avant tout un appel à l'aide, car elle montre que la Biélorussie n'est pas en mesure d'influencer l'Occident autrement qu'en utilisant cette tactique hybride, qui témoigne du manque de levier politique et militaire de Loukachenko. 

Toutefois, l'approche de Loukachenko n'est pas dépourvue d'intérêt, car l'Union européenne, qui prône le respect des droits de l'Homme, a été prompte à investir des millions d'euros pour renforcer ces frontières et en interdire l'accès aux quelque 2 000 migrants du Moyen-Orient qui fuient la guerre chez eux (comme en Syrie et en Afghanistan). Par contraste, l'UE accepte quasi inconditionnellement la totalité des réfugiés ukrainiens, ce qui témoigne d'un double standard, c'est-à-dire que l'UE défend les droits de l'homme "à la carte" et en fonction de qui elle estime mériter ou non l'asile. Loukachenko a montré cette attitude ambiguë de l'Europe avec les migrants du Moyen-Orient, ce qui est une fois de plus un coup de maître de sa part car il jette le discrédit sur l'UE, ce qui était son objectif. 

L'Occident ne doit plus vraiment prêter attention aux actions de Loukachenko, car sa politique est désormais alignée sur celle de la Russie. Ce n'est qu'une question de temps avant que Minsk ne reconnaisse les territoires de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, et ne fasse pression pour un renforcement de l'Union Eurasiatique. En bref, c'est le manque de subtilité de l'Occident qui pose problème en Biélorussie, et non l'inverse.

Sous-estimons-nous le rôle de la Biélorussie de Loukachenko dans le soutien à Poutine ? Devrions-nous être plus sévères envers le pays pour empêcher la Russie de contourner certaines sanctions par l'intermédiaire de son allié biélorusse ?

C'est plutôt le contraire, car les sanctions ne feront plier ni la Russie ni la Biélorussie. Au contraire, les premiers à souffrir des sanctions sont les citoyens ordinaires (en Europe comme en Russie/Biélorussie), ce qui radicalise les opinions et n'influence pas les élites. De plus, ces sanctions ne font que renforcer le pouvoir de la Chine car chaque magasin et entreprise occidentale qui se retire est immédiatement remplacé par une entreprise chinoise. C'est une forme d'ethnocentrisme occidental que de croire que la Russie et la Biélorussie ne peuvent se passer de l'Occident, alors que l'Occident lui-même dépend de la Chine pour la quasi-totalité de ses produits manufacturés.

En définitive, l'approche occidentale doit être repensée dans de nombreux domaines. Par exemple, l'Occident applique toujours une comparaison affligeante entre l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, alors que l'Abkhazie est le seul État de facto, avec Taïwan, avec lequel l'Occident devrait établir des relations plus profondes. De même, l'approche de l'UE à l'égard de la Biélorussie manque de pragmatisme, car ce n'est pas la seule dictature avec laquelle l'UE a des relations, mais elle stigmatise pourtant ce pays proche qui voulait se rapprocher de l'Occident, mais avait besoin de plus de soutien, notamment économique, pour repousser l'influence russe.

Depuis 2020, il est bien sûr impossible de renouveler cette dynamique UE-Biélorussie, mais c'est regrettable car le pays avait beaucoup à offrir en termes d'agriculture, dans le secteur des jeux vidéo (Wargaming, producteur de "World of Tanks", est biélorusse), et en matière de renseignement. La Biélorussie aurait pu être le Cheval de Troie de l'Occident en Eurasie et le principal allié de l'Occident au sein de l'Union Économique Eurasiatique et de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), ce que l'Occident tente de développer de toute urgence avec l'Arménie maintenant que la Biélorussie est perdue. 

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