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Guerre commerciale en vue : ces erreurs à ne surtout pas commettre face à Donald Trump (mais vers lesquelles nous penchons pourtant dangereusement)
©NICHOLAS KAMM / AFP

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Bruxelles réfléchit actuellement à des mesures de rétorsion faisant suite aux mesures tarifaires mises en place par Donald Trump, laissant craindre à une escalade de mesures protectionnismes entre les différentes zones économiques.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Alors que Bruxelles réfléchit actuellement à des mesures de rétorsion faisant suite aux mesures tarifaires mises en place par Donald Trump, laissant craindre à une escalade de mesures protectionnismes entre les différentes zones économiques, ne peut-on pas considérer qu’une stratégie de désescalade pourrait-être plus efficace ? Au lieu de penser à la liste des produits américains que l’Union européenne pourrait taxer, l’Europe ne devrait s’orienter vers une voie de conciliation, entre correction de ses propres déséquilibres macroéconomiques (excédent commercial) allemand et recherche d’intérêts communs avec les Etats-Unis, notamment sur la question du dumping existant dans le commerce mondial ?

Michel Ruimy : Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis font planer le spectre d’une guerre commerciale. Déjà, dans les années 1980, ils avaient demandé au Japon de limiter ses exportations de voitures vers les États-Unis au nom de la protection de l’industrie nationale. Le Japon accepta cette demande et la relance de l’industrie automobile américaine suivit. En revanche, ce pays refusa de céder à l’autre demande américaine concernant l’élimination des quotas sur la viande bovine et les citrons. Ces quotas obligeaient les consommateurs japonais à acheter des produits domestiques plus chers que les produits américains.

Plus récemment, George W. Bush avait imposé, en 2002, des taxes allant jusqu’à 30% sur une dizaine de produits importés, dont l’acier plat laminé. Son objectif était de protéger des industries menacées et non de préserver la sécurité nationale.

Aujourd’hui, face à la menace de droits de douane sur les importations américaines d’acier et d’aluminium, l’Europe annonce des mesures de rétorsion. La première riposte européenne concerne des courants d’échange limités qui visent des produits américains mythiques (motos Harley Davidson, bourbon, jeans). Sans approfondir les politiques des protagonistes, ces faits illustrent les conflits commerciaux qui s’articulent autour de la problématique du libre-échange : de nos jours, faut-il favoriser le libre-échange ?

En fait, dans le contexte actuel, seule la négociation internationale peut éviter une guerre commerciale. Dans cette perspective, il faut que l’Europe trouve un terrain de négociation, une voie de conciliation avec les Etats-Unis. Je dirais même que c’est une obligation. Je vous rejoins donc.

Primo, au plan théorique, la théorie des jeux le montre dans une certaine mesure : on a plus à gagner en coopérant qu’en étant tout seul. Autrement dit, on tire plus de gains avec le libre-échange qu’avec le protectionnisme.

Secundo, si la charge de Donald Trump est plus brutale, les critiques à l’égard des excédents allemands ne sont pas nouvelles. Avant lui, le gouvernement de Barack Obama, le Fonds monétaire international, la Commission européenne ou des pays comme la France, avaient reproché à l’Allemagne de ne pas suffisamment importer et investir afin de faire profiter, par ricochet, les autres pays européens de son succès économique. Au cours des dernières années, l’excédent courant de l’Allemagne a atteint, en moyenne, environ 8% du PIB - en gros un peu moins de 250 milliards d’euros - notamment en raison de divergence de compétitivité au sein de la zone euro. Je ne reviendrai pas sur cette question mais ces excédents importants et persistants risquent d’être une source de déséquilibres macroéconomiques.

Par ailleurs, les États-Unis étaient, en 2015, le premier partenaire commercial de l’Allemagne, devant la France. Cette année-là, le pays a exporté pour à peu près 115 milliards d’euros de biens aux États-Unis (des voitures, surtout, mais aussi des machines-outils, du matériel électrotechnique et des produits pharmaceutiques), soit 5 fois plus qu’en 1990. De plus, les industriels allemands écoulent les ¾ de leur production à l’étranger. C’est pourquoi, aujourd’hui, il ne faudrait pas compromettre tout cet acquis et laisser le champ libre aux populistes.

Autant dire que, dans un monde interconnecté, ce serait faire fausse route que de rétablir les barrières commerciales. On le voit bien : l’économie allemande et, par là même, celle de l’Union européenne, a beaucoup à perdre avec le protectionnisme de M. Trump en tenant une position intransigeante.

Qu’est-ce que l’Europe aurait à perdre à une telle escalade protectionniste avec les Etats-Unis ? Que risquent ceux qui refusent de voir ce que les Etats-Unis ont pu reprocher à l’Europe, notamment sur les excédents commerciaux allemands qui ont été régulièrement montré du doigt par l’administration Obama au cours des réunions du G20 ? 

La coopération n’est pas une fin en soi, elle se justifie comme étant la réponse la mieux adaptée à l’incertitude et à la complexité.

Aujourd’hui, on abandonne une ère économique pour entrer dans une nouvelle. L’ère précédente a débuté dans les années 1970, quand la mondialisation s’est accélérée avec l’entrée de la Chine dans le concert économique international. Aujourd’hui, cette phase touche à sa fin, remplacée par une forme de mercantilisme.

Dans ce système économique imaginé sous les régimes absolutistes du XVIIème siècle, l’État-nation met tout en œuvre pour consolider le marché intérieur : il encourage l’exportation de produits manufacturés et freine les importations au moyen de restrictions douanières. Une sorte de repli sur soi.

Le président Trump entend ainsi combattre tout ce qui serait susceptible de concurrencer l’économie américaine. Il annonce une majoration des droits de douane sur les produits importés et prévoit de dénoncer des accords commerciaux, accusés de « vampiriser l’économie américaine ».

L’Europe envisage donc de répliquer. Dans un premier temps, elle devrait arrêter des mesures de rétorsion, autorisées par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) dans le cas de conflit ouvert entre deux pays ou groupes de pays. Selon les règles de l’OMC, un état s’estimant lésé peut imposer des mesures punitives sur un volume équivalent à celui des exportations pénalisées. Dans le cas de l’Union européenne, on parle d’un volume maximal d’exportations vers les États-Unis de 5 milliards d’euros pour l’acier, et d’1 milliard d’euros pour l’aluminium. Par ailleurs, des fonctionnaires européens ont aussi dressé une liste de produits, la plupart agricoles, en provenance des États-Unis et qui pourraient se voir appliqués de lourdes taxes en franchissant les frontières européennes. Le montant porterait sur environ 3,5 milliards de dollars.

L’Union européenne espère toutefois qu’elle n’aura pas à mettre sa menace à exécution et que Donald Trump reculera. Car la liste punitive de Bruxelles pourrait ne pas être tout de suite applicable, l’Union souhaitant respecter à la lettre les règles de l’OMC. Celles-ci stipulent que le groupe lésé doit présenter une demande officielle devant l’Organisation, et cela prend du temps. L’Union européenne pourrait aussi contester officiellement devant l’OMC l’argument de « sécurité nationale » américain dans le but de faire condamner les États-Unis. Toutefois, la démarche est une procédure de long terme et doit être menée en concertation avec plusieurs pays tiers.

Au final, l’Europe perdait beaucoup de temps pour faire appliquer son droit, temps que mettra à profit sûrement M. Trump pour rebâtir et dynamiser certains secteurs économiques au détriment de l’Europe. Faisons lui confiance pour user de tous les moyens juridiques pour faire durer ce temps. Il convient donc, pour l’Europe, de négocier tout de suite afin d’éviter d’enclencher des procédures fastidieuses et longues et pour s’attaquer, plus intensément, à ses problèmes de compétitivité qui demeurent. N’oublions pas qu’en Europe, l’Allemagne est l’arbre qui cache la forêt.

Quelles seraient les bases d’une telle entente sur le commerce international entre Europe et les Etats-Unis. N’y-a-t-il pas une erreur de jugement pour ceux qui estiment que la phase actuelle montre que Europe et Chine auraient plus en commun que Europe et Etats-Unis ?

Il ne faut plus se masquer la face : l’Europe n’est plus, aux yeux des Etats-Unis, qu’un des pôles, parmi d’autres, du monde en train d’émerger. Elle n’est plus, en tout cas, la zone stratégique prioritaire qu’elle a longtemps été pour les Américains. Au cours de ces dernières années, si l’on étudie les relations commerciales américaines, on s’apercevrait que ce pays s’est davantage tourné vers l’Asie et n’a pas montré jusqu’ici qu’il voulait resserrer, plus particulièrement, ses relations avec les Occidentaux. Donc, les bases d’une nouvelle entente avec les Etats-Unis sont difficiles à cerner. Il faut être 2 pour discuter. Une condition nécessaire pour une nouvelle coopération pourrait être que la politique commerciale de l’Europe aille dans le sens des intérêts américains ce qui, à l’heure actuelle, semble difficile.

Quant aux relations sino-européennes, si le développement de l’économie chinoise a pu susciter de nombreux espoirs en Europe au début des années 2000, le bilan est aujourd’hui mitigé. Même si la Chine n’a réellement mis en œuvre qu’une petite partie de la coopération euro-chinoise telle que fixée en 2013, il ne faut pas oublier l’effet positif des investissements chinois dans l’ensemble de l’Europe. Reste à savoir dans quelle mesure ces investissements risquent de ne pas se retourner contre les européens, notamment dans le domaine des plans d’acquisition de technologies sensibles par la Chine. Ces projets ne seraient pas incapables de mettre en difficulté l’avenir de l’industrie européenne et éventuellement celui de notre sécurité.

Donc, aujourd’hui, l’Europe a tout intérêt à faire valoir ses intérêts propres pour exister dans la nouvelle géo-économie. Elle en a les moyens mais ceci passera par des périodes de tensions comme aujourd’hui. En fait, les Etats n’ont que très rarement des intérêts communs sur lesquels pourrait se fonder la coopération entre eux. Et même quand un intérêt commun se fait jour, la méfiance entre les Etats est telle (chacun craignant que l’autre ne tire plus d’avantages de la coopération que lui-même), que la coopération n’est pas durablement possible. Même quand elle est possible, la coopération à somme positive, celle où tout le monde enregistre un gain, est dangereuse car certains peuvent gagner plus que d’autres, ce qui entraîne un déséquilibre des puissances et, au final, la coopération a toutes les chances d’aboutir à de nouvelles rivalités. En tout état de cause, aboutir aujourd’hui à une harmonie générale des intérêts des Etats est impossible.

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