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Guerre commerciale : ces très lourdes conséquences qui nous pendent au nez si les Etats-Unis s’en prenaient au secteur automobile européen
©BEHROUZ MEHRI / AFP

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L’industrie automobile européenne sort d’une période particulièrement euphorique qui a vu les volumes et les marges flamber pour reconstituer la rentabilité d’une industrie fortement ébranlée sur ses fondamentaux par la crise de 2008.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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L’industrie automobile européenne sort d’une période particulièrement euphorique qui a vu les volumes et les marges flamber pour reconstituer la rentabilité d’une industrie fortement ébranlée sur ses fondamentaux par la crise de 2008.

Toutefois, l’industrie automobile est cyclique et chacun sait que les volumes, qui font les marges, pourraient décliner en 2018. Mais les signaux sont assez confus. En Europe, la Grande-Bretagne connait une baisse continue des ventes depuis le début 2017, sauf en avril 2018. D’ailleurs après un premier trimestre incertain, avril a été très actif en Europe avec une croissance de 10%. Les États-Unis, comme le Japon connaissent un début d’année 2018 moins serein. Comme toujours les causes sont multiples. Le prix du pétrole remonte depuis 12 mois, ce qui freine toujours les automobilistes dans leurs intentions d’achat. Le baril de Brent est passé de 51 dollars en mai 2017 à 77 dollars fin mai 2018. Alors que le stock de véhicules en circulation vient d’être largement renouvelé avec des véhicules neufs, les voitures actuelles étant fiables et pouvant être conservées plus longtemps alors que les authentiques innovations sont rares, il est peu probable que la demande continue à se situer à un niveau élevé sur les marchés matures.

Mais l’industrie automobile reste le moteur de l’industrie mondiale. L’évolution de la géographie des marchés vers l’Asie profite largement aux constructeurs allemands qui y ont pris des positions massives, sans renoncer au lucratif marché américain. C’est sur ce fond de menaces de ralentissement que les bruits de retour au protectionnisme et à la guerre commerciale se font pressants. Le président Trump est prêt à tout pour relancer l’emploi américain dans l’industrie automobile et il sait que c’est en soutenant les marques américaines qu’il y parviendra. Les élections de mi-mandat, le 8 novembre 2018, ne sont pas étrangères à cette surenchère. L’Europe a tout à perdre d’une guerre commerciale compte de la position dominante de l’industrie allemande aussi bien aux Etats-Unis qu’en Chine.

Alors que le G7 débutera ce 8 juin dans un climat tendu ​de début de guerre commerciale mondiale, Donald Trump fait peser une menace sur l'Europe qui pourrait être bien plus lourde de conséquences pour les européens. Une enquête menée par Wilbur Ross, secrétaire d'Etat au Commerce, pourrait ainsi mener à l'imposition de droits de douanes de 20 à 25% sur les automobiles européennes -et sur les pièces détachées exportées vers les Etats-Unis. Si une telle menace était mise en application, quelles en seraient les conséquences économiques pour l'Europe ? Alors que l'Allemagne contrôlerait 90% du marché "premium" américain, quelles en seraient les conséquences pour ses constructeurs, mais également pour ceux des autres pays comme la France ou l'Italie ?

Jean-Pierre Corniou : Les États-Unis, patrie de l’industrie automobile depuis le milieu du XXe siècle, se voient contestée leur suprématie au cœur même de leur territoire. L'industrie automobile américaine est de plus en plus dominée par les concurrents étrangers. La construction d'une nouvelle usine conjointe de Toyota et Mazda en Alabama , apportant  4000 emplois, démontre la volonté des constructeurs automobiles asiatiquesd’être présentsaux Etats-Unis, où ils ont réussi à s’affranchir des pressions syndicales.

Mais l’industrie automobile américaine – Ford, General Motors et FDA US ( Fiat Chrysler) demeure un contributeur majeur de l’économie américaine avec 245000 salariés  directs, 609000 employés chez les concessionnaires  et 18 milliards $ de dépenses de recherche développement. Elle représente 3% du PIB. 70% des véhicules vendus aux États-Unis y sont produits.Mais si 82% des véhicules vendus par les marques américaines aux Etats-Unis y sont fabriqués, ce pourcentage n’est que 58% pour les autres constructeurs. Le contenu américain des véhicules étrangers assemblés aux USA est également plus faible. Un million de véhicules de marques américaines ont été exportés des Etats-Unis en 2016. L’argument utilisé par Trump de la sécurité nationale est moins anecdotique s’il parait quand on se souvient du rôle majeur qu’a joué l’industrie automobile dans la suprématie mécanique des États-Unis pendant la seconde guerre mondiale et au-delà. Il y a une fibre patriotique dans la maitrise de cette industrie dont le film de Clint Eastwood, Gran Torino, est un symbole éclatant.

Toutefois, durant le premier trimestre 2018, les constructeurs automobiles étrangers devraient avoir produit 1,4 million de voitures aux Etats-Unis. Cette performance leur permettrait pour la première fois dans l'histoire d'égaler la production des constructeurs automobiles américains. En 2017, les constructeurs américains n’avaient produit que 100.000 voitures de plus que leurs concurrents étrangers. Ce recul des constructeurs américains est préoccupant compte tenu de leur poids dans l’économie américaine qui est plus fort que les constructeurs étrangers.

En revanche si les constructeurs français ont depuis longtemps renoncé à revenir aux États-Unis après leurs coûteux déboires, les allemands y sont présents commercialement et industriellement. Les menaces de Trump, qui veut chasser jusqu’à la dernière Mercedes de la 5e Avenue, visent depuis longtemps les industriels allemands, symboles d’une concurrence déloyale, « puisqu’on ne voit pas de Chevrolet en Allemagne ». Bien évidemment l’attractivité propre des marques de luxe allemandes, qui représentent 70% des ventes de véhicules premium dans le monde, explique cet engouement que les constructeurs ont su accompagner par une politiquecontinue d’investissements aux États-Unis.

La production des constructeurs allemands aux États-Unisen 2017 s’est élevée à 811000 véhicules, dont  421000 pour BMW, 303000 pour Daimler et 87000 pour Volkswagen. Les exportations des constructeurs allemands vers les États-Unis se sont élevées à 493000 véhicules en 2017 contre seulement 258000 vers la Chine, où les industriels allemands ont produit près de quatre millions de voitures.

L’industrie automobile allemande surclasse l’industrie américaine. Sur un chiffre d’affaires total en 2017 de 334 milliards €, elle exporte pour 236 milliards € et emploie 480000 salariés. Les ventes de pièces détachées et accessoires s’élèvent à 80 milliards €, les dépenses de R&D s’élèvent à 22 milliards €. Les enjeux de la libre circulation sont donc considérablespour l’industrie allemande.

Dans ses relations avec la Chine, on a pu voir l'administration Trump desserrée son étreinte au moment ou Pékin s'avançait vers des promesses de relance de ses importations en provenance des Etats Unis. De tels tarifs douaniers peuvent-ils être considérés comme des moyens de pression sur les européens dans une même optique ? 

Les objectifs de la Chine et des Etats-Unis ne sont pas identiques. Pour le Président Trump, conformément à ses engagement électoraux, il s’agit de reconstituer la force industrielle de l’industrie automobile américaine pour des raisons d’emploi mais aussi symboliques. Pour le gouvernement chinois, qui coopère depuis plusieurs décennies avec les constructeurs étrangers, il s’agit de s’affranchir de la dépendance technique pour édifier une industrie compétitive, innovante et moderne, donnant à la Chine une indépendance technique conforme à son ambition de long terme. C’est pourquoi les co-entreprises ne seront plus obligatoires à partir de 2021 et que la priorité est mise sur les investissement nécessaires à la mise en place d’une industrie de véhicules électriques innovants. Si la Chine produit une voiture fabriquée dans le monde sur trois, c’est d’ores et déjà une voiture électrique sur deux. La Chine n’a aucun intérêt à encourager toute forme de guerre commerciale compte de sa compétitivité prix, mais aussi de la monté en gamme de ses exportations.

Alors que le secteur automobile européen est déjà sous pression de la Chine tout en venant de perdre sa capacité de se développer sur le marché iranien, quels sont les risques plus globaux pour les constructeurs européens ? Quels sont ceux qui sont les plus à risque ? Dans une telle situation, entre conciliation et affrontement, comment doivent réagir les autorités européennes face aux Etats Unis ?

Il est certain que les constructeurs européens ont beaucoup à perdre d’une contraction du marché mondial que ce soit à travers les droits sur les véhicules exportés assemblés que sur les véhicules destinés à être montés sur place (CKD ou Complete Knock Down)  et sur les pièces détachées. Les constructeurs allemands ont une position dominante mondiale auxquels ils ne peuvent renoncer. SiPSA vient de décider de se retirer de son historique marché iranien sous la pression américaine, les enjeux de l’Europe qui s’est construite comme champion de la liberté du commerce, vont bien au-delà d’une partie de bras de fer que l’administration américaine souhaite engager. L’industrie européenne, c’est aussi l’aéronautique, les industries agro-alimentaires et donc beaucoup à perdre dans des affrontements durs.

L’Europe est plus fragile politiquement que la Chine et les États-Unis. Son fractionnement idéologique actuel, avec la montée des populismes, l’instabilité en Italie et en Espagne et la sortie de la Grande-Bretagne, plaide pour une attitude prudente de la Commission européenne qui manque de moyens pour mener un combat incertain avec les États-Unis. Serait-ce pour les Européens atlantistes une occasion de réviser de façon déchirante 70 ans de positions pro-américaines dans un monde où les équilibres se déplacent vers l’Est ?

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