Grexit : risque économique sous contrôle selon les Allemands mais l'Union survivrait-elle politiquement à une sortie de la Grèce ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'Union survivrait-elle politiquement à une sortie de la Grèce ?
L'Union survivrait-elle politiquement à une sortie de la Grèce ?
©Reuters

Effet domino

"Si la Grèce explose, l'Espagne et l'Italie seront les prochaines puis au bout d'un moment l'Allemagne", a déclaré le ministre de la Défense grec Panos Kammenos. Une possibilité à laquelle le gouvernement allemand n'a pas l'air de croire.

Michele Chang

Michele Chang

Professeure au sein du département d’études politiques et administratives au Collège d'Europe depuis 2006, elle est également la vice-présidente du European Union Studies Association, une association académique américaine consacrée aux études européennes.

Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : La sortie de la Grèce de la zone euro est presque systématiquement envisagée sous le prisme de l'économie. Les responsables allemands considèrent que l'impact de cette sortie de la Grèce aurait finalement un effet limité d'un point de vue économique. Mais quelles seraient les conséquences politiques d'une scission de cette nature au sein de la zone euro ? Le véritable coût de la sortie de la Grèce réside-t-il dans cet aspect politique ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, un événement comme le Grexit aurait un coût politique immense. D’une part, cela prouverait aux yeux du monde entier que les Européens ne sont décidément pas solidaires entre eux, qu’ils en restent définitivement à leurs petites querelles de boutiquiers, qu’ils sont des bien piètres gestionnaires de l’économie européenne, et qu’ils sont incapables de prendre en compte dans leurs décisions une vision géopolitique réaliste de la situation du continent. Ce n’est pas un hasard si les autorités américaines, qui elles disposent d’une telle vision géopolitique, ne veulent pas d’un tel événement comme le Grexit et font pression pour l’empêcher. Affaiblir la Grèce, qui constitue tout de même la sentinelle de l’Europe et de l’OTAN face à un Moyen-Orient en crise profonde, quelle bonne idée ! Surtout alors même que la Turquie d’Erdogan est devenue au fil des ans un allié très incertain de l’Occident. D’autre part, la gauche de la gauche en Europe comprendrait avec le Grexit contraint de la zone Euro qu’il n’existe vraiment aucune version acceptable pour elle de l’Union européenne. Il lui faudrait passer du soutien critique à l’Union européenne – correspondant à la candidature d’Alexis Tsipras à la présidence de la Commission européenne lors des élections européennes de mai 2014 – à un refus pur et simple de cette dernière, à une version de gauche en somme de ce que fait l’UKIP en Grande-Bretagne. Jusqu’ici la gauche européenne toute entière – des socialistes aux communistes rénovés, en passant par les écologistes - a été plutôt fédéraliste en dépit même du fait que l’Union européenne n’a vraiment pas favorisé les valeurs de gauche depuis les années 1980, mais le Grexit pourrait changer les choses à terme. Il serait prouvé qu’il n’existera jamais, ou tout au moins pas à un horizon raisonnable d’attente, une Union européenne qui soit minimalement conforme aux attentes de la gauche, fusse-t-elle simplement social-démocrate comme l’est en fait Syriza, un parti dont le Premier Ministre « gauchiste » vient de signer avec l’OCDE un accord pour être aidé dans ses réformes. En outre, les eurosceptiques, antieuropéens, et autres alter-européens de droite verront dans les mésaventures de la Grèce la confirmation de toutes leurs préventions à l’encontre de l’Union européenne. Certains d’entre eux, déjà par ailleurs assez antiallemands comme cela, verront en plus dans le Grexit la démonstration du poids disproportionné des autorités allemandes dans l’Union européenne. Cela ne les motivera que plus pour sortir d’une UE vue comme un « nouveau Reich ».

Michele Chang : Les conséquences politiques seraient importantes, et les Allemands ont historiquement apprécié ce fait. Helmut Kohl voulait être le chancelier de l'unification de l'Allemagne ainsi que de l'Europe avec la création de l'Euro. Angela Merkel a dit "si l'euro échoue, l'Europe échoue." La création de l'euro était faite pour raisons politiques, pas économiques. L'attente était que l'euro serait un pas vers plus d'intégration politique. La logique d'intégration européenne était toujours une logique de spillover - intégration dans un domaine créé, intégration dans un autre domaine lié, par exemple un marché unique créant la demande pour une monnaie unique, etc.

Il n'y a aucun moyen légal pour une sortie de la zone euro, car l'adhésion est permanente. Avec une rupture de la zone euro, il y aurait  une rupture de confiance avec les marchés, entre les Etats membres, et avec les institutions européennes. Un manque de confiance des marchés serait terrible mais la perte de confiance des autres états membres de l'UE serait catastrophique. La confiance dans le fait que tous les Etats membres rempliront leurs engagements est au cœur de l'UE. Si la Grèce sort, ça donne le message que les engagements pris par les Etats membres sont faibles, et qu'il faut faire attentuion avant d'en prendre d'autres, ou même de ne plus en prendre du tout.

Ne s'agirait-il pas là d'un retour en arrière dans la construction européenne et un aveu d'échec du projet politique qu'est l'euro ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, je ne suis même pas sûr que le terme de « construction européenne » soit alors encore d’actualité. Cela serait le début de la « déconstruction européenne » plutôt.  Beaucoup d’intellectuels pro-européens, y compris des intellectuels allemands de renom comme Ulrich Beck ou Jürgen Habermas, ont critiqué les choix arrogants et aveugles des dirigeants allemands pendant cette crise. La sortie de la Grèce de la zone Euro serait le couronnement d’un tel aveuglement, et elle prouverait que l’Union européenne ne sera jamais un projet réellement fédéral. De ce fait, « l’union toujours plus étroite » prévue par le discours officiel européen serait alors morte et enterrée. Tout le monde, sauf bien sûr quelques retardataires ou intellectuels de cour, comprendrait que l’Union européenne n’est pas un grand projet fédéral en devenir, mais un simple accord entre Etats, destiné à durer autant que les intérêts nationaux de ses Etats membres convergeront. La perte de toute espérance fédéraliste en réjouira certains, qui y verront le triomphe du réel national sur l’utopie européenne, mais surtout cela voudra dire que seul l’égoïsme national est désormais la politique à suivre en Europe. Chacun saura désormais à quoi s’en tenir. Pour ce qui est de l’Euro, il y aura bien sûr des partisans de la solution du Grexit, vue comme une sanction contre ces « fainéants de Grecs », qui rejetteront toute la faute de ce triste dénouement sur ce pays et sur ses dirigeants, mais la sortie de la Grèce de la zone Euro prouvera que l’Euro n’est pas irréversible – soit exactement le contraire de ce qu'a dit de manière répétitive tout le discours officiel depuis la création de l’Euro. Il ne faudrait pas en plus que la Grèce s’en sorte mieux hors de l’Euro que dans l’Euro. Je fais cependant confiance aux dirigeants européens actuels pour tout faire après le Grexit pour que la situation en Grèce y soit la pire possible. Rien ne sera sans doute épargné aux Grecs qui ont eu l’outrecuidance de se plaindre du sort que leurs riches partenaires européens leur faisaient. En effet, si le Grexit s’avérait un succès économique, cela serait vraiment la fin de l’Euro. Si même ces « fainéants de Grecs » se trouvent mieux dehors que dedans… De ce fait, en cas de Grexit, la situation de la Grèce, qu’elle soit bonne ou mauvaise d’ailleurs, ne cessera de hanter les débats européens. Le jeu consistant à rejeter la faute, soit sur les Grecs, soit sur les institutions européennes, ne cessera pas. Or, du point de vue symbolique, la Grèce est l’Europe, rappelons s’il en est besoin que c’est dans sa mythologie même que le nom même d’Europe trouve son origine. On ne pourra pas faire comme si ce qui se passera ensuite en Grèce après le Grexit ne concernait pas l’Europe. La Grèce, ce n’est pas la lointaine Islande.

Michele Chang : Il y a plusieurs visions de l'UE. Un Grexit menacerait les rêves des fédéralistes, bien sûr. Mais un Grexit menacerait également les rêves de la création d'un marché unique plus fort et compétitif - sans confiance dans vos partenaires, il est très difficile d'ouvrir les secteurs protégés, par exemple. C'est potentiellement un grand pas vers la renationalisation des marchés européens qui a déjà commencé dans les marchés financiers.

Dans quelle mesure cette sortie de la Grèce pourrait-ele engendrer un effet domino ? Quelles en seraient les conséquences, et quels seraient les pays impactés ?

Christophe Bouillaud : Il n’y aura sans doute pas d’effet domino à court terme. Les dirigeants européens actuels feront tout pour que la Grèce aille le plus mal possible après son Grexit – avec sans doute des rappels à l’ordre des dirigeants américains pour arrêter la démonstration punitive, et aussi avec la limite que l’expulsion de la Grèce de l’Union européenne est difficile tant que le gouvernement y est démocratiquement élu. Cependant, il n’est pas impossible que la Grèce finisse par sortir de sa dépression due à sa présence dans la zone Euro. Dans ce cas-là,  d’autres pays méditerranéens se poseront des questions, mais il faudra attendre au moins deux ou trois ans au mieux pour que la Grèce profite de son Grexit.

Michele Chang :Il est difficile d'imaginer que le "Grexit" commence et se termine avec la Grèce. Les autres pays périphériques comme l'Espagne, le Portugal et l'Italie seraient les prochaines cibles des marchés car un Grexit montre que l'euro n'est pas un engagement fort/permanent et la solidarité entre les adhérents est limitée. La question devient : quel pays est le plus susceptible de convenir ? Les pays avec beaucoup de dette et faible croissance économique sont les plus vulnérables. Même un pays au cœur de l'UE comme la France serait vulnérable à la spéculation.

Dans quelle mesure cette sortie de la Grèce aurait des conséquences sur l'image de l'Union européenne sur la scène internationale ?

Christophe Bouillaud : Les dirigeants européens apparaitraient comme de petits personnages sans aucune vision de l’avenir du continent. Ils prouveraient que les intérêts de leurs contribuables et électeurs nationaux passent avant toute autre considération, et qu’ils sont incapables de penser réellement un « intérêt général européen ». J’entends déjà le rire de Vladimir Poutine lorsqu’il apprendra cette excellente nouvelle pour lui. Je doute en effet qu’une Grèce qui aurait été éjectée comme une malpropre de la zone Euro soit un membre tellement coopératif de l’Union européenne ou de l’OTAN par la suite. Il n’est pas étonnant que les Etats-Unis s’opposent à un Grexit de la Grèce pays membre de l’OTAN. Il n’est pas surprenant non plus que le Président de la Banque centrale européenne, la seule institution fédérale de l’Union, s’oppose à un Grexit – même si par ailleurs la BCE pousse son agenda de « réformes structurelles » pour la Grèce et soutient le camp des austéritaires dans leurs demandes. En effet, une monnaie comme l’Euro ne peut pas survivre s’il n’existe pas un horizon de fédéralisation à terme des pays qui partagent cette monnaie. Or la sortie de la Grèce voudrait dire que tout projet fédéral pour la zone Euro est mort et enterré pour les cinquante prochaines années. L’Euro ne tiendra pas jusque-là par la seule vertu des traités actuels. Tous les eurosceptiques, antieuropéens, et altereuropéens du continent comprendront que le vent de l’Histoire souffle désormais de leur côté, et ils auraient alors tort de bouder leur plaisir.

Michele Chang : La puissance de l'UE est dans sa cohésion et sa solidarité. Quand l'UE se comporte comme un acteur unique, c'est un pouvoir global. Un Grexit donne le signe aux pays tiers que l'UE n'est pas un acteur unique mais une coalition d'intérêts. Il y a 10 ans on entendait que l'euro pourrait remplacer le dollar dans les marchés internationaux. La crise a montré que la zone euro n'est pas prête pour ce type de leadership international.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !