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Grèves en Allemagne : Le consensus social en péril ?
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Crise germanique

L'Allemagne fait actuellement face à une série de débrayages dans l'industrie. Alors qu'elle se croyait blindée contre toute détérioration de sa balance commerciale, elle découvre avec étonnement que son économie est tributaire de celle des pays européens.

Brigitte Lestrade

Brigitte Lestrade

Brigitte Lestrade est Professeur de civilisation allemande contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise. Ses activités de recherche portent sur les aspects économiques, sociologiques et culturels de l’Allemagne de nos jours, plus particulièrement de l’évolution du monde du travail.

Elle publié de nombreux articles, ainsi que six ouvrages sur les aspects les plus divers concernant les mutations du travail.

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Les Français découvrent avec stupéfaction, et un brin d'ironie, que l'Allemagne fait actuellement face à une série de débrayages dans l'industrie, un spectacle auquel le bon élève de la zone euro, qui se plaît à faire la leçon aux autres, n'a pas habitué ses voisins.

Ces conflits viennent ponctuer une série de mauvaises nouvelles, à commencer par la croissance négative, - 0,2%, au quatrième trimestre 2011, suivie de l'annonce surprise d'une augmentation du chômage au mois d'avril 2012, après un recul ininterrompu pendant toute l'année dernière. Les grèves sont-elles un signe de l'effritement du consensus social face aux difficultés qui s'annoncent ?

6,5% d'augmentation salariale demandée

Depuis la semaine dernière, à l'issue de la période dite de paix, où les syndicats n'ont pas le droit d'appeler à la grève, les salariés du secteur de la métallurgie ont entamé une série de grèves d'avertissement dans tout le pays, à l'appel du puissant syndicat IG Metall.

Plus de 270 000 salariés du secteur ont brièvement cessé le travail pour manifester leur mécontentement. Les grèves se durciront cette semaine, si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un résultat satisfaisant pour les deux parties. IG Metall a formulé une revendication triple : 6,5% d'augmentation salariale sur un an pour les 3,6 millions de métallos, l'obligation d'embauche pour les jeunes ayant achevé leur formation ainsi que l'accroissement des droits de cogestion lors du recrutement de salariés intérimaires, très répandu notamment dans l'industrie automobile.

Le patronat, par la voix du président de Gesamtmetall, Martin Kannegiesser, a proposé une augmentation des salaires de 3% sur 14 mois. Les autres exigences de l'IG Metall se sont heurtées à une fin de non-recevoir.

Une obligation de résultat pour le syndicat IG Metall

La proposition du patronat, qualifié de "provocation" par IG Metall est inacceptable pour celui-ci, car le résultat qu'obtiendra le syndicat de la métallurgie devra se mesurer à ceux des négociations salariales qui les ont précédé, notamment celles du syndicat des services Verdi qui avait exigé 6,5% d'augmentation salariale pour les deux millions de salariés du public au niveau fédéral et local.

La convention à laquelle les partenaires sociaux ont abouti ce printemps leur accorde 6,3% d’augmentation sur deux ans, dont 3,5% pour l’année en cours, en dépit de la situation financière difficile de bon nombre de communes. Les syndicats de la métallurgie et de la chimie ne pourront guère se permettre de se laisser distancer par le secteur des services. Or, les 3% sur 14 mois proposés par le patronat sont inférieurs à l'augmentation obtenue par Verdi, donc IG Metall perdrait la face en l'acceptant. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord d'ici la Pentecôte (27-28 mai), il y aura une grève très dure et très longue, à laquelle le syndicat s'est préparé sur le plan financier.

Le syndicat de la chimie IG BCE, qui est également en phase de négociation, exige de son côté 6% d'augmentation salariale pour les 550 000 salariés du secteur.

Les employeurs en porte-à-faux

Si les syndicats se montrent très revendicatifs, c'est qu'ils se savent soutenus tant par l'opinion publique que par le gouvernement.

Ce dernier, par la voix de son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, a fait savoir qu'il était en faveur d'une augmentation substantielle des salaires lors des négociations salariales actuellement en cours. Il considère qu'il est normal que les salaires augmentent davantage en Allemagne que dans les autres pays de l'UE, les Allemands ayant mis de l'ordre dans leurs affaires d'après lui, ce qui leur permet d'accepter des augmentations plus généreuses qu'ailleurs. Il est de fait que les salaires n'ont pratiquement pas augmenté en Allemagne pendant les dix dernières années, ce qui a permis aux entreprises d'accroître leur productivité comparé à la France, notamment, mais au prix d'un appauvrissement des salariés.

Ce point de vue défendu par les syndicat est partagé par la plupart des spécialistes qui estiment que les employeurs doivent lâcher du lest et accepter de partager les fruits de la croissance avec leurs personnels. Tous s'accordent à considérer les négociations actuelles comme une forme de rattrapage qui ne devrait pas mettre en péril le consensus social cher aux Allemands.

Climat délétère

Si les conflits sociaux ne constituent pas une mise en cause du modèle allemand, on constate néanmoins un réel malaise dans la population, un sentiment de mal-être tant sur le plan économique que politique. Dans le domaine de l'économie, la situation a été si exceptionnelle pendant toute la durée de la crise financière, notamment si on la compare à celle de ses voisins européens, que les mauvaises nouvelles les prennent totalement au dépourvu. Champion toute catégories en matière d'exportations, l'Allemagne se croyait blindée contre toute détérioration de sa balance commerciale. Or, elle constate que son économie est tributaire de celle des pays européens, qui ne sont plus en mesure d'acheter ses produits. Même la Chine, un des marchés les plus importants pour l'Allemagne, voit sa croissance faiblir. La consommation intérieure, surtout dans un contexte de stagnation des salaires, ne peut prendre la relève. D'où ce sentiment d'une certaine impuissance face à une crise qui les rattrape.

Sur le plan politique, la situations n'est pas meilleure. Le gouvernement Merkel n'a plus de majorité dans la population, à en croire les sondages. Sa "coalition de rêve" avec le parti libéral FDP tourne au cauchemar, les partenaires se disputant sans cesse, puisque les libéraux luttent pour leur survie et les chrétiens-sociaux (CSU) de Bavière veulent se profiler aux dépens des chrétiens-démocrates (CDU). Le conflit autour de l'introduction d'un salaire minimum qui n'existe pas encore en Allemagne, illustre ces bisbilles. Les partis chrétiens, qui ont piqué cette idée aux sociaux démocrates (SPD), défendent depuis peu l'idée d'un SMIC à 8,50 € de l'heure, à l'unisson avec les syndicats, mais les libéraux s'y opposent, ne voulant pas créer "de nouveaux blocages à l'embauche". La coalition ne pouvant pas se mettre d'accord, le projet est au point mort.

Les élections régionales qui ont actuellement lieu dans le Schleswig-Holstein et en Rhénanie-du Nord-Westphalie accentuent ce climat de fin de règne. Tous s'interrogent : la coalition tiendra-t-elle jusqu'en septembre 2013, date prévue pour les élections fédérales ?

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