Grève quasi-insurrectionnelle à Mayotte, violence exacerbée en Guadeloupe, trafic de drogue en Martinique : ce n’est pas Paris qui brûle mais l’outre-mer !<!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation à Mayotte (photo d'archive).
Une manifestation à Mayotte (photo d'archive).
©Reuters

A des (milliers de) kilomètres de Nuit Debout

Le département de Mayotte a entamé une grève générale depuis deux semaines. En marge de celle-ci, de nombreux débordements ont été constatés. Alors que la situation semble dramatique à Mayotte, mais aussi dans les autres départements d'outre-mer, nos médias ne semblent se préoccuper que des manifestations contre la loi El Khomri et Nuit Debout.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico : Le département de Mayotte est en grève générale depuis déjà deux semaines. Quels sont les motifs de cette colère ? Pourquoi éclate-t-elle aujourd'hui ? Qui est à l'origine de ce mouvement et quelles sont les revendications affichées ?

Christophe Soullez : A priori, il semble que ce mouvement de grève ait pour origine de fortes revendications sociales et économiques. Cela fait seulement cinq ans que Mayotte est devenu un département français. Suite à ce changement de statut (31 mars 2011), les syndicats et une partie des salariés de l’île souhaitent bénéficier des mêmes avantages et des mêmes droits que les salariés de la métropole, notamment pour ce qui est des prestations sociales ou de l’application du droit du travail. Or, l’alignement avec la métropole a, semble-t-il, pris beaucoup de retard selon un récent rapport de la Cour des comptes (les 39 heures sont de mises et le montant du RSA est moitié moindre). Par ailleurs, il existe aussi des difficultés liées à la propriété foncière ou encore au manque d’infrastructures publiques (routes, écoles etc.). Enfin, il ne faut pas oublier que ce département est confronté à d’importantes difficultés économiques et sociales. Le chômage touche 19% de la population active (au sens du BIT) et les jeunes Mahorais sont les principales victimes du chômage : il s’élève à 46,5%. Quand on sait que Mayotte est le département le plus jeune de France avec plus de six Mahorais sur dix qui ont moins de 25 ans, on ne peut qu’imaginer la tension sociale liée au manque de perspective pour cette partie de la population. L’activité économique est aussi très faible et 71% de la population n’a aucun diplôme qualifiant selon l’Insee. L’île est également confrontée à une forte pression migratoire venant des Comores et à une délinquance qui ne cesse d’augmenter sur fond, notamment, d’usage et de trafic de produits stupéfiants. 

La tension et les violences qui caractérisent ce mouvement semblent atteindre des degrés bien supérieurs à ceux observés dans la contestation de la loi El Khomri ou en marge du mouvement Nuit Debout. Ici, on casse des vitrines et on totalise une poignée de blessés légers, et là-bas ? 

Il est clair que la violence semble plus importante qu’en métropole. De nombreux barrages sont érigés et des scènes de pillage ont été rapportées. De même, des blessés ont été déplorés suite à des affrontements entre bandes. De nombreuses détériorations de véhicules ont aussi été constatées. Plus inquiétante est la mise en place de milices regroupant des habitants et souhaitant faire leur propre justice ou au moins se protéger contre les agressions armées de jeunes désœuvrés et parfois sous l’emprise de produits stupéfiants. Cela peut conduire à des escalades incontrôlées et avoir des conséquences dramatiques. 

Quelques coups portés par des policiers à des manifestants contre la loi El Khomri ont été dénoncés comme des "violences policières". Des dérapages semblables ont-ils été constatés dans les manifestations mahoraises ? Le travail des forces de l'ordre est-il aussi attentivement contrôlé loin de la métropole ? 

Le maintien et le rétablissement de l’ordre public doivent respecter certains principes et il ne peut pas être toléré que des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie portent des coups à des manifestants dès lors que ceux-ci ne présentent plus de dangers. De même, et comme l’a rappelé le ministre de l’Intérieur, les violences contre les forces de l’ordre ne peuvent ni être excusées ni être acceptées. Actuellement, je n’ai pas eu d’échos sur d’éventuels dérapages à Mayotte. Mais il faut toujours avoir à l’esprit que de telles situations sont génératrices de tensions, et ce d’autant plus quand un mouvement est durable, et donc toujours susceptible de générer des incidents. A Mayotte, un élément important est aussi à prendre en compte pour les modalités du maintien de l’ordre, c’est l’éloignement de la métropole et donc la difficulté à obtenir rapidement des renforts de forces de l’ordre (notamment les forces mobiles), afin de soulager les effectifs engagés depuis plusieurs jours. 

Les forces de l’ordre sont contrôlées de la même manière qu’en métropole par l’autorité hiérarchique, le préfet et bien entendu l’autorité judiciaire. En revanche, il est vrai que les médias nationaux sont sûrement moins attentifs et intéressés à ce qu'il se passe sur l’île que place de la République. Mayotte, c’est loin…

Au-delà de Mayotte, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion connaissent également des niveaux de violence très élevés, liés notamment aux trafics de drogue et d'armes. A-t-on affaire à une aggravation de la situation de ces territoires ? Pour quelles raisons ?

Il semble en effet que la criminalité violente soit en augmentation dans les territoires d’outre-mer et particulièrement en Guadeloupe et en Guyane. De la même manière qu’à Mayotte, la situation économique et sociale de la population (taux de chômage élevé, notamment parmi les jeunes) est sûrement un élément expliquant cette situation. 

Mais il faudrait y ajouter le développement du trafic de stupéfiants et de la consommation de nouvelles drogues chimiques altérant les facultés des jeunes qui, sans emploi et sans ressources, s’y adonnent quotidiennement. La Guadeloupe et la Guyane sont des zones de transit et de rebond pour le trafic de stupéfiants provenant des pays d’Amérique du Sud à destination de l’Europe. Par ailleurs ce sont aussi des territoires où les armes sont beaucoup plus présentes. La détention d’armes à feu ou d’armes blanches contribue aussi à cette aggravation de la violence. L’alcoolisation excessive, souvent liée à des situations sociales précaires, est un facteur de risque supplémentaire. Enfin, le manque d’effectifs dans la police et la gendarmerie, et peut-être aussi la faiblesse de la collaboration entre les élus locaux et les services de l’Etat, peuvent contribuer à cette situation.

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