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La grande passoire ? Les points faibles des frontières de l’espace Schengen
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Routes détournées

Pour lutter contre l'immigration illégale, encore faut-il connaître les routes qu'empruntent les clandestins...

Henri  Labayle

Henri Labayle

Henri Labayle est professeur agrégé des Facultés de droit françaises, en poste à la Faculté de Bayonne à l’Université de Pau.

il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure.

Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR "Droit de l'Espace de liberté, sécurité, justice"

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S’étonner de la « porosité » des frontières de l’Union, c’est prendre conscience d’une cartographie particulière, celle des « routes » empruntées par l’immigration irrégulière qui aboutissent à ces points faibles du maillage européen. Ces routes sont variées, s’adaptant aux données de l’histoire du moment autant qu’à la géographie. Les migrants le savent, bien moins cependant que les réseaux criminels qui en organisent les trajets. Ces passeurs ont évidemment rationalisé leur activité à partir d’une véritable analyse des risques et des profits.

Cette adaptation permanente est mal connue. Elle devrait pourtant être prise en compte lorsque l’on évalue la perméabilité de l’espace Schengen. Comment ce dernier pourrait-il aujourd’hui apporter des réponses satisfaisantes à une migration clandestine dont les formes étaient largement inconnues en 1985, lorsqu’il a été conçu à l’abri du mur de Berlin et des dictatures du bassin méditerranéen ? D’où le débat sur la réforme.

La migration terrestre irrégulière, d’abord, fait aujourd’hui débat si l’on écarte (à tort) la part d’immigration clandestine liée aux « touristes » arrivés par voie aérienne et oubliant leur retour.  Elle est largement centrée sur le bassin méditerranéen, même si la route Moscou / Kiev ou Minsk est un moyen utile de gagner Varsovie, Brastislava ou Talinn et de pénétrer ainsi dans l’Union.

Autour de la Méditerranée, il existe trois grands portails d’accès à l’Union, véritables terminaux de routes migratoires de clandestins. Le premier est celui de l’Ouest, qui vient d’Afrique de l’Ouest et se termine aux Canaries ou en Espagne continentale, via le Maroc et l’Algérie. Cet accès a subi des pressions considérables, en 2005, dans les enclaves de Ceuta ou Melilla et il nous a infligé le terrible spectacle de cadavres échoués périodiquement sur les places d’Espagne du Sud.

La route de la Méditerranée centrale, elle, vise par la voie maritime l’accès à Malte et à l’Italie, via ses iles de Lampedusa et de Sardaigne. Elle traverse la Libye, la Tunisie et l’Algérie. Les flux en provenance de d’Afrique de l’Est peuvent l’emprunter à travers le Soudan. C’est elle qui a été la cause de la crise du printemps arabe, en 2011, via l’Italie avec l’arrivée de 56.000 migrants. Les sources de l’ONU estiment dans cette zone le nombre des disparus en mer durant la même année à 1500.

La route de l’Est est aujourd’hui la plus problématique. Elle débute en Asie et dans la Corne de l’Afrique, transite par la Turquie. Là elle se concentre sur la frontière grecque et les Balkans, avant de produire vraisemblablement demain les mêmes pressions sur la Roumaine et la Bulgarie.

Les derniers rapports de l’Agence de l’Union Frontex en attestent : la situation en Grèce est extrêmement préoccupante, pour toute une série de raisons. La première est d’ordre géopolitique en raison de l’aggravation de la situation internationale. Les nationalités les plus fréquemment détectées depuis 2010 sont des ressortissants d’Afghanistan et d’Irak, sans que l’on minimise le nombre des émigrants irréguliers venant d’Afrique du Nord, usagers de vols low-coasts jusqu’à Istanbul. La seconde explication est d’ordre naturel : l’immigration clandestine met à profit les milliers d’îles grecques par lesquelles passer et même une bande de terre d’une dizaine de kilomètres non délimitée par le fleuve Evros qui marque ailleurs la frontière entre la Grèce et la Turquie. La troisième est la plus grave. Elle tient à la déstructuration de l’Etat grec, le rendant incapable de faire face à ses obligations régaliennes de contrôle et humanitaires d’accueil des demandeurs d’asile. Elle explique les condamnations de la Grèce par la Cour européenne des droits de l’Homme pour les traitements infligés à des demandeurs de protection. L’inquiétude est grande au vu des perspectives budgétaires offertes à la Grèce : comment croire que les contrôles migratoires puissent être de l’ordre d’une priorité dont elle n’a plus les moyens ?

Ce regard très géographique sur la situation migratoire oblige à ouvrir les yeux : l’Union européenne dépend aujourd’hui de son environnement et de la capacité de ses voisins à gérer avec elle les flux migratoires dans le respect des droits fondamentaux. Avec eux, elle peut s’interroger avec inquiétude sur les évolutions du Proche Orient et du Maghreb. 

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