Google gagnant de la bataille des cartes, Facebook de celle de l’accès à l’information des jeunes : ce qu’on risque à abandonner le monde aux monopoles des géants de la tech<!-- --> | Atlantico.fr
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Google est désormais le leader du secteur des cartes.
Google est désormais le leader du secteur des cartes.
©Reuters

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Yahoo a récemment annoncé la fermeture de son service de navigation Yahoo Maps, faisant de Google le leader du secteur des cartes. De son côté, Facebook gagne du terrain dans la bataille de l’information, comme le montre une récente étude.

Vincent  Pinte Deregnaucourt

Vincent Pinte Deregnaucourt

Ingénieur en informatique de formation, il est aujourd’hui professeurs à l’Institut Poly Informatique de Paris et consultant avec l’agrément « expert scientifique » auprès de PME sur leur programme de recherche et développement.

En 2014 il a reçu la médaille d’Or au Grand Prix de l’Innovation Digitale dans la catégorie « Entreprise optimisée ».

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Atlantico : Quels sont les risques à ne laisser qu'un seul géant maîtriser les cartes en ligne ? 

Vincent Pinte-Deregnaucourt : Même si, pour reprendre Alfred Korzybski, "une carte n'est pas le territoire", conjuguée à la mobilité, la carte est de nos jour encore plus stratégique qu’elle ne l’était hier. Elle est devenue un réflexe du quotidien, quelque chose que nous sortons de nos poches à chaque instant pour nous orienter, pour reprendre pied avec le monde qui nous entoure. D’une certaine façon, Google nous offre là un service en tout point similaire par rapport au territoire qu’avec le savoir : quand vous avez un doute ou que vous êtes perdu, le bon réflexe et de passer par Google.

Accessoirement, Google s’offre une forme de monopole sur la géolocalisation de l’essentiel des citoyens occidentaux - d’autant qu’Androïd, qu’il possède également - géolocalise ses utilisateurs à tout bout de champ lui aussi. C’est une information on ne peut plus valorisable, de nos jour à travers des services de publicité géolocalisés, demain à travers de l’algorithmie prédictive destinée à anticiper vos déplacement, où à repérer vous habitude, et bien évidemment à travers le poids que cela donne à Google dans son rapport de force aux Etats et à leur appareil de surveillance généralisé.

La carte a traditionnellement été un domaine régalien, et initialement militaire, mais ce n’est pas la première fois que des prérogatives d’Etat sont ainsi abandonnées au privé. Au siècle dernier, c’est Michelin qui est devenu durant près de cent ans le maitre des cartes avant que Google ne lui ravisse ce titre. En France, l’IGN avait tenté de faire de la carte une forme de bien public, mais force est de constater que l’évolution même du concept de carte du fait de sa transposition dans l’espace numérique - a mis totalement hors-jeu l’Etat.

De fait, la contrepartie de l’extension du monopole de la lutte pour la maîtrise des cartes n’est pas sans contrepartie. Bien que le motto de Google reste "Don’t be evil", Google continue d’avaler encore plus de données sur vous et crée ainsi encore plus de valeur ajoutée avec son datamining, demain en recoupant vos habitude déplacement (donc travail, divorce, habitude d’achat : tout peut être désormais recréé). La concurrence s’éteint doucement : qui utilise Plan de Apple ? Et de fait, pour un nouvel entrant sur le marché, la marche est encore plus haute. En rachetant Waze 1Md de $ avec 50M d’utilisateurs il y a 2 ans exactement (mi-juin 2013), en l’ajoutant à MAPS, Google a désormais le monopole sur la cartographie dynamique (Waze), statique (MAPS + vue Satellite)  ainsi que sur les Vues objet (Google Earth).

D’autre part, il n’aura nullement échappé à personne que cela a du sens dans le cadre de la préparation de la voiture autonome : si google connaît par exemple les habitudes de déplacement sur la route comme de plusieurs centaines de millions de personnes, il sera à même d’adresser ces dernières directement avec une offre particulièrement alléchante. Comme il saura exactement où mettre ses voitures s’il souhaitait lancer un service comme AutoLib sur Paris.

De son côté, Facebook semble gagner du terrain dans la bataille de l’information, comme le montre une étude récente (voir ici). La société de Zuckerberg est-elle en train de phagocyter ses concurrents sur ce terrain ? Si oui, comment s'y prend-elle ?

Tout phagocyter, pas encore, mais c’est en bonne voie. Facebook représente plus d’un quart du trafic sur les sites d’information politique, alors qu’il n'atteignait pas 10% l’an passé. Rien ne permet de croire qu’il va s’arrêter là, même s’il semble évident qu’ils n’arriveront pas à 100%, il est plus que probable qu’ils deviennent la source principal de visiteur pour une large partie des sites internet.

Nous venons de franchir un cap supplémentaire récemment quand la Banque Populaire et les Caisses d’Epargne ont annoncé leur intention d’ouvrir des guichets virtuels sur Facebook (voir ici) c’est à dire de transférer une partie de leurs programme de relation clientèle sur la plateforme de réseau social, montrant que la capacité de Facebook à absorber internet ne se cantonne par à l'information, mais touche désormais à la relation clientèle.

Cela procède d’un passage du web de l’information, parfaitement symbolisé par Google, un web auquel on a recours pour répondre à une interrogation, à un web du divertissement que Facebook a su construire à la perfection, et dont la fonction sociale est plus proche de celle occupée hier par la télévision.

Ce transfert vers Facebook est également largement favorisé par les carences du modèle informationnel proposé par la presse, et qui est en partie compensé par l’algorithme de Facebook. Quand la presse - que ce soit celle à laquelle vous accéder via un traditionnel kiosque ou via Google News - présente des carences en termes de diversité, Facebook excelle à mettre en valeur cette même diversité d’opinion et de point de vue. La population a soif de démocratie, et la presse en France est tout sauf démocratique. Certains sujets sont tabous, et vous ne trouverez aucune diversité dans leur traitement - l’Ukraine est une parfait exemple. Facebook, lui, aura bien plus de facilité à rapprocher des opinions divergente car le débat que cela succite est son carburant de base. La diversité proposée par la presse française n’est qu’un mince verni de surface, là où celle que Facebook mettra en scène dans ses fils d’information et engendrera par son social graph sera réelle, reflètera de façon bien plus fidèle la diversité qui existe au sein de la population, et créera du coup un service d’information qui - à défaut d’être de meilleure qualité - corresponds à ce que la population attend d’un média.

Enfin, dans la droite ligne de l’objectif final de Facebook (faire des bénéfices), Facebook se sert de l’addiction provoquée par la présence sur le réseau social (ne pas y être c’est se marginaliser) et de l’addiction provoquée par "l’attente fébrile d’information en provenance de ses amis ou des pages fans" (en diffusant les informations les plus dignes d’intérêt – ou au contraire celles les plus capables de provoquer la discussion – regardez comment le fil contient peu de statuts "purs" mais presque tous sont composés au moins d’une image) avec bien évidemment comme sous objectif premier de maximiser le temps de présence pour son objectif final : des placements pub purs et des placements de pages fans dont le ratio du targeting est payant.

A partir de quels critères l'algorithme de Facebook choisit-il les publications qui s'affichent ? Cela peut-il présenter des risques en matière de pluralité ? 

Bien au contraire, c’est une explosion de pluralité d’opinions auquel nous assistons. Pour peu que votre social graph soit riche, c’est à dire que vous ayez sur la plateforme des amis en grand nombre et assez divers dans leurs opinions, vous aurez droit à un mix informationnel que la presse est incapable d’offrir à l’heure actuelle.

Le risque est plus à observer dans la capacité qu’a Facebook à enfermer ses utilisateurs dans des bulles informationnelles, car la base de l’algorithmique de la plateforme est pensée pour faire plaisir à l’utilisateur et augmenter le temps d’utilisation. Il est ainsi démontré que Facebook a tendance à vous exposer à des opinions politiques auxquelles vous souscrivez plus qu’à celles auxquelles vous vous opposez, mais par rapport aux média traditionnels, cela reste d’une richesse et d’une diversité incroyable. Il y a une génération, les gens s’informaient auprès d’un ou deux média de presse écrite en tout et pour tout, complété d’un journal télévisé tout au plus. La presse écrite - qui n’a pas vraiment évoluée - proposait un ensemble d’informations assemblées de façon à refléter une prise de position idéologique précise sous la forme d’articles eux même orientés. Une pauvreté absolue en matière de diversité. Google, mais plus encore Facebook, sont en train de faire exploser ce modèle qui est perçu de plus en plus, du fait du contraste qui apparaît aux yeux de tous, comme une machine de propagande désuète.

La presse n’a plus du tout cette capacité à faire l’opinion publique, internet a littéralement détruit cette fonction qu’avaient autrefois les média. On en a observé les premiers effets lors du référendum de 2005, où la presse avait de façon quasi unanime pris position pour le Oui, laissant à Internet le soin de s’organiser pour le Non, mais dix ans plus tard, les choses se sont considérablement accélérées, et la presse n’a plus pour seul fonction que de fournir du carburant aux réseaux sociaux. L’influence est passée aux mains des individus, qui instrumentalisent les articles de presse pour l’exercer auprès de leurs pairs. C’est un changement de paradigme radical, et il ne peut en résulter qu’un changement systémique dans l’ordre social.

Qu'est-ce que Google et Facebook maîtrisent, chacun, précisément à l'heure actuelle ?

Google maitrise l’accès à l’information, il est l’extension de la fonction qu’avait la bibliothèque d’autrefois et à terme de la fonction cognitive qu’a la mémoire et l’orientation dans les savoir et l’espace. Cela lui ouvre la voie à une multitude de chose, la plus évidente étant l’accès à vos désirs et donc leur monétisation via de la publicité.

Facebook maitrise la transposition au virtuel du tissu social et du transfert d’informations qui s’y déroulent.

Les deux ont pris des positions éminemment politiques, naguère tenues aussi bien par l’Etat, la presse - autant dire les industriels du XXe siècle - l’école et le café du commerce. Pour ce qui est du transfert entre les industries d’hier qui possédaient, et possèdent encore, les média, c’est de l’ordre du Darwinisme économique, pour ce qui est de l’école, c’est plus préoccupant.

Il en résulte une perte de contrôle d’autorité centralisées - typiquement l’Etat et certains lobbies - au profit d’entités économique qui abandonnent à leur utilisateurs une large part de ce contrôle, et fait apparaître une diversité inédite. Il suffit d’observer les difficultés rencontrées par l’Etat pour imposer un modèle mental aux populations où les nouveaux ennemis sont la Russie ou la Chine, alors qu’il était fort simple de faire éclore un tel "mindset" au sein de la population au siècle dernier.

On peut synthétiser cela de la façon suivante : Google maîtrise votre relation au monde alors que Facebook est dominant dans votre relation à la société. D’un côté la maitrise numérique de l’information et ses extensions (santé, voiture autonome), de l’autre, un monde centré sur vous.

In fine, Google et Facebook ont deux approches fondamentalement complémentaires et différentes : vous au sein de la société contre la société avec vous dedans. L’un s’appuie sur les relations au sein d’un groupe, l’autre sur votre présence au sein d’un groupe.

Ces deux monstres se font aujourd'hui la guerre, quels sont leurs enjeux économiques, politiques, philosophiques ?

L’enjeu économique est assez basique, c’est la recherche de profits. Aujourd’hui à travers la publicité, mais demain apparaitront une myriade d’autres formes de monétisation.

L’enjeu politique est quelque chose d’assez récent pour ces acteurs. Si Google en est conscient depuis longtemps et a mis en place une politique de "revolving door" entre l’Etat américain et lui à la façon des grandes banques d’affaire dont les dirigeants se retrouvent alternativement aux responsabilités de l’un ou de l’autre, la prise de conscience du poids politique de Facebook date du Printemps Arabe, et il est considérable.

Facebook offre a ses utilisateur la possibilité d’un transfert de pouvoir politique au bénéfice de la population et au détriment de l’Etat et des entreprise. Il en résultera un rééquilibrage qu’il est difficile d’anticiper. En proposant un modèle plus ou moins auto-organisé, ou en tout cas dont l’organisation est laissée en large part à la base, on laisse la possibilité de voir émerger des phénomènes sociaux très disruptif - Podemos en est un bon exemple, même si son organisation va bien au-delà du modèle proposé par Facebook.

Google, en proposant à chacun une relation directe au savoir, propose une disruption en tout point comparable à ce qu’a introduit le protestantisme face au catholicisme, c’est à dire une relation directe (à Dieu, en l'occurrence) là où l’ancien modèle (le Catholicisme) imposait un intermédiaire (le prêtre) et un contrôle de cette relation. La disruption à l’époque avait provoqué un longue guerre civile, il est probable que celle introduite par Google, conjuguée à celle proposée par Facebook, provoque une disruption comparable, même si elle ne prendra certainement pas la même forme.

In fine, Facebook et Google ont le même objectif mais procèdent de deux voies.

Facebook vous insère dans son univers, complètement immatériel : tout est facebook.com

Google crée un univers où votre présence est un paramètre, avec une matérialité certaine : IoT, Voiture Autonome, Robotique, IA, Santé et tout le reste comme les projets connexes Google Glass qui reviendra.

Qu’est-ce qu’on risque à abandonner le monde à des monopoles des géants de la tech ?

Nous risquons la même chose que quand nos grands-parents ont abandonné le monde aux géants de l’industrie au XXe siècle. Si on fait un bilan, il est loin de n’être que positif. Bien évidemment les USA ont vu une croissance phénoménale se créer amis sur certains points, le résultat est catastrophique : le continent américain a vu périr près de la moitié de ses abeilles l’an dernier. Sans abeilles, pas de pollinisation, sans pollinisation, pas de culture, et pas d’alimentation autre que les légumineuses, de l’herbe et des céréales. Tout ce qui arbre, arbuste est voué à mourir...

Les risques à abandonner une large part de ce qui permet à la société d’avancer aux géants de la technologie nous mènera sans doute à terme aux mêmes impasses. De là à dire qu’elles seront aussi mortifères que celles proposées par Monsanto, c’est difficile et particulièrement pessimiste.

Au quotidien pour l’humain, c’est le développement du syndrome de l’enfermement : votre univers se résume à ce que vous voyez (la Caverne, Platon) et votre dépense devient complète d’autant que l’intérêt du système est de vous satisfaire au maximum pour éviter de vous voir vouloir partir. Il est des peurs de l’IA actuellement qui posent la question de savoir si nous ne prenons pas le risque de construire ceux qui nous réduiront en esclavage à terme. Mais ce processus n’a-t-il pas déjà commencé ?

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