“Go west” : Cette immigration interne à la Chine qui en révèle les inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
“Go west” : Cette immigration 
interne à la Chine 
qui en révèle les inégalités
©

Ca se creuse

La Chine est pointée du doigt pour ses succès économiques. Mais de quelle Chine parle-t-on vraiment ? Entre les provinces de l'est très urbanisées et celles de l'ouest fortement rurales et aux conditions de vie difficiles, l'écart est important. Une polarisation de la population non sans conséquences pour le développement même du pays. De quoi inquiéter les autorités qui se sont lancées dans une politique du "Go west"...

Pierre Sabatier et Jean-Luc Buchalet

Pierre Sabatier et Jean-Luc Buchalet

Pierre Sabatier et Jean-Luc Buchalet sont membres du Cercle Turgot et fondateurs du cabinet de recherche économique et financière PrimeView.

Ils sont les auteurs de La Chine, une bombe à retardement chez Eyrolles (sortie le 31 mai).

Voir la bio »

Le développement économique chinois a démultiplié les inégalités régionales, entre les provinces côtières tournées vers le monde et le reste du pays. Le littoral, peuplé majoritairement de Han, a profité de l’explosion de l’investissement direct étranger et des délocalisations. Il concentre presque les deux tiers de la richesse créée en Chine, alors qu’il ne représente que 14 % de sa superficie et ne compte qu’à peine la moitié de sa population. Au contraire, l’Ouest, qui recouvre 56 % du territoire, n’abrite que 11 % de la population chinoise et ne contribue qu’à hauteur de 8 % à la richesse créée par le pays.

L’origine de ce déséquilibre réside d’abord dans l’inhospitalité des régions de l’Ouest, où montagnes et déserts se succèdent. La plupart des terres arables les plus fertiles se trouvent dans les provinces côtières, ce qui n’est pas sans poser de problèmes : la côte est aussi la zone la plus urbanisée du pays, avec une population concentrée (450 habitants au kilomètre carré, soit autant qu’en Inde) dans des villes qui font de plus en plus concurrence aux terres agricoles. Dans l’autre partie du pays, toujours profondément rurale, la difficulté de la vie a d’ores et déjà vidé le territoire – seulement 23 habitants au kilomètre carré, soit deux fois moins qu’en France. On y retrouve l’essentiel des provinces autonomes dans lesquelles plus de 25 % de la population appartient à une ethnie minoritaire, loin du pouvoir central concentré à Pékin.

Cette polarisation extrême de la population, du commerce et de la richesse créée en Chine a considérablement aggravé les inégalités entre régions. Les plus flagrantes viennent de l’évolution différenciée de l’espérance de vie : l’écart peut atteindre jusqu’à quatorze ans, selon que l’on habite à Pékin où l’espérance de vie est désormais semblable à celle des pays occidentaux (78 ans) ou dans la région pauvre du Guizhou, dans le centre du pays, ou de Qinghai, plus à l’ouest, où l’espérance de vie ne dépasse pas 64 ans, soit moins qu’au Yémen (66 ans). Cela traduit à la fois la plus grande dureté du travail réalisé dans les provinces rurales à dominance agricole, mais aussi un moindre accès aux soins, tant en quantité qu’en qualité. Par ailleurs, l’absence d’une fiscalité redistributive au niveau national entrave toute velléité d’une meilleure répartition des richesses : le régime de protection sociale financé au niveau municipal empêche la solidarité nationale de jouer et contribue ainsi à entretenir les disparités entre les régions en ce qui concerne les retraites.

Les autorités centrales sont conscientes que ce manque d’harmonie dans la distribution des richesses entre les différentes régions risque de freiner considérablement l’élan du pays. Déjà, la très forte croissance des régions côtières, avec dans son sillage la hausse des salaires, la densification urbaine contre-productive (déséconomie d’échelle) et l’industrialisation forcenée génèrent aujourd’hui des dommages de moins en moins soutenables, que ce soit en termes économiques, environnementaux ou sociétaux. Rééquilibrer la Chine d’un point de vue géographique ne sera pas chose aisée. Ce paquebot, où machines et matelots se concentrent pour l’essentiel à l’avant, sera de plus en plus difficile à manœuvrer sans risquer le naufrage.

Le gouvernement central s’est mis récemment à communiquer sur ce problème, instaurant une politique de « Go West » pour rééquilibrer son économie. Mais cet effet d’annonce semble avoir plus d’impact sur les investisseurs étrangers, qui anticipent pour les provinces intérieures la même trajectoire que celle des régions côtières ces dix dernières années, que sur les Chinois eux-mêmes. En effet, s’il n’y a pas eu de mouvements migratoires significatifs vers l’Ouest jusqu’à maintenant, c’est que les conditions y étaient peu propices.

Les terres arables sont une denrée rare en Chine, la surface disponible par habitant étant 6,4 fois moins importante qu’aux États-Unis. Si l’Ouest est aussi peu peuplé, c’est que les terres y sont arides et peu favorables au développement. L’accès à l’eau est aussi un problème de taille dans ces régions, où agriculture et industrie se livrent une guerre sans merci pour s’assurer un accès suffisant à « l’or bleu ». Le développement qui s’opère à l’Ouest est à ce jour essentiellement administratif. L’installation d’infrastructures permettant de relier l’Ouest au reste du pays aurait d’ailleurs plutôt l’effet inverse, en favorisant la migration des habitants de ces régions vers l’Est.

En fin de compte, seul le centre du pays serait susceptible de profiter dans une certaine mesure de la saturation des provinces côtières. On y compte près de 45 % de la population chinoise sur une superficie à peine inférieure à un tiers du pays. Cet espace « tampon », plutôt spécialisé sur le marché intérieur, crée aujourd’hui le tiers de la richesse produite en un an sur l’ensemble du territoire. Il ne récolte qu’à peine 13 % des investissements des entreprises étrangères sur le territoire et ne participe qu’à hauteur de 6,5 % aux exportations du pays. Ces provinces pourraient ainsi gagner quelques parts de marchés, mais démonter les usines des provinces côtières pour les réinstaller au centre du pays ne sera pas aisé, compte tenu de leur poids dans l’économie. Déshabiller Pierre pour habiller Paul pourrait être au bout du compte un jeu à somme nulle… dans le meilleur des cas.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !