Gilets jaunes : la révolte de Monsieur tout le monde que le pouvoir peine à entendre<!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre des Gilets jaunes lors d'une manifestation à Paris, lors du 24e samedi consécutif de manifestations le 27 avril 2019.
Un membre des Gilets jaunes lors d'une manifestation à Paris, lors du 24e samedi consécutif de manifestations le 27 avril 2019.
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Bonnes feuilles

Michel Maffesoli publie « L’ère des soulèvements » aux éditions du Cerf. Reprenant un à un les récents séismes qui ont ébranlé nos représentations, Michel Maffesoli montre comment l'avènement d'un totalitarisme doux marque, par réaction, l'ère des révoltes. Pour le meilleur et pour le pire, l'ère des révoltes a commencé et ne cessera pas avant longtemps. Extrait 2/2.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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On traite du mouvement des Gilets jaunes comme d’un événement nouveau et imprévisible.

C’est, il est vrai, une révolte inexplicable, si l’on se place dans l’optique des mouvements revendicatifs traditionnels. Ni programme rationnel, ni objectifs atteignables, un catalogue de demandes contradictoires ! Les inspecteurs des finances ricanent, les experts se lamentent ! « Le peuple vote mal, changez le peuple », disait Berthold Brecht.

« Méli-mélo », absence de rationalité, ce mouvement n’est sûrement pas la révolution que voudraient y voir nombre de politistes, il s’inscrit dans la continuité de la secessio plebis, cette fracture entre les élites, qui ont le pouvoir de dire et de faire et le peuple qui comprend que nous avons changé d’époque, mais ne trouve pas les mots pour le dire.

Désaffection du « peuple » par rapport aux élites : développement de l’abstention aux élections – le président Macron a été élu par moins d’un quart des Français. Mais plus souterrainement, la perte de confiance dans les médias, la faillite de notre système d’éducation nationale à socialiser les jeunes, la perte de sens du travail dans le service public...

Le mouvement des Gilets jaunes a en quelque sorte mis en scène cette aporie du système social et politique issu du XVIIIe siècle. Nous changeons d’époque et nos vieux schémas d’explication et d’intervention ne fonctionnent plus.

Il n’y a pas de portrait moyen du Gilet jaune. Casseur ou pacifique, gauche ou droite, radical ou modéré ? Ce qui les lie est la défiance envers les autorités. Le « dégagisme » qui a porté le président à l’Élysée lui est renvoyé à la figure !

La forme de la contestation des Gilets jaunes reflète au mieux le changement d’époque qui est le nôtre, la sortie du modèle de vivre-ensemble hérité de la Révolution française et des acquis sociaux des siècles passés.

Alors qu’avant, la solidarité était nationale et je dirais uniforme, aujourd’hui nous assistons à un fractionnement de cette unité nationale. Ces mouvements de contestation locaux, qui se développent grâce à l’aide des réseaux sociaux, loin d’être individualistes, manifestent seulement la fin de l’idéal démocratique dans lequel l’individu libre de toute appartenance corporative n’était lié aux autres que par le biais du contrat (le fameux contrat social), c’est-à-dire les lois étatiques.

Les Gilets jaunes montrent le surgissement de multiples communautés, parfois éphémères, parfois plus pérennes, s’agrégeant non pas sur un projet ou un programme commun, mais dans le partage d’émotions, dans ce que j’ai appelé des communions émotionnelles.

C’est cela que le pouvoir peine à entendre, englué qu’il est dans des raisonnements et des stratégies technocratiques.

Il y a bien sûr quelque chose de tragique dans ce mouvement qui contient en lui-même l’absence de solution. Mais il y a aussi une grandeur dans la construction lieu par lieu, de ces identités communes, communautaires pourrait-on dire. Le rôle du pouvoir est non pas d’empêcher cette expression, ni de l’arrêter à tout prix, mais de respecter cette parole maladroite et éruptive, en produisant, avec elle, à partir d’elle, les paroles qui faciliteront le vivre ensemble ici et maintenant.

A lire aussi : L’ère des soulèvements : crise sanitaire, crise des civilisations

Extrait du livre de Michel Maffesoli, « L’ère des soulèvements », publié aux éditions du Cerf.

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

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