Gestion de la crise sanitaire : comment la France s’est laissée surprendre par la deuxième vague du Covid-19 malgré les alertes<!-- --> | Atlantico.fr
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Le médecin et épidémiologiste français Martin Blachier pose lors d'une séance photo pour l'AFP, à Paris, le 16 novembre 2020,
Le médecin et épidémiologiste français Martin Blachier pose lors d'une séance photo pour l'AFP, à Paris, le 16 novembre 2020,
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Martin Blachier publie « Méga-gâchis. Histoire secrète de la pandémie » aux éditions du Cerf. Martin Blachier dévoile les vérités cachées sur la crise de la Covid-19. Il relate son combat contre la technocratie et alerte sur les dérives de notre démocratie. Martin Blachier révèle les rouages et les coulisses d'un pays qui tue son talent. Extrait 1/2.

Martin Blachier

Martin Blachier

Médecin, spécialiste en santé publique, statisticien et épidémiologiste, Martin Blachier a fondé avec Henri Leleu la start-up Public Health Expertise qui, dans les domaines de la modélisation mathématique, du dépistage précoce et de la thérapie génique, est réputée internationalement.

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Alors que la France commence à se déchirer autour de la chloroquine et de son promoteur, nous nous nous tournons, pour notre part, vers la suite de l’épidémie car nos travaux nous le disent : la pandémie est loin d’être finie. Il est sans doute difficile de l’imaginer aujourd’hui, mais paradoxalement, alors que je serai, à compter des derniers mois de cette même année, considéré par beaucoup comme le « rassuriste » en chef, je suis, en ce printemps 2020, l’alarmiste favori des médias et notamment des chaînes publiques, lesquelles deviendront nettement moins fans par la suite.

À cette période, on m’associe à un chiffre, 85 000, car nos prévisions évoquent alors un possible bilan minimum de 85 000 morts. Ce chiffre arrive un peu comme un cheveu sur la soupe au moment où la population se prépare à se déconfiner après avoir atteint un pic resté record, le 8 avril, avec plus de 7 000 personnes en réanimation. Mais à présent, les chiffres plongent. Ils passeront sous la barre des 3 000 patients en « réa » le 7 mai.

(…)

Notre autre message clé, c’est d’envisager un déconfinement par tranches d’âge : « Il faudra d’abord déconfiner les plus jeunes, les moins vulnérables, pour leur permettre de constituer une immunité de groupe solide afin d’éteindre l’épidémie. Alors, dans un second temps, les plus vulnérables pourront de nouveau sortir car le virus circulera beaucoup moins grâce aux nombreuses personnes immunisées. » Une proposition qui nous attire les foudres de tous. Comment peut-on « enfermer nos vieux » et ne « laisser vivre que nos jeunes » ? Le 16 avril, je remonte au créneau avec des chiffres qui sont pourtant incontestables : « 90 % des gens qui sont morts du coronavirus ont plus de 65 ans. Et une personne de moins de 55 ans à un risque de décès 40 fois moindre que celui des 65 à 75 ans. ». Qui peut ignorer ces données au moment de déconfiner le pays ?

La veille, le 15 avril, Henri a participé à un groupe de travail mené par le collège des économistes de la santé dont l’objectif est de publier une note sur l’impact économique du confinement et de son éventuel prolongement. Ces économistes l’ont invité car ils connaissent sa réputation en modélisation et parce que le déconfinement par classes d’âge que nous proposons a retenu leur attention. Il permettrait de remettre en marche l’appareil productif sans risquer une rapide rechute.

C’est dans le cadre de ce groupe de travail qu’Henri va également participer à une réunion avec Jean-François Delfraissy et quelques autres membres du Conseil scientifique. Il en ressort aussi énervé qu’effondré ! « Soit ils ne comprennent rien, soit ils ne veulent pas entendre. Mais de toute façon, il faut arrêter de croire que, par eux, on arrivera à faire passer notre message. » Ce jour-là, nous choisissons définitivement la piste des médias. Qui justement nous ouvrent vraiment leurs portes !

Après avoir plongé pendant de longues heures, la tête la première, dans les données de notre modèle, j’interviens sur France Info et j’évoque, pour la première fois, l’hypothèse d’une seconde vague. « Au moment du déconfinement, le 11 mai, et les semaines qui suivront, les courbes seront calmes et il ne devrait pas se passer grand-chose. Mais on devrait assister à une reprise de la pandémie dès septembre, octobre au plus tard. » Le 2 mai, je suis dans les studios d’Europe 1 dans l’excellente émission C’est arrivé cette semaine. J’ai le temps alors de développer nos arguments et je l’affirme de nouveau : « Oui, une deuxième vague est inévitable, même si les gestes barrières, s’ils sont respectés, vont retarder son apparition. » Et je répète ce chiffre de 85 000 morts en précisant que c’est un minimum et que si les mauvaises options sont retenues ce bilan pourrait grimper jusqu’aux 200 000 décès. Je vais être accusé de tous les maux en avançant cette prédiction. C’est vrai que le contexte est alors particulièrement rassurant : 18 000 personnes sont encore hospitalisées alors que 32 000 l’étaient au pic de la vague à la mi-avril. 500 entrées par jour à l’hôpital contre 4 300 trois semaines plus tôt, et les réanimations qui se vident avec 1 800 patients et 60 entrées par jour contre 770 quotidiennement au plus haut de la vague.

Venir ainsi dans les médias pour allumer le feu à l’orange vif et prévoir une nouvelle vague alors que tout le monde pense à revivre normalement ! Le message doit passer certes, mais je sais qu’il risque de bousculer les consciences et les certitudes de certains. Je sais aussi que la principale proposition que nous avons formulée, en évoquant un déconfinement progressif, par tranches d’âge, va provoquer diverses critiques. Et sur ce point je ne serai pas déçu. Des retraités n’hésiteront pas à me qualifier de criminel et de nazi. Quant aux experts – certains hospitaliers et quelques pontes de l’épidémiologie –, ils vont se démultiplier sur les plateaux pour affirmer, au contraire, que l’épidémie est sur le point de se terminer.

Pourtant, dès le mois d’août, on assiste à une nouvelle progression de l’épidémie, ce que notre modèle a anticipé, noir sur blanc. À la fin du mois, l’incidence progresse pour atteindre les 9 500 cas par jour mais les entrées à l’hôpital restent modestes, avec 250 admissions quotidiennes et 45 entrées seulement dans les services de réanimation. Ce décalage, nous le savons aujourd’hui, est dû au fait que l’épidémie diffuse d’abord chez les jeunes avant d’atteindre les personnes à risques.

Mais pour quelques-uns des plus « rassuristes » de l’époque, c’est au contraire « le signe que l’épidémie est terminée » comme l’affirme sur CNews Jean-François Toussaint, professeur de physiologie et cardiologue, le 18 août, graphique à l’appui. Il est relayé par Didier Raoult, qui est encore au faîte de sa popularité et qui explique, dans l’une de ses vidéos diffusées sur YouTube (et qui sera retirée quelques semaines plus tard de la chaîne du professeur, sans doute fortuitement ?) que l’histoire naturelle de l’infection, c’est une seule vague, que cette vague est passée, et que, donc, l’épidémie est terminée. C.Q.F.D. D’ailleurs, quelques semaines plus tôt, il a qualifié l’hypothèse d’une deuxième vague de fantaisie relevant de la science-fiction. Pourtant, je continue d’avancer nos prévisions et j’ose, rendez-vous compte, contester le professeur Jean-François Toussaint lors d’un débat, ce qui me vaudra une volée de menaces des plus violentes.

Je me sens parfois seul face à cette montée en puissance des « rassuristes » puisque, soudainement, Christian Perronne et Laurent Toubiana s’ajoutent à la liste de mes contradicteurs. Le premier affirme le lundi 31 août, alors que la France rentre de vacances, qu’« on essaye de nous faire croire que l’épidémie progresse partout dans le monde alors que c’est faux. L’épidémie régresse, le virus a perdu de sa virulence et la mortalité est en train de baisser ». Le second avance que la remontée des cas est liée à « un simple brassage de population, dû aux vacances » et que « ces cas sont le plus souvent des cas asymptomatiques, des gens testés, qui sont porteurs du virus, mais qui ne sont pas pour autant malades ». Malheureusement pour tous ces éminents professeurs, qui continuent alors à nous regarder de haut – quand ils nous regardent... –, cette baisse du nombre de cas qu’ils analysent comme le dernier soubresaut d’un virus en voie d’extinction est en réalité la conséquence d’un phénomène que nous avons tous, nous y compris, nié ou négligé : l’effet saisonnier.

L’effet saisonnier brutal : la surprise d’octobre

Entre les mois de mai et juillet, je ne cesse d’affirmer qu’une deuxième vague va frapper le pays et qu’elle risque d’être majeure. Mais j’ajoute alors que cette vague surviendra durant l’été, probablement au cours de la deuxième quinzaine du mois d’août. Autant dire que le temps passant, et malgré une légère remontée du nombre de cas, je suis montré du doigt comme celui qui est prêt à annoncer le pire uniquement pour être invité à la télévision.

Les premières critiques sur mon intense présence médiatique datent en effet de cette période. Et je suis régulièrement blâmé par mes supposés pairs. Pourtant, le 14 juillet, nous avons, Henri et moi, notre petit feu d’artifice à nous, notre fête personnelle avec la publication de notre modèle dans Nature Medecine. Cet article est considéré comme d’un intérêt majeur par le comité de rédaction de cette illustre revue internationale et ceux qui l’ont relu avant d’en valider la publication, comme c’est l’usage dans la presse scientifique, des savants anglais, américains et russes, saluent un « travail de grande qualité ».

Eh oui, nous sommes fiers du travail accompli et de sa reconnaissance par la presse scientifique internationale ! Nous en profitons d’ailleurs pour souligner dans plusieurs messages, notamment à l’adresse d’Arnaud Fontanet qui est membre du Conseil scientifique, combien cette publication est d’abord une validation. Sait-on jamais ? Peut-être que, du côté du Conseil, nous considérera-t-on autrement ? Et, en effet, Arnaud Fontanet nous répond... pour nous féliciter. Sans plus !

Pour autant, nous constatons que nos prévisions sont alors en décalage, au moins momentanément, avec la réalité. La deuxième vague, si elle perce déjà en août puis en septembre, semble, « à bas bruit », presque contenue par les gestes barrière. Mon discours évolue puisque les faits semblent l’imposer. Sur Europe 1 je suggère que « nous ne sommes pas en face d’un cataclysme » et que le port du masque autant que la limitation des rassemblements dans les lieux clos pourraient porter leurs fruits. Mais, dans le même temps, je reste opposé à certaines mesures qui me paraissent inutiles telle que la fermeture des plages ou le port du masque à l’extérieur. Et j’évoque une possible stabilisation de cette deuxième vague.

Aux yeux des journalistes, je passe brutalement dans le camp des « rassuristes », voire dans celui de ces des « épidémiologistes de plateaux », selon Télérama, incapables de prévoir quoi que ce soit. Je parle pour la première fois de « vivre avec le virus », mais je continue de demander l’obligation du port du masque en entreprise, m’inquiétant d’un phénomène « rentrée des classes », ce qui sera effectivement imposé par le gouvernement. Confronté à la réalité, j’essaye de comprendre les causes de cette situation plus favorable que celle que nous avons prévue. C’est ce que l’on me reprochera si vivement alors que le nombre de cas va exploser brutalement un mois plus tard. Le nombre d’hospitalisations quotidiennes est multiplié par 2 entre le 1er et le 20 octobre.

Henri et moi sommes incroyablement perplexes, au point même de nous demander un instant si les chiffres publiés sont les bons. Nous ne comprenons pas sur le moment pourquoi notre modèle qui, jusqu’alors s’est montré parfait, a prévu une vague de fin d’été qui n’est pas arrivée. Nous passons des heures ensemble la tête dans les chiffres et les variables. Nous démontons et re-démontons notre modèle avant d’envisager toutes les explications. Et nous concluons à l’existence d’une saisonnalité que nous avons sous-estimée. Aucune autre explication n’est possible.

Le phénomène se confirme ailleurs puisqu’on assiste à une reprise quasi simultanée dans toute l’Europe qui coïncide avec une vague de froid sur le Vieux Continent. Et n’en déplaise à certains, nous sommes alors les premiers à l’évoquer. Nous en discutons mi-octobre avec Arnaud Fontanet, qui confirme notre hypothèse. Il comprend la même chose : la découverte d’un effet saisonnier fort qui avait pourtant été rejeté par l’immense majorité des scientifiques. Ainsi, l’OMS affirmait-elle, le 20 juillet, que « la Covid-19 n’est pas une maladie saisonnière ». Une erreur collective que la poussée du mois d’octobre confirme.

Une fois intégrée cette nouvelle donnée essentielle, je pense qu’un re-confinement est inévitable. Mais sous quelle forme ? Là encore, nous tentons de faire prévaloir une solution par classes d’âge, refusant l’idée d’un confinement global incluant des jeunes au risque très faible. En outre, on a pu constater les effets sur la santé mentale et le mal-être des plus jeunes après le premier confinement. Une deuxième période d’isolement et de vie sociale réduite à néant risque d’être dramatique. C’est ce que je propose le 24 octobre 2020 sur France Info : « En plus des personnes de plus de 65 ans, on pourrait aisément demander aux médecins libéraux, aux médecins traitants, d’identifier leurs patients qui ont une maladie sévère et qui sont particulièrement à risques face à la Covid. Et qui, donc, devraient se confiner. » Bien que cette solution soit d’une implacable logique, compte tenu de la distribution du risque d’être hospitalisé ou de développer des formes graves, je prêche dans le vide.

Extrait du livre de Martin Blachier, « Méga-gâchis. Histoire secrète de la pandémie », publié aux éditions du Cerf

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