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Géopolitique : difficile de savoir où va le monde… mais nous y allons très vite
©ALAIN JOCARD / AFP

2017, l’odyssée de la fin du monde d’avant

Atlantico a demandé à ses contributeurs leur vision de l’année où la France a vécu de nombreuses surprises et rebondissements et est entrée dans l’ère Macron. Pour Alain Rodier, le bilan est moins catastrophique que ce que l’on aurait pu escompter, bien que le hasard et l’amateurisme semblent avoir dicté l’attitude des dirigeants de la planète à quelques exceptions près.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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La fin d’une année est toujours l’occasion de faire des bilans, de tirer des leçons et de prévoir l’avenir en prenant de bonnes résolutions qui, très majoritairement, restent lettre morte. Si l’année qui se termine a apporté son lot de surprises, son bilan est moins catastrophique que ce que l’on aurait pu escompter mais il est extrêmement difficile d’en tirer des leçons tant le hasard et l’amateurisme semblent avoir dicté l’attitude des dirigeants de la planète à quelques exceptions près.

N’étant ni un spécialiste ni surtout un grand amateur de politique franco-française, je me bornerai à souligner l’élection « surprise » d’Emmanuel Macron. Notre jeune président paraît décidé à faire bouger les choses mais, en matière de politique étrangère, l’avenir devrait nous dire si "Jupiter" (ce surnom présent dans le film « Dossier 51 » rappellera de vieux souvenirs à certains) est capable de faire bouger les choses où s’il n’est pas la "grenouille qui se prend pour le bœuf ". Il a de la chance car la plupart des autres nations se débattent actuellement dans des problèmes internes qui oblitèrent leurs possibilités actions extérieures. 2018 dira s’il a su profiter du créneau. Si je n'ai qu'un souhait à formuler: il a déclaréé qu'il ne voulait pas faire de la "morale" aux autres, alors, de grâce, que cela se traduise dans les actes. En dehors de l'hexagone, la "morale" de la France exaspère plus qu'elle ne convainc quiconque.

Pour l’avenir de la planète, c’est surtout l’arrivée de l’administration Trump aux commandes qui a été capitale. Tout le monde se posait des questions quant aux décisions que le président de la première puissance mondiale pourrait prendre à l’international. C’était oublier un peu vite que la constitution américaine permet de brider considérablement les initiatives de son commandant en chef. En comparaison, son homologue français a les mains bien plus libres.

A défaut d’impeachment dont beaucoup rêvaient (qui finira peut-être par arriver mais la procédure est longue, tatillonne et difficile à finaliser sauf si le président, fatigué des attaques dont il fait l’objet jour après jour, jette l’éponge et présente sa démission), il a été bien empêché de gouverner comme il le voulait. Ses adversaires qui se trouvent naturellement dans le camp démocrate ont été renforcés par certains membres du parti Républicain qui le trouvaient trop peu professionnel pour assumer le job. Il y a aussi une vengeance du monde politique professionnel qui tolère mal qu’un "extérieur" ait pu leur griller la politesse.

Mais surtout, ce sont différents lobbies très puissants aux États-Unis qui lui ont savonné la planche, même si certains (par exemple, celui représenté par la National Rifle Association - NRA -).lui sont restés favorables.

Les deux les plus intéressés par la politique étrangère des États-Unis sont le complexe militaro-industriel (qui n’est pas représenté par la NRA qui représente majoritairement les citoyens qui défendent le 2e amendement de la Constitution sur le droit de posséder et de porter des armes) et la communauté du renseignement qui regroupe la bagatelle de 17 Agences.

Que reprochaient ces deux lobbies au candidat Trump ? Sa volonté affirmée d’un désengagement des États-Unis et un apaisement des relations avec la Russie.

« Enfer et damnation », si ces projets étaient menés à bien, il fallait s’attendre dans un avenir plus ou moins proche à une baisses considérable des chiffres d’affaires pour les industries d’armements. En effet les forces armées se seraient resserrées et auraient commandé beaucoup moins d’avions, de navires, de chars, et de munitions. Heureusement en cette fin 2017, les grandes industries d’armement peuvent souffler car leurs craintes se sont apaisées : l’armée américaine est plus que jamais déployée outre-mer avec l’ouverture de nouvelles perspectives "alléchantes" (financièrement parlant) en Extrême-Orient et en Europe centrale. Les carnets de commandes sont pleins, l’Arabie saoudite ayant refait son marché chez l’Oncle Sam tout en déversant des tonnes de bombes - dont il faut renouveler en permanence les stocks, ce qui fait des rentrées régulières d’argent frais - sur le Yémen.

Avec un peu de chance, l’année 2018 devrait d’ailleurs être encore meilleure si, suivant les déclarations belliqueuses et répétées du président Trump, des opérations d’envergure étaient enfin déclenchées contre la Corée du Nord et l’Iran. L’argument qui prévaut chez les stratèges américains est qu’il faut « y aller » maintenant tant que ces deux pays ne se sont pas dotés d’une puissance nucléaire militaire vraiment opérationnelle. Après, il sera bien trop tard car l’effet dissuasif sera engagé. Ce raisonnement est techniquement indiscutable. Par exemple, qui songerait à attaquer aujourd'hui le Pakistan, même si un régime à la taliban prennait le pouvoir ?

De son côté, la communauté américaine du renseignement voyait avec terreur Moscou ne plus être désigné comme l’abominable croquemitaine dont il faut déjouer les manœuvres perverses partout dans le monde. Pour la communauté du renseignement, s’il n’y a plus d’ennemi désigné assez puissant (dans la cas de la Russie, cette puissance est considérablement surévaluée) entraîne mécaniquement une baisse des crédits alloués au renseignement et vraisemblablement une diminution drastique des effectifs (100.000 fonctionnaires et, peut-être encore plus chez les sous-traitants).

Donc les maîtres espions américains ont démontré que le président Poutine est responsable de tous les maux : d’abord bien sûr de l’élection de Trump qui  n’y serait jamais parvenu sans l’aide du FSB et du GRU (soit dit en passant, on se demande ce que le renseignement militaire - le GRU - a à voir avec cette affaire ; pour le FSB, c’est possible car ses pouvoirs sont extensibles mais les manipulations à l’étranger sont généralement plus du ressort du SVR, les services de renseignement extérieurs russes qui, dans ce cas précis, ne sont nulle part cités par les Américains), du Brexit (encore que là, les États-Unis sont tout de même satisfaits d’arracher leur allié ancestral à la vieille Europe), du mouvement séparatiste de la Catalogne et pourquoi pas, du réchauffement climatique dans leque les États-Unis n’y sont strictement pour rien, etc.

Cela dit, Poutine qui fait preuve d’un calme olympien comparé à l’agitation fébrile des Occidentaux en général et des Américains en particulier, commence à se montrer plus que rétif. A ce rythme, il peut verser à son tour dans des excès que tout le monde pourrait regretter.

La Pologne, les Pays Baltes et la Moldavie (à propos de la Transnistrie) ont fourni des prétextes en or aux lobbies américains en appelant au parapluie américain pour les protéger d’une attaque imminente - clandestine ou même classique - de l’ex-Armée rouge désireuse de "protéger" les importantes minorités russophones vivant dans ces pays. S'il est vrai que la manière dont Vladimir Poutine a réglé le cas de la Crimée constitue un succès opérationnel qui sera cité pendant des années dans les écoles des forces spéciales et autres Services Action, cela a été beaucoup plus maladroit sur le plan de la diplomatie internationale. C’est d’autant plus dommage que Poutine aurait vraisemblablement pu adopter une stratégie plus "politique" qui avait des chances d’aboutir même si cela aurait nécessité beaucoup plus de temps. Les "indépendances" de fait de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud qui ont quitté la Géorgie avec l’aide de la Russie en 1993 sont aussi dans toutes les mémoires.

Israël et les pays de la Ligue arabe emmenés par l’Arabie saoudite version rajeunie à la mode MBS (du nom du jeune prince héritier Mohammed Bin Salmane) ont fait de même contre l’Iran dont la volonté d’influence au Moyen-Orient n’est un secret pour personne. Au passage, MBS a affirmé qu'il voulait un islam plus "ouvert et plus tolérant", ce qui constitue un aveu que le wahhabisme exporté depuis des années ne l'est pas !

Il semble évident que le président Trump est mène désormais une politique étrangère qui est bien différente de ce qu’il avait imaginé avant de se faire élire. Peut-être même ne croyait-il pas en sa propre élection et cela expliquerait l’amateurisme apparent d’une grande partie des conseillers dont il s’est entouré. Le pire, c’est que pour diminuer la pression dont il fait l’objet à l’intérieur, il semble maintenant lancé dans une fuite en avant en multipliant les déclarations fracassantes qui ont le don d’aggraver certaines situations qui étaient déjà extrêmement complexes et explosives.

Sa décision de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem qu’il a reconnu comme capitale de l’État hébreu fait partie de celles-là. Le pire, c’est qu’il semble ne pas été influencé par le lobby juif américain si souvent cité (cette mesure annoncée à plusieurs reprises lors de sa campagne n’avait d’ailleurs pas attiré vers lui cet électorat). A savoir que ce dernier - en dehors de quelques éléments - ne pensait pas que le temps était venu de prendre cette décision alors que les relations de l’État hébreu avec les pays arabo-musulmans s’amélioraient progressivement grâce à la présence de l’ennemi commun : les mollahs au pouvoir à Téhéran ! Ce n’est pas que la solution soit mauvaise dans l’absolu, toutes les institutions gouvernementales israéliennes se trouvant à Jérusalem, mais le timing semble être particulièrement mal choisi. S’il y avait une petite chance (certes infime mais tout bouge si vite au Moyen-Orient) que des relations diplomatiques officielles bilatérales soient ouvertes et qu’en conséquence, Israël soit enfin reconnu (je pense à l’Arabie saoudite ou/et aux Émirats Arabes Unis), elle est désormais évanouie pour de longues années.

En conclusion, les lobbies militaro-industriels et de la communauté du renseignement US ont mis au pas Trump car ils le tiennent par les c… d’autant qu’il a sans doute commis des "erreurs" (voire pire) dans son passé qui est épluché par les plus puissants services de renseignement de la planète : ceux de son propre pays. Cet "amateur" en politique se défend en réagissant de manière impulsive pensant déjà aux prochaines élections de mi-mandat. C’est le problème des démocraties; à peine élus, les différents responsables politiques ne voient pas plus loin que les échéances électorales suivantes. Ce n’est pas parce qu’ils vivent de cela - certains s’en sortent très bien par ailleurs, Trump en premier -, mais le pouvoir est une drogue addictive dont ils ne peuvent plus se passer quand ils y ont goûté.

2017 a été une année pénible, voire intolérable pour toutes les victimes innocentes des guerres et du terrorisme. 2018 risque d’être bien pire si Trump finit par mettre à exécution - volontairement ou par inadvertance - les différentes menaces tartarinesques qu’il n’a cessé de proférer. Quelques uns peuvent bien penser que cela crèverait des abcès purulents et que seule une médecine de cheval peut y remédier. Pourquoi pas, mais il faudra alors beaucoup de courage ou d’inconscience pour ne pas voir les souffrances supplémentaires que cela occasionnera immanquablement.

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