Gaz et pétrole : et si l’Arctique n’était pas l’Eldorado promis ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La compagnie pétrolière et gazière Royal Dutch Shell PLC a décidé de suspendre ses activités de forage en Arctique pour des raisons de rentabilité.
La compagnie pétrolière et gazière Royal Dutch Shell PLC a décidé de suspendre ses activités de forage en Arctique pour des raisons de rentabilité.
©Reuters

Rétropédalage

Après 7 milliards de dollars dépensés dans la recherche de pétrole et de gaz naturel en Arctique, la compagnie pétrolière et gazière Royal Dutch Shell PLC a décidé de suspendre ses activités de forage pour des raisons de rentabilité. Les quantités de pétrole trouvées ne seraient pas à la hauteur de leurs attentes.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico :  Les différents compagnies pétrolières et pays ne se seraient-ils pas trompés en investissant massivement dans l’Arctique pour des raisons énergétiques ? Est-ce la première compagnie à avoir fait marche arrière ? Pourquoi le forage n'est-il pas si rentable que cela ?

Stephan Silvestre : Les réserves estimées en Arctique sont très importantes, entre 15% et 30% des réserves mondiales, selon les estimations, ce qui est amplement suffisant pour justifier des efforts d’exploration. En ce sens, les compagnies font leur métier, elles prospectent. Mais cette activité comporte une part d’incertitude et les licences d’exploration achetées (2 milliards de dollars, en l’occurrence) ne sont pas toujours rentables.C’est le jeu habituel de ce métier. Ce n’est d’ailleurs pas la première déconvenue de Shell, qui a déjà rencontré plusieurs déboires techniques depuis 2012 en Arctique. Total avait aussi fait marche arrière en 2012, lorsque son président, feu Christophe de Margerie, décida de renoncer à l’exploration pétrolière (mais pas gazière), considérant que le risque financier et en terme d’image y était trop élevé. Par la suite, la major française abandonna aussi sa participation dans le projet de Chtokman, en mer de Barents (Arctique russe), toujours en raison des incertitudes techniques et financières. La catastrophe survenue sur la plateforme pétrolière DeepwaterHorzion en 2010, bien qu’elle se soit produite dans les eaux plus clémentes du golfe du Mexique, a aussi pesé dans la balance, aucune compagnie mondiale ne souhaitant revivre la descente aux enfers qu’avait subie BP.

Les contraintes techniques et environnementales rendent l’exploitation très coûteuse : les forages se font en offshore profond, dans des eaux très agitées, inaccessibles durant l’hiver et le tout avec des contraintes de sécurité, à la fois pour le personnel et l’environnement, de plus en plus drastiques. On ne peut pas donner de coût du baril tant qu’une production n’a pas été effectuée sur une certaine durée, mais il serait certainement au-delà de 80$.

À court terme, le coût du baril étant faible, le forage n'est pas rentable, mais est-ce qu'à long terme, les compagnies ne vont-elles pas devoir revoir leur plan ?

Lorsqu’elles investissent sur de tels projets, les compagnies se projettent à 15 ou 20 ans. Ce n’est donc pas le prix actuel qui est considéré, mais celui qui est attendu dans 15 ans. Compte tenu de la forte augmentation de la demande à la fin des années 2000, les majors tablaient plutôt sur un baril à 100, 120, voire 140$. Mais l’emballement de la demande s’est calmé et de nouvelles technologies ont permis de faire chuter les coûts d’extraction dans des régions plus faciles d’accès (les huiles de schiste aux États-Unis ou l’offshore ultraprofond). Et cela va continuer : il ne serait pas surprenant de voir arriver de l’exploitation d’huiles de schiste offshore, par exemple. Il devient donc très hypothétique de miser sur un baril au-delà de 100$, d’où le gel de tels projets. Tant qu’il y aura des gisements moins onéreux, les réservoirs d’Arctique seront gardés pour plus tard. Il est même probable que la demande fléchiraavant que ce pétrole ne soit exploité.

L'équation économique ou géopolitique peut-elle se poser différemment pour d'autres États ou compagnies pétrolières, en Russie ou en Norvège par exemple ?

Oui, tout à fait. Pour la Russie, l’Arctique est clairement un axe de développement stratégique, comme l’a répété Poutine en plusieurs occasions. Elle continuera donc à prospecter. Mais pour cela, elle a besoin des technologies des majors occidentales. Leur départ de projets tels que Chtokman(d’abord Statoil, puis Total) entraîne donc leur gel.

Pour la Norvège, il s’agit de pérenniser son activité pétrolière, alors que les gisements les plus anciens de la mer du Nord se tarissent. Pour cela, la compagnie nationale Statoil doit prospecter plus au nord du pays. Mais elle acquiert aussi des licences ailleurs dans le monde, de sorte qu’elle ne dépend pas uniquement des ressources norvégiennes.

Sur un plan géopolitique, nous assistons depuis plusieurs mois à une "course" à l'Arctique, entre la Russie qui lancé un plan militaire important, les USA qui ont également mis en place début septembre un plan d'investissement massif de la zone, la Chine qui a envoyé plusieurs navires sur place, etc. Dans quelles mesures ces nouvelles informations concernant l'exploitation de pétrole dans la zone sont-elles être susceptibles de changer la donne ?

Cet engouement pour l’Arctique russe date de nombreuses années. Les hydrocarbures, le pétrole et surtout le gaz, en sont un élément important, mais pas le seul. La Russie y voit un enjeu géostratégique majeur, l’Arctique étant la zone naturelle la séparant de l’Amérique du Nord. Cela fait donc un moment, qu’elle cherche à s’y implanter militairement. Pour cela, il faut des voies d’accès et des hommes (ravitaillement, logistique, loisirs…). L’exploitation minière (énergétique ou métallurgique) permet donc de déployer des infrastructures de présence. Mais celles-ci restent encore ténues. Plus récemment, un nouvel espoir a ravivé l’intérêt des pouvoirs publics : l’ouverture d’une route maritime commerciale entre l’Europe et l’Asie, favorisée par le réchauffement climatique. Cette voie permettrait justement de maintenir des infrastructures dans cette zone déserte (ports, bases navales). L’abandon des gisements de Shell constitue donc un facteur défavorable, mais pas suffisamment pour remettre en cause la stratégie russe.

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