Gastrogangs : comment notre alimentation est devenue le nouveau terrain de jeu du crime organisé<!-- --> | Atlantico.fr
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Le scandale de la viande de cheval l’année dernière a mis en lumière une nouvelle forme de trafic lié à l’alimentation.
Le scandale de la viande de cheval l’année dernière a mis en lumière une nouvelle forme de trafic lié à l’alimentation.
©Reuters

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Avec les récents scandales sanitaires, notamment celui de la viande de cheval, le monde a découvert un nouveau trafic dirigé par le crime organisé, celui de l'alimentaire.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Le scandale de la viande de cheval l’année dernière a mis en lumière une nouvelle forme de trafic, lié à l’alimentation. En quoi notre alimentation devient-elle la cible du crime organisé ?

Xavier Raufer :  Comment un événement advient dépend bien sûr d'abord de pourquoi il arrive. C'est donc par cela que je commencerai.

a) En général, le monde criminel ignore la spécialisation : les sciences humaines appellent cela un invariant. D'usage, les gens honnêtes ont ainsi un métier particulier (coiffeur, banquier, etc.), mais pas les bandits, qui sont des prédateurs opportunistes - les mafieux tout comme les petits voyous ; entre eux, juste une question d'échelle. Hors du jeu de mots, il n'y a donc ni "gastrogangs", ni "éco-mafia" : d'un jour à l'autre et à son choix, tout bandit passe du proxénétisme au racket ; du trafic de stupéfiants à celui de déchets toxiques. Ce, sur la base de calculs type cout/bénéfice, ou du risque émanant de rivaux ou de la police.

b) Demandons-nous donc pourquoi des bandits, qui hier, exploitaient d'autres créneaux criminels, les abandonnent pour la contrefaçon - ici, pour celle de produits alimentaires. Mais méfions-nous du "petit bout de la lorgnette" : s'obséder sur les seules fraudes alimentaires cache l'essentiel, qui est que les bandits se moquent de ce qu'ils falsifient, aliments aujourd'hui, médicaments ou pièces détachées demain. Ce qu'ils cherchent, c'est le plus d'argent possible et au plus vite - pas d'exercer une industrie X ou Y.

c) Ce qui pousse aujourd'hui les bandits vers de nouveaux centres de profit, dont la contrefaçon alimentaire, c'est le chaos qui, désormais, s'installe sur la planète drogue. En effet, partout sur les gros marchés de stupéfiants (Amérique du Nord, Europe) on constate chez les jeunes usagers une nette baisse de l'usage des drogues illicites (cocaïne, héroïne - cannabis) et l'explosion parallèle du trafic de médicaments utilisés pour se "défoncer" (opioïdes antalgiques, neuroleptiques, anxiolytiques, sédatifs, etc.).

Même en France, l'usage du cannabis diminue chez les jeunes. Une étude de l'OFDT (juin 2013) montre ainsi que pour les 17 ans, l'expérimentation et l'usage régulier du cannabis baissent clairement de 2002 à 2011. D'où, la ruée des bandits les plus lucides et réactifs vers la contrefaçon et la cybercriminalité, notamment. Ceux qui restent sur des marchés déclinants s'entretuent désormais pour tenter d'échapper à la loi des rendements décroissants - voir Marseille.

Quels sont les principaux trafics de marchandises illicites ? Quels sont les réseaux internationaux qui les dirigent, et les pays concernés ?

Nous savons donc pourquoi advient la présente ruée sur les contrefaçons, notamment alimentaires. Voyons quels produits cela concerne. A l'origine, sont ciblés les biens et produits de luxe : parfums, bijoux, maroquinerie, etc. Puis les médicaments, les cosmétiques, les pièces détachées de véhicules et d'avions. Et aujourd'hui, n'importe quoi : fausses barres chocolatées... faux dentifrice...  A San Francisco, on a même saisi en 2012 un navire chargé de faux corn-flakes ! Tout cela rapporte des fortunes. En 2005, selon l'ONU, le "chiffre d'affaires" de la contrefaçon approchait les 50 milliards de dollars par an - 250 milliards en 2010. Vers 2015, ce marché illicite rattrapera sans doute celui des stupéfiants (aujourd'hui, quelque 350 milliards de dollars par an, dixit l'ONU).

Comme déjà vu, il n'y a pas de réseaux fixes faisant durablement ceci ou cela. On sait avec certitude que de 70 à 80 % des biens contrefaits proviennent de Chine, le reste, du sous-continent indien. La plaque tournante du trafic Asie-Afrique-Europe se situe dans le Golfe, dans les zones franches de divers émirats de la région.

Comment les risques de pénuries alimentaires alimentent-ils ces réseaux ?

C'est plutôt la crise qui pousse les populations africaines, sud-américaines, etc. vers les biens contrefaits. Chez les garagistes de la péninsule arabique, on vous laisse par exemple le choix entre des plaquettes de frein Toyota, aux emballages identiques, à 10 dollars ou à 80 dollars. Bien entendu, celles à 10 dollars sont contrefaites, souvent dangereuses, mais la différence de prix...

Pourquoi est-il difficile de lutter contre ces nouvelles organisations ? Quels sont les moyens mis en place par les agences Interpol et Europol ?

Le plus ardu est de faire réaliser au monde du business qu'il ne s'agit pas d'un vol anodin de leurs droits intellectuels, mais d'une affaire criminelle impliquant de puissantes mafias prêtes à tuer et provoquant un massif problème international de santé publique. En Afrique, les faux médicaments tuent sans doute de 80 000 à 100 000 personnes par an. Quant aux polices et aux justices des grands Etats de droit, ce sont de lourdes bureaucraties qui peinent à changer d'ennemi... Au fil des décennies, ces instances répressives se sont accommodées du terrorisme et du trafic de stups - et peinent à se mettre en ordre de bataille devant un ennemi mouvant et difficilement saisissable...

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