Gagner 100 000€ par an pour acheter 40m2 à Paris : à qui la faute ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo aérienne de la ville de Paris.
Une photo aérienne de la ville de Paris.
©LOIC VENANCE / AFP

Marché de l'immobilier

Devenir propriétaire dans la capitale est malheureusement devenu un sport ultra sélect alors même que l’adjoint au logement d’Anne Hidalgo est communiste.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Selon la startup Virgil, il faut gagner environ 100 000€ (entre 81 000 et plus de 135 000 € selon les situations) par an sans apport pour acheter 40m2 à Paris. Quelle part de la part de la population française, et parisienne, dispose effectivement de ce pouvoir d’achat ?

Philippe Crevel : Ces chiffres ne sont pas une surprise, l’évaluation faite par cette startup est cohérente, même si elle pourrait être affinée, en prenant en compte la question de l’apport personnel, de la situation familiale, etc. Concrètement, 100 000 € / an vous place dans les 10% les plus aisés en France. A 80 000 € /an on est entre les 10 et 20 % les plus élevés. Ce sont des cadres supérieures, en professions libérales, qui gagnent ce genre de rémunération. Evidemment, c’est à Paris qu’on retrouve le plus de personnes gagnant ces rémunérations, mais c’est loin d’être une majorité. Avec un apport, un peu plus de personnes peuvent se permettre d’acheter.

Qui/ quel facteur porte la plus lourde responsabilité ? Quelle est la hiérarchie des responsabilités dans les facteurs suivants ? Pour quelle raison ces facteurs jouent-t-il un rôle dans la hausse des prix de l’immobilier et la raréfaction des biens ? 

Philippe Crevel : La situation parisienne, n’est pas unique, elle se retrouve au niveau mondial, donc il y a responsabilité qui n’est ni celle des gouvernements, ni des mairies, ni des banques centrales. Il y a un phénomène de concentration. La population se concentre au sein de très grandes agglomérations (depuis le début de la révolution industrielle et en particulier depuis 30 ans). Cela entraîne une augmentation des prix car il y a un déséquilibre qui se créé entre offre et demande. D’autant que la population française augmente et qu’il y a de plus en plus de divorces, donc le nombre de ménages augmente. Le marché est incapable de répondre à cette demande. On construit 340 000 logements par an en France, il en faudrait 500 000.

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Et si la pénurie de logements méritait bien plus que les retraites d’être la mère de toutes les réformes françaises ?

Charles Reviens : Votre question fait référence à un article récent des Echos qui indique qu’avec un prix moyen du mètre carré de 10 490 euros à Paris en 2022 et un taux d'intérêt fixe à 2,55 %, un ménage devait gagner en 2022 97 490 euros bruts annuels pour acheter un 40 mètres carrés, soit un salaire mensuel net de près de 6 500 euros, à comparer au salaire mensuel net moyen de 3 772 euros pour un salarié habitant à Paris selon une étude de l’INSEE de 2018.

Pour valider et en prenant son antique mais indispensable calculatrice financière HP-12C et qu’on prend les données les plus récente (3,3 % pour un « très bon taux » sur 25 ans selon meilleurtaux, 10 177€ le mètre carré à Paris selon meilleuragent rapporté par le JDD du 23 avril) donc un prêt de 407 080 €, la mensualité s’établit à 1 994,54  € pour un prêt sur 100 % du logement (hors frais de notaires et assurance-crédit) et il faut donc gagner 5 983,61 euros nets par mois (hors prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu) pour que la mensualité de l’emprunt immobilier ne représente pas plus du tiers du salaire net. Tout cela sur 25 ans.

Il y a donc un phénomène d’exclusion des jeunes du marché du logement rappelé dans la tribune de Maxime Sbaihi dans l’Opinion du 25 avril qui avait d’ailleurs fait sa une sur la crise du logement, comme le JDD 2 jours avant.

Face à ce phénomène qui a une réalité mesurable mais qui semble prendre également un tour politique, la réalisation d’une analyse multifactorielle comme le propose Atlantico est pertinente. Je prendrai les différents critères un par un mais il n’est bien entendu pas possible dans le cadre d’un article de réaliser la pondération relative de ces différents critères.

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Et si l’heure de la grande révolte des consommateurs contre l’inflation avait sonné ?

LA POLITIQUE URBAINE (BOBOISER LA VILLE NOTAMMENT) - 7/10

Philippe Crevel : Il est difficile de construire à Paris car tout y est presque déjà construit. La densité de population y est importante. Les règles urbanistiques limitent les constructions, en particulier en hauteur. Cela contribue à une raréfaction du foncier. Et tout projet peut maintenant faire l’objet de recours qui rendent la construction lente et coûteuse.

Il y a une tendance mondiale à une certaine « boboïsation » des villes. De plus en plus de jeunes couples aisés viennent s’installer à Paris mais partent quand leurs enfants naissent car la vie devient trop chère. Il y a aussi une politique de logements sociaux qui permet d’avoir une population moins aisée. Mais les classes moyennes sont exclues.

Charles Reviens : Les travaux de Christophe Guilluy et l’ouvrage « La France sous nos yeux » de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely décrivent de façon convaincante un phénomène d’expulsion par la hausse des prix immobilier des classes moyennes et populaires des territoires de la « France triple A » (métropoles attractives, bande côtière), résultats de certains choix (ou non choix) de la politique urbaine conduisant à la gentrification de certains territoires anciennement populaires.

LA POLITIQUE DU LOGEMENT DE LA VILLE - 4/10

Philippe Crevel : L’objectif d’avoir 40 % de logements sociaux poursuivi par Anne Hidalgo aboutit, nécessairement, à réduire l’offre privée de logements. La mairie fait de la préemption, oblige les constructions neuves à avoir des logements sociaux, ce qui a un coût. Celui-ci est en partie transféré sur les acteurs privés. Là encore, cela pénalise les classes moyennes.

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De même, l’encadrement des loyers, a échoué à faire baisser les prix de l’immobilier et globalement sur le prix des loyers. La règle n’est d’ailleurs pas complètement appliquée.

Charles Reviens : En France la politique du logement et de la ville est organisée en forme de pince entre l’ultracentralisation nationale du cadrage politique, notamment pour le secteur du logement locatif sociale, et la décentralisation matérialisée par le pouvoir du maire sur le permis de construire. Comme on évoque l’enjeu de l’évolution des prix dans le privé pour les territoires urbains attractifs, il est par exemple évident que la règle de la loi SRU imposant 20 % de logements sociaux dans certaines communes pousse à la hausse les prix des programmes neufs pour la partie privée des opérations d’accession ce qui contribue à la hausse des prix.

LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE - 6/10

Philippe Crevel : Les normes environnementales en vigueur à Paris renchérissent nécessairement le coût de la construction et rendent aussi certains chantiers plus complexes. Et une augmentation des coûts contribue forcément à l’augmentation des prix.

Charles Reviens : La tendance durable au renforcement des normes liées à la politique environnementale (normes, étiquettes énergétiques, ZAN & limitation de l’artificialisation des sols) embarque des couts ou crée des raretés qui doivent également peser sur les prix à la hausse. Il faut toutefois noter un phénomène inverse pour les logements ayant une mauvaise performance énergétique dans des territoires peu attractifs (prix à la baisse pour ces biens).

LA MONDIALISATION ET LA MULTIPLICATION DU NOMBRE DE RICHES - 1/10

Philippe Crevel : La demande mondiale, et la volonté des ultra-riches de s’installer à Paris joue aussi, mais seulement dans quelques quartiers très prisés, mais ce n’est pas un phénomène déterminant. Cela va jouer sur la place des Vosges, l’Ile Saint-Denis, l’Ile de la Cité, dans le VIe arrondissement, etc.

Charles Reviens : Bien entendu l’acquisition de biens immobiliers par des non-résidents créée un marché séparé qui mécaniquement réduit l’offre pour les résidents et conduit à la hausse des prix du fait du pouvoir d’achat immobilier plus élevé ce ces non-résidents. Sur ce point on peut noter que des pays comme la Suisse ou la Thaïlande limitent strictement l’achat d’immobilier par des non-résidents.

LA POLITIQUE MONETAIRE (D'AUJOURD'HUI ET D'HIER) - 9/10

Philippe Crevel : Les prix de l’immobilier ont doublé en 20 ans et la politique de taux d’intérêts bas, dans les années 2010, a contribué au doublement du prix de l’immobilier. La politique monétaire accommodante engagée après 2015 en Europe a entraîné une hausse des prix de l’immobilier par ricochet. Les investisseurs ont préféré l’immobilier aux rendements, et les taux bas ont créé un effet de levier par endettement qui a créé un transfert au niveau de l’immobilier, avec un concentration sur un nombre d’investisseurs réduits. Les investisseurs concentrent une part croissante des biens. La politique accommodante a chassé les primo-accédants du marché, puisque ce sont eux qui n’ont pas d’apport. Aujourd’hui, c’est la hausse des taux d’intérêts, après des années de baisse qui renchérit le coût de l’endettement, pour des personnes dont le revenu ne suivrait pas l’inflation. Il y a aussi une sélection plus forte aux niveaux des dossiers d’emprunts, ce qui limite les moyens des ménages souhaitant d’acquérir. La faible croissance économique, en partie due aux politiques monétaires, qui limite les hausses de salaire, ne favorise évidemment pas l’accès au logement.

Charles Reviens : Le niveau des taux d’intérêt constitue de façon claire une variable de contrôle majeure du fait de leur lien avec le prix des actifs. On note en France toutefois l’action de la Banque de France et du HCSF (haut conseil de stabilité financière) qui se prend une volet de bois vert dans l’article sur le logement du JDD car il encadre de façon prudentielle les modalités des crédits immobiliers dans un contexte de fort retournement cyclique pour les promoteurs.

L'AIRBNBISATION - 8/10

Philippe Crevel : Il y a une concentration des investissements locatifs à Paris et une augmentation du locatif saisonnier, au détriment des résidents à l’année. C’est vrai à Paris, Ajaccio, Nice, etc. L’immobilier développe une vocation saisonnière, ce qui restreint fortement les possibilités de logement à l’année. Airbnb est évidemment le symbole le plus voyant de cette tendance, Les mesures qui ont été prises pour lutter contre peu ou mal appliquées et n’ont pas permis, pour le moment, de réduire ce type d’activité. Et les jeux olympiques créent un appel d’air.

Charles Reviens : AirBnB (voir ma contribution pour Atlantico d’il y a quelques jours) créée pour les territoires touristiques un marché de location de court terme qui fait capter une partie du parc par des investisseurs intéressés par des rendements supérieurs. La location a court terme crée donc un double effet d’exclusion pour la location de longue durée et les accédants à la propriété.

LA FISCALITE DE L'IMMOBILIER - 5/10

Philippe Crevel Cela fait 50 ans que les mêmes erreurs sont commises. Les aides à l’investissement locatif, l’actuelle loi Pinel, contribue à l’augmentation des prix. Les constructeurs ont intégré la réduction d’impôts dans leurs prix. Cela n’a donc rien résolu. D’autre part, la fiscalité des plus-values immobilières gênent aujourd’hui le marché plus qu’elles n’empêchent la spéculation. Il faudrait sans doute travailler à une fiscalité plus neutre.

Charles Reviens : La fiscalité sur l’immobilier est très élevée en France, d’une part parce que la France et les Français désirent ou acceptent un niveau élevé de fiscalité d’autre part parce que l’immobilier est une assiette taxable évidente et inéluctable pour l’Etat. Sont principalement taxés en Frances les propriétaires et investisseurs immobiliers privés (taxe foncière, droits de mutation, droits de succession, IFI, TVA immobilière sur le neuf). Il semble improbable que cette fiscalité n’ait aucune influence sur les niveaux de prix.

AUTRE

Charles Reviens : Il y a donc de multiples raisons conduisant à la hausse des prix immobiliers particulièrement défavorables aux jeunes. Si l’accession des jeunes à la propriété est un objectif important – ce que je pense – il n’appartient qu’aux pouvoirs publics de mettre en place des instruments permettant la réalisation de cet objectif politique.

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