Fronde des policiers : les libertés publiques, grandes sacrifiées des quinquennats Macron <!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers en exercice, photo d'illustration AFP
Des policiers en exercice, photo d'illustration AFP
©PATRICK KOVARIK / AFP

Justice vs Police

Alors que le ministre de l’intérieur paraît céder aux exigences des syndicats de policiers, il semble que le gouvernement renonce en creux à mieux contrôler la police faute de savoir mieux la défendre face aux délinquants comme de savoir rééquilibrer ses rapports avec la justice).

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Le choix de gouvernement de ne pas gérer le problème de fond dans le cadre de la fronde des policiers, de céder aux syndicats policiers alors qu’il ne faudrait pas laisser une part d'opacité qui pourrait permettre de masquer des dérives, n’est-ce pas mettre un sparadrap sur les libertés publiques ? 

Gérald Pandelon : Je crois qu'une honnêteté minimale du gouvernement serait d'admettre qu'il n'entend rien dans ce qui a trait au régalien, c'est dire de façon simplifiée, la police et la justice, cette dimension verticale qui confère à une nation sa solidité, pour ne pas dire sa dimension sacrée. En effet, qu'on l'accepte ou le déplore, sans justice et sans police, il ne saurait exister de véritable société car nous savons depuis Rousseau ("Du contrat social", 1762) qu'il n'existe pas de sociabilité naturelle. Autrement dit, ce qui semble caractériser le plus ce gouvernement c'est le paradoxe permanent, l'absence de clarté et de vision. En effet, d'un côté, un chef de l'Etat qui, avant même de connaître la réalité de faits venant de se dérouler et au mépris de la présomption d'innocence tout comme de la séparation des pouvoirs, voit dans le policier ayant interpellé le jeune Nahel nécessairement un meurtrier (la qualification pénale retenue est celle d'homicide volontaire) ; d'un autre, un ministre de l'Intérieur qui décide a posteriori de se dire solidaire désormais de façon inconditionnelle de la police et de sa hiérarchie, alors qu'il n'avait eu aucun mot de soutien envers le policier ayant fait feu au cours de l'interpellation. Je fais effectivement partie de ceux qui considèrent que la police devrait bénéficier d'un a priori plutôt positif et non faire les frais d'une idéologie qui a tendance à les mettre sur le même plan que les délinquants. En réalité, par crainte de nouvelles émeutes, l'exécutif et le judiciaire ont décidé qu'il fallait, à Nanterre comme à Marseille, incarcérer, au mépris des règles qui structurent notre procès pénal, au premier rang desquelles le principe de présomption d'innocence. Enfin, le ministre de la Justice qui se sera battu pendant près de 40 ans comme avocat à défendre la présomption d'innocence devant toutes les cours d'assises de France et qui n'aura pas eu un mot pour défendre la présomption d'innocence de fonctionnaires de police récemment mis en cause dans des affaires pénales. En d'autres termes, les libertés publiques sont bafouées car la hiérarchie du pouvoir s'est à mon sens déplacée. Il est, en effet, bien loin le temps où le Général de Gaulle pouvait dire à son garde des Sceaux qu'il n'existait que deux réels pouvoirs, d'abord celui du chef de l'Etat, ensuite celui de la loi ; enfin, et de façon infiniment subsidiaire, le pouvoir judiciaire. En réalité, non seulement aujourd'hui les juges ont davantage de pouvoirs que ce dont ils disposaient sous l'Ancien Régime face aux Parlements, mais également ils se sont tout simplement accaparés le pouvoir. Or, plus un pouvoir politique est faible, plus le pouvoir judiciaire est fort. Aujourd'hui, n'importe quel magistrat, même récemment sorti de l'école nationale de la magistrature, peut ébranler un ministre, fut-il son ministre, comme c'est le cas de M. Eric Dupont-Moretti, qui est renvoyé devant la Cour de justice de la République et qui va devoir subir l'affront de voir un procureur dont il constitue en théorie l'autorité hiérarchique, requérir contre lui une condamnation pénale. La mort du politique donne naissance à une omnipotence judiciaire. 

Rafaël Amselem : C’est tout à fait le cas. Cela est même pire qu’un sparadrap. Il s’agit d’un coup de canif. La grève était au départ liée à la détention provisoire d’un policier qui a mis en colère ses collègues. Cela est déjà problématique. La police n’a pas à faire pression sur la justice. La décision du placement du policier en détention provisoire a été prise par la justice.

Selon les informations de BFMTV, une enquête de l’IGPN est en cours. Selon les premiers éléments de l’enquête, les policiers auraient menti et se sont couverts entre eux.

Du point de vue de la liberté, cela est plus qu’un sparadrap, cela contribue à planter les graines de la défiance. Personne ne peut avoir confiance dans une police qui ne fait pas preuve d’exemplarité.

La preuve de l’exemplarité se fait par le comportement et se fait aussi par des normes publiques connues de tous, dans laquelle les forces de l’ordre suivent des procédés. Ces derniers aboutissent à la conduite de la répression des crimes et des délits, de la politique pénale. En l’absence de ces procédés, les citoyens n’auront pas confiance dans la police. Ils peuvent se dire qu’ils seront un jour le fruit de cette opacité, de ce potentiel arbitraire qui peut arriver. Ne serait-ce que pour la bonne conduite des enquêtes, cela contribue à planter les graines d’un procédé qui semble tout à fait dommageable.

En quoi le gouvernement a-t-il fait un mauvais calcul et un mauvais choix en ne gérant pas le déséquilibre police - justice dans le pays avec une justice qui comprend mal les policiers dans le cadre de la défense des droits des délinquants ? Le gouvernement n’a-t-il pas fait un mauvais calcul en sacrifiant des garanties de libertés publiques ?

Gérald Pandelon : Pour que le gouvernement opère un bon choix encore aurait-il fallu qu'une réelle vision de la sécurité existât en son sein. Or, sans vision et sans appréhension du réel danger que constitue aujourd'hui la délinquance, je crains que ce gouvernement, en dépit des quelques et tardives louables intentions de son ministre de l'intérieur, ne soit frappé d'inefficacité. En effet, ce qui apparaît le plus choquant (70 % des français ne font pas confiance au gouvernement pour résoudre les problèmes de sécurité), c'est qu'en dépit de la multiplication des actes de délinquance au quotidien, des actes pourtant d'une exceptionnelle gravité, le gouvernement ne soutienne pas dans son intégralité la police. En effet, on aurait pu s'attendre à une solidarité plus forte de notre exécutif, c'est-à-dire du chef de l'Etat, du ministre de l'intérieur et du garde des Sceaux, envers les policiers confrontés au quotidien à des violences de plus en plus graves. Or, pour éviter des émeutes, on aura préféré incarcérer des policiers dont les carrières étaient jusqu'à présent irréprochables. C'est un euphémisme de considérer que l'on marche sur la tête. Dans cette perspective, comment alors encore s'étonner que pour une écrasante majorité de nos concitoyens, nos édiles passent pour des traîtres et nos juges au pénal pour des bourreaux ? 

Rafaël Amselem : Il n’est pas aisé de dire qu’il s’agit d’un mauvais choix sur le plan pratique. En réalité, le gouvernement n’a pas d’autres choix. Il n’arrive plus à maîtriser la colère qui traverse les forces de police et il se retrouve donc obligé de céder pour ne pas arriver à une situation plus dramatique. En revanche, il y a une erreur sur le plan des principes. La politique est une pratique du pouvoir, une fabrication du consensus entre des corps qui constituent l’ensemble de la société civile mais ce sont aussi des principes. Et en l’occurrence, il y a un véritable problème à accorder des bons points à une parole provenant de la corporation policière eu égard au contenu de ces paroles. Cela correspond à une participation active du pouvoir. Le Parisien a révélé que le ministre Gérald Darmanin a validé les propos du Directeur général de la police, Frédéric Veaux, avant la parution de son interview et dans laquelle il dit qu’un policier ne devrait pas avant son procès, même s’il a commis des fautes, être en détention. Cela consacre une vision selon laquelle les forces de l’ordre, qui sont des représentants de l’Etat, de l’autorité, devraient faire l’objet d’un régime d’exception, d’un traitement préférentiel. De ce point de vue-là, il y a un véritable problème. D’une part, un problème du point de vue de la liberté. L’Etat de droit qui est fondé sur le principe de liberté politique, ce n’est pas la société civile qui est au service de l'État et de ses représentants, c’est précisément le contraire. La société est créancière de l’Etat, l’Etat qui est le serviteur de la société civile. A ce titre-là, quel que soit le représentant de l’Etat, en l’espèce ce sont les forces de l’ordre, elles n’ont pas à faire l’objet d’un traitement préférentiel. Si l’on inverse ce rapport entre la société et l’Etat, cela expose la société à la volonté de l’Etat et potentiellement à son arbitraire.

Le souci de la sécurité est évidemment un enjeu légitime. La volonté de sécurité traduit une volonté de civilité, afin que chacun d’entre nous puisse être ce que nous sommes, agir comme nous le souhaitons au sein de la société sans avoir à subir de menaces ou de représailles d’autrui. Il ne faut pas, à ce titre-là, diminuer et rabaisser la demande de sécurité.

En revanche, la sécurité ne peut pas se faire à n’importe quel prix. Et lorsqu’elle se fait à n’importe quel prix, il n’y a pas de sécurité. On ne garantira pas plus de sécurité en disant que l’on va donner aux policiers un traitement préférentiel. Le fait d’accorder des droits privilégiés ne fait pas qu’un policier puisse avoir les moyens financiers, techniques, matériels ou de formation afin de pouvoir arrêter des individus. Cela repose sur le fait qu’il soit bien armé, formé et équipé, qu’il y ait assez de personnel qualifié autour de lui pour mener des enquêtes et appréhender des suspects.

Nous sommes dans l’inefficacité la plus totale et dans une trahison des principes élémentaires de l’Etat de droit. 

N’était-il pas important de mieux défendre les policiers dans le déséquilibre police – justice et surtout face aux délinquants (envers qui l’application des peines et les incarcérations ne sont pas toujours effectives) ?

Gérald Pandelon : Il eût fallu pour cela faire montre d'autorité, une réelle autorité, celle qui naturellement place un certain nombre d'individus au-dessus de la mêlée, ceux qui disposent au sens où l'entendait Max Weber d'une grâce particulière, d'une autorité charismatique et non uniquement légale-rationnelle. Autrement dit, le gouvernement se serait grandi à soutenir les représentants des forces de l'ordre et le Directeur Général de la Police nationale, M. Veaux, a eu raison d'affirmer que la place d'un policier s'étant rendu coupable d'une faute, n'était a priori pas en détention avant son procès. En effet, ceux qui ont estimé de façon un peu rapide qu'en vertu du principe d'égalité devant la loi, il n'était pas normal qu'un fonctionnaire de police dispose d'un traitement plus favorable qu'un voyou chevronné, aurait dû faire un petit détour par la philosophie grecque en général, platonicienne en particulier. Certes, existe-t-il une égalité arithmétique (un individu égale un individu), mais également et surtout une égalité géométrique, dans laquelle un homme peut en valoir plus qu'un lorsque les conditions subjectives le justifient. C'est d'ailleurs sur cette dichotomie entre ces deux types d'égalité que reposent toute la littérature relative aux discriminations positives, des discriminations positives qui d'ailleurs existent dans d'autres secteurs. En réalité, pour conférer davantage de lisibilité et de légitimité à leur action, il faudrait que notre gouvernement sache hiérarchiser les priorités, établir des choix dictés davantage par une vraie morale que fondée sur un opportunisme de l'instant. 

Comment cela s’inscrit dans une grande négligence du macronisme sur les libertés publiques (au regard des autres exemples par le passé via la crise des Gilets jaune et du Covid-19). Les libertés publiques semblent être toujours la variable d’ajustement de la part du pouvoir…

Gérald Pandelon : L'argument de la défense des libertés publiques constitue le leitmotiv d'un pouvoir dont l'originalité, c'est un euphémisme, ne constitue pas la vertu première. Outre le fait que, comme indiqué, ce réflexe mental n'est pas exempt de multiples contradictions. Entre un président de la République anti-flic, un ministre de l’Intérieur faussement pro-flic et un ministre de la Justice qui n'a pas d'idées sur le sujet de la relation police-justice, comme d'ailleurs sur les autres sujets, c'est en réalité l'instant qui tient lieu de politique publique. Il n'existe d'ailleurs aucune vision ni réelle compréhension de ce que signifie une liberté publique car au-delà de la question des libertés, celle qui devrait prévaloir est celle de publicité, d'ordre public et, parfois, de raison d'Etat afin de conférer au pouvoir sa légitimité. Pour le dire encore différemment, le paradigme sur lequel est fondé notre Etat en matière de sécurité doit être en profondeur repensé, sinon c'est la rue qui prendra le pouvoir, c'est dire un pouvoir sans contrôles, une anarchie généralisée. 

Rafaël Amselem : Cela s’inscrit dans une dynamique plus globale de sécurité. Selon cette logique, nous aurons plus de sécurité par la diminution de la garantie des droits de la défense. Les droits de l’accusé ont été réévalués par la loi de sécurité globale, par la loi terrorisme et sécurité.

Derrière les grands discours, il n’y a jamais plus de sécurité.

Cela fait 30 ans que l’on modifie le code pénal à la faveur de la surveillance, de la diminution des droits de la défense et l’on n’observe pas plus de sécurité.   

Il y a un problème de corporatisme. Les forces de l’ordre peuvent adopter des pratiques qui sont problématiques sans faire l’objet d’une quelconque réprobation.

Pendant les émeutes, certains syndicats de police (Alliance et Unsa) ont publié un communiqué dans lequel ils qualifient les émeutiers de « nuisibles » contre qui ils sont « en guerre » et en concluant le communiqué avec la formule suivante, si demain le gouvernement ne fait rien, « demain nous entrerons en résistance ». Un citoyen avec de tels propos aurait subi une sanction de la part des autorités.

Parce que les policiers sont insatisfaits d’une décision de justice, ils ont recours aux arrêts maladies. Certains policiers ont décidé de faire financer leur lutte sur les deniers publics. Les policiers à Marseille sont en service minimum et ne prennent que les affaires graves. Les citoyens lambda doivent subir une absence décidée, volontaire, consciente de travail de la part de personnes qui sont essentielles à la garantie des droits. Les déclarations dans la presse étaient aussi en contradiction avec le devoir de réserve, notamment le directeur général de la Police nationale, ou bien encore Laurent Nunez, le Préfet de police de Paris, qui commente une affaire à Marseille dans laquelle il n’est pas du tout concerné. Ces comportements renvoient l’image d’une police qui semble à l’unisson pour défendre des éléments qui sont contraire à l’Etat de droit, il n’y a pas de condamnation du ministre de l’Intérieur, et le président de la République lorsqu’il est interviewé sur la question se contente de déclarations de principe. Les personnes qui ont des comportements fautifs ne font l’objet d’aucune réprobation.

Il y a un problème de corporatisme. Il y a des demandes toujours croissantes en faveur des forces de l’ordre, qui sont contraires à l’idéal de l’Etat de droit et à l’Etat de la loi actuelle au regard du devoir de réserve et des arrêts maladies. Le fait qu’il n’y ait aucune réprobation marque un problème de corporatisme.

Nous avons un affaiblissement assez inquiétant des institutions. L’ordre correspond à l’ordre dans la rue mais aussi à l’ordre du bon droit. Les deux doivent aller ensemble.

La justice, les magistrats ou les juges ont-ils un rôle à jouer ou une responsabilité dans cette crise ou dans ce déséquilibre ? Sont-ils encore les garants des libertés publiques ?

Rafaël Amselem : Les juges sont le seul organe d'État qui n’a de compte à rendre à personne. Les solutions à apporter semblent problématiques. Faire élire les juges, cela signifierait que les juges doivent obéir à une pression populaire. Or l’ordre du droit n’a pas à obéir à une pression populaire. L’ordre du droit répond à des logiques juridiques qui ne dépendent pas d’une logique électorale.  

L’image que l’on essaye de construire d’une justice qui serait enfermée dans ses grands principes ne coïncide pas avec la réalité des procès. Depuis 20 ans, si vous observez la sévérité des peines, nous sommes en augmentation constante en France. L’image d’une justice qui serait opposée à la police et qui d’office chercherait à les cadenasser est une image qui me semble contestable.

Le récent cas d’arrestations de policiers pour violence démontre qu’ils ont eux aussi eu recours au droit de garder le silence. Les garanties de l’accusé et de la défense servent aussi à cela et pour tout le monde, pas uniquement que pour les délinquants.

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