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François Kalfon : “La nécessité absolue du rassemblement de la gauche ne peut s'articuler avec la théorie des gauches irréconciliables de Manuel Valls”
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Entretien politique

Sans François Hollande mais probablement avec Manuel Valls, la gauche s'apprête à vivre une primaire décisive pour son avenir. Directeur de campagne d'Arnaud Montebourg, François Kalfon revient pour Atlantico sur les grands enjeux soulevés par la compétition qui s'ouvre.

François Kalfon

François Kalfon

Francois KALFON est conseiller régional d'Ile-de-France et membre de la direction collégiale du PS

Il a publié avec Laurent Baumel un Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs, Editions Le Bord de l'eau (novembre 2011).

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Atlantico : François Hollande a annoncé ce jeudi aux Français qu'il ne se présenterait pas à l'élection présidentielle de 2017, une décision jugée "sage, lucide et tout à fait respectable" par Arnaud Montebourg vendredi. Dans quelle mesure cette annonce change (ou non) la donne pour Arnaud Montebourg ?

François Kalfon : Nous étions en route vers une primaire qui aurait revêtu une dimension à la fois politique et personnelle compte tenu du statut du chef de l'État au côté de ses anciens ministres. Désormais, nous pourrons voir se développer un débat d'orientation que j'espère noble. Nous aurons une confrontation de bon niveau entre deux orientations politiques : l'une communément appelée le social-libéralisme, l'autre qui est à la fois sociale et républicaine. L'une s'inscrit dans les pas de la mondialisation qui montre jour après jour ses limites, l'autre en pointe les impasses et prône une autre organisation du monde, des peuples et de notre pays, dans un autre récit que celui de la marchandisation intégrale des activités humaines.

Cela ouvre des débats stratégiques pour la gauche.

En outre, le Premier ministre étant devenu le porteur de cette thèse des "gauches irréconciliables", comment compte-t-il articuler cette théorie avec la nécessité absolue du rassemblement et du raccommodage de la gauche ? C'est l'une des questions que nous pourrons poser à Manuel Valls.

En ce qui concerne le vivre-ensemble, nous pourrons également avoir un débat entre celui qui ne s'est pas opposé à la déchéance de nationalité, celui qui prône une laïcité de combat, que certains membres de la communauté nationale perçoivent comme dirigée contre eux, et un Arnaud Montebourg imprégné du souci d'une France plus harmonieuse, qui suppose une vision inclusive et non exclusive de la laïcité.

On peut aussi citer ici la question de la relation au travail dans un contexte de mondialisation. Est-ce qu'on considère que la modernité, c'est s'adapter à une certaine mondialisation et voir régresser les droits des salariés, ou est-ce qu'on considère au contraire qu'on peut reconstruire du gagnant-gagnant en voyant l'entreprise non plus seulement comme un espace où le capital se déploierait mais comme un collectif de travail où chacun aurait sa place ? Bien sûr, ça suppose une participation accrue des salariés aux conseils d'administration, ça suppose de ne pas remettre en cause la hiérarchie des normes, et plus largement de considérer que face aux excès de la mondialisation il est nécessaire d'inventer de nouvelles protections.

Je rajouterais un dernier débat, celui de la République nouvelle. Est-ce qu'on fait de la Vème République un corset permettant de limiter, voire d'empêcher, ce qu'on considérerait comme des excès de la société, avec un usage sans discernement du 49-3, ou est-ce qu'à l'inverse on demande la suppression de ce dernier ? Est-ce qu'on prône une démocratie réduite à la représentation nationale, ou est-ce qu'on favorise l'irruption citoyenne à travers les jurys citoyens, la modification radicale du Sénat, etc. ?

Arnaud Montebourg a déclaré être prêt à discuter "projet contre projet" avec Manuel Valls. Ne craignez-vous pas que ce débat idéologique, qui va au-delà de la querelle de personnes, mette en danger une unité dont la gauche a grandement besoin pour 2017 ?

Ce qui met en danger l'unité de la gauche, ce sont les querelles au sommet entre personnes dénuées de différences d'opinion politique – suivez mon regard – comme celle à laquelle nous avons assisté entre le président de la République et le Premier ministre. C'est ça qui multiplie les risques d'éclatement de la gauche.

Chez Les Républicains, nous avons eu ce débat entre une identité "heureuse" et une identité que je qualifierais de "malheureuse", et il n'a jamais été facteur d'explosion dès lors qu'il y a un minimum d'honnêteté intellectuelle… Les Français sont matures, et si l'on veut une grande primaire pour qu'ils puissent choisir leur candidat en lui octroyant une belle dynamique issue d'une forte participation, il faut des débats de qualité. Respectons les Français, ne les méprisons pas avec ces querelles subalternes.

Manuel Valls a-t-il bien fait de ne pas se rendre au meeting de la Belle Alliance populaire samedi soir ?

Il me semble que pour que la primaire se déroule dans de bonnes conditions, le Parti socialiste doit être organisateur et juge de paix, et non pas qu'il mobilise ses moyens au profit de tel ou tel. Je déconseillerais par ailleurs à Manuel Valls de se revendiquer le candidat du système, car on a bien vu ces derniers temps ce qu'il advient de ces candidats.

Finalement, cet affrontement idéologique qui se profile dans cette primaire entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg ne préfigure-t-il pas le débat qui aura lieu au sein du PS après 2017 pour définir la ligne du parti ?

Il y a une dispute qui n'a jamais été tranchée, et c'est le problème de 2012. Nous nous sommes lancés dans cette aventure alors que des questions n'avaient pas été réglées, et que le parti n'avait pas travaillé. Contrairement à Manuel Valls, je ne crois pas à la théorie des gauches irréconciliables. Je pense en réalité que beaucoup de problèmes nouveaux (influence du numérique sur la question du travail, débat entre économie du partage et économie de la propriété) peuvent déboucher sur des synthèses futures si on travaille correctement dessus.

Il y a deux maux qui traversent la gauche et qui empêche son renouvellement et sa régénération. L'un de ses maux, c'est le repli sur soi, la fuite identitaire. L'autre, c'est la fuite en avant, qui considérerait que tout ce qui s'apparente au marché équivaut à la modernité. C'est, d'après moi, une vision passéiste de ce qu'est la modernité.

Voilà les deux dangers dans lesquels Arnaud Montebourg, qui est bien ancré dans son couloir à gauche, ne s'enfermera pas.

Qu'est-ce que la désignation de François Fillon comme candidat des Républicains change pour vous ? Face à une droite assumée, plaidez-vous de votre côté pour une gauche toute aussi assumée ?

Pour répondre à votre question : oui, évidemment. Mais le sujet qui intéresse les Français n'est pas l'affrontement droite-gauche, bloc contre bloc. En revanche, pour dire où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient. C'est mieux de savoir se situer.

J'ajouterais un commentaire puisque vous m'y invitez. Après deux quinquennats où, finalement, le fleuve de la droite avait quitté son lit (sous Nicolas Sarkozy), tout comme le fleuve de la gauche a quitté le sien (sous François Hollande), j'observe que la rivière de la droite est revenue dans son lit. Nous avons une droite qui est de droite, qui est thatchérienne et réactionnaire. Face à un candidat ultralibéral, devons-nous opposer un candidat social-libéral ? Je crois que poser la question, c'est déjà un peu y répondre. Il vaut mieux un candidat qui soit à la fois social et républicain, et qui assume une critique progressiste de la mondialisation.

Arnaud Montebourg a déclaré jeudi matin vouloir "faire l'union des gauches, avec Jean-Luc Mélenchon, le Parti communiste et les Verts". La décision de François Hollande de ne pas se présenter peut-il lui faciliter la tâche, alors que le président a été très critiqué par la gauche de la gauche pendant son quinquennat ?

Il est en tout cas le mieux placé pour réussir cette union des gauches, de Jean-Luc Mélenchon à Emmanuel Macron.

Il s'entend bien humainement avec Emmanuel Macron et ils ont tous les deux le souci de l'entreprise (c'est l'un de leurs éléments de campagne les plus forts). Ils ont des différences certaines, notamment sur le rapport à la mondialisation, mais je ne vois aucun sujet dont ils ne pourraient discuter le moment venu, une fois qu'Arnaud Montebourg serait désigné candidat par les électeurs de la primaire.

Du côté de Jean-Luc Mélenchon, il y a également des points de convergence très importants : la prise en compte de la nécessité d'une protection sociale forte des salariés, une protection économique très importante, la nécessité d'une République nouvelle (que Jean-Luc Mélenchon nomme VIe République en reprenant finalement mot pour mot l'expression du fondateur de la Convention pour la VIe République, Arnaud Montebourg).

Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon ont certes deux divergences stratégiques essentielles. Premièrement, ils ont une divergence stratégique sur le rapport à la primaire : pour Arnaud Montebourg, il est impossible de gouverner toute l'aile gauche en refusant d'être désigné et issu du choix du peuple de gauche. Deuxièmement, ils ont sans doute une divergence sur le rapport à la radicalité dans l'exercice gouvernemental.

Pour raccommoder la gauche, il vaut mieux choisir un candidat qui soit en situation de le faire.

J'observe, par ailleurs, que Manuel Valls aurait des difficultés personnelles avec celui qu'il nommait Brutus – Emmanuel Macron – et des difficultés politiques ET personnelles avec Jean-Luc Mélenchon. Or, s'il n'y a pas un candidat fort, un candidat de gauche désigné par la primaire pour assurer le rassemblement, ni Emmanuel Macron, ni Jean-Luc Mélenchon ne pourront se parler directement, la différence étant trop importante. Arnaud Montebourg, lui, est capable de parler d'abord à sa propre famille politique et ensuite aussi bien à Emmanuel Macron qu'à Jean-Luc Mélenchon.

Il faudra répondre à cette aspiration populaire du peuple de gauche qui consiste à dire "faites en sorte d'en finir avec cette division et que nous n'ayons pas à choisir entre une droite dure et réactionnaire représentée par M. Fillon, et l'extrême-droite représentée par Mme Le Pen". Le choix d'Arnaud Montebourg serait donc une réponse à une exigence populaire et non pas une volonté unanimiste qui nierait les différences.

Dans une interview récente à Atlantico (voir ici), Benoît Hamon, dont beaucoup soulignent la proximité de ligne politique avec Arnaud Montebourg, a pointé du doigt la position d'Arnaud Montebourg sur la question européenne. Quelle est-elle, concrètement ? Souhaite-t-il sortir la France de l'UE, ou bâtir une autre Europe sur de nouvelles bases ?

Arnaud Montebourg souhaite une réorientation profonde de l'Union européenne, notamment la suppression de deux éléments concrets impactant la vie quotidienne des Français.

Premièrement, le dumping social à travers la suspension unilatérale de la directive des travailleurs détachés car 500 000 employés travaillent en France dans des conditions sociales inacceptables et mettent en danger à la fois nos salariés et nos PME. Deuxièmement, le dumping fiscal au sein de l'Union européenne, qui profite aux grands groupes transnationaux des Gafa mais aussi à McDonald's car ces entreprises bénéficient de taux d'imposition totalement surréalistes dans ces pays au détriment de notre cadre social. Un travail a déjà été initié sur ces sujets, mais il faut aller beaucoup plus loin.

Arnaud Montebourg est-il anti-européen ? Non, au contraire ! Il est extrêmement européen. Mais il est conscient que si nous continuons dans cette dérive européenne, après le Brexit, beaucoup d'autres pays quitteront cette construction technocratique et relativement malade.

Il a d'ailleurs une stratégie précise : il suffirait de quatre pays bénéficiant de 30% des droits de vote pour bloquer le fonctionnement du Conseil européen et imposer aux conservateurs européens un autre agenda dont je viens de décrire quelques traits.

On voit bien là une pensée complexe, structurelle, et qui participe au sauvetage de l'Union européenne plutôt que de précipiter sa fin comme le souhaiteraient les souverainistes nationalistes de tout bord, ce que nous ne sommes pas.

Benoît Hamon a également déclaré vendredi que Manuel Valls "ne pouvait pas incarner l'avenir de la gauche". Un rapprochement avec Arnaud Montebourg est-il possible selon vous, même avant le premier tour ?

Je respecte la candidature de Benoît Hamon, mais je serais tenté de prendre votre question à l'envers : je ne vois pas pourquoi un rassemblement ne serait pas possible. Bien au contraire, je pense qu'il est possible, souhaitable et même naturel.

Le candidat de la droite, François Fillon, est régulièrement attaqué sur son programme socio-économique, mais l'élection présidentielle qui s'annonce se jouera-t-elle vraiment sur ces thématiques selon vous ? Les classes moyennes et populaires, notamment, n'attachent-elles pas plus d'importance aux questions de sécurité, d'identité, de valeurs, etc. ?

C'est une question qu'on me pose régulièrement. Retenir des sujets "identitaires" et appuyer sur le sentiment d'insécurité (supposée ou réelle, peu importe) des classes populaires, c'est le choix qu'a fait Nicolas Sarkozy, reléguant au second plan les questions économiques. On ne peut pas dire que ça lui ait beaucoup profité...

La réalité du déclassement de ces oubliés, des invisibles de la République, des territoires ruraux ou périphériques-urbains, n'appelle pas uniquement des réponses au niveau de la sécurité ou de l'autorité, mais aussi sur le plan économique et social.

La droite continue d'aggraver les effets de la mondialisation, quand nous souhaitons de notre côté mettre en place des dispensaires, raviver les centres ruraux, avoir une politique d'investissement massif dans les territoires (20 milliards d'euros) visant à combler la fracture numérique, construire des infrastructures et des équipements afin d'améliorer justement la vie de ceux qui se sentent aujourd'hui abandonnés ou oubliés.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

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