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François Bayrou a-t-il atteint 
son plafond de verre électoral ?
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Centristounet

François Bayrou a présenté ce mercredi les "20 propositions" qu’il mettrait en place s’il était élu président de la République. Mais après avoir connu une progression continue dans les sondages, il semble aujourd'hui stagner.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : François Bayrou a présenté ce mercredi les "20 propositions" qu’il mettrait en place s’il était élu président de la République. Le même jour, plusieurs sondages ont indiqué un léger recul dans les intentions de vote en sa faveur. Simple coup d'arrêt ou le candidat du Modem serait-il confronté à son "plafond de verre électoral" ?

Jean Garrigues : François Bayrou a fait un pari stratégique, il y a maintenant dix ans : il a rompu avec la stratégie de reconnaissance de la bipolarité politique française. Il fait désormais le pari d’un rassemblement présidentiel autour du centre. Le problème c’est que sa stratégie ne peut fonctionner que si le centre droit et le centre gauche sont faibles. Or, François Bayrou se trouve confronté aujourd’hui à un candidat de gauche, François Hollande, susceptible de mordre sur l’électorat centre gauche : on voit ainsi bien que le "tassement" du candidat Modem dans les sondages est lié à la remontée du candidat PS.

François Bayrou serait-il un homme de droite dont l’électorat se situe plutôt à gauche ?

On disait traditionnellement des partis centristes - en tout cas du MRP qui est un peu l’ancêtre du Modem - que leurs élites étaient plutôt à gauche et leur électorat plutôt conservateur.

En 2007, François Bayrou a su agréger autour de sa candidature un électorat clairement plus marqué à gauche. Aujourd'hui, il semblerait que cette capacité soit restreinte par le profil de François Hollande.

Il faut rappeler deux choses importantes qui se sont produites en 2007. D’une part, François Bayrou, en opérant une rupture dès 2006 en votant la censure contre les gouvernements de droite avait occupé un positionnement plutôt à gauche qui lui avait permis de mordre sur l'électorat de centre gauche. D'autre part, il se trouvait confronté à une candidate de gauche dont le positionnement particulier l’empêchait de séduire le centre gauche. Il disposait donc d'un réel espace.

Mais aujourd'hui, l'espace qui s'ouvre à lui ne se situe-t-il pas davantage à droite, si l'on se réfère au score actuel de Nicolas Sarkozy dans les sondages ?

C’est une possibilité dans la mesure où François Bayrou se présente depuis 2002 comme un opposant au président de la République. Il pourrait donc attirer à lui une partie des déçus du sarkozysme.

Il bénéficie par ailleurs de la posture de celui qui avait annoncé la nécessité de la rigueur budgétaire dès 2007, un élément susceptible de séduire un électorat de droite, conservateur.

Doit-il "droitiser" son discours ?

Compte tenu de la dynamique actuelle de François Hollande, une "droitisation" de François Bayrou serait effectivement cohérente afin de séduire l'électorat de droite déçu par Nicolas Sarkozy. Le fait que François Hollande ait fermé la porte à un éventuel rapprochement au second tour renforce cette idée. 

Justement, François Bayrou présent au second tour : est-ce une hypothèse crédible ?

Disons que s'il arrivait au second tour, il serait favori dans tous les cas de figure. Evidemment contre Marine Le Pen, vraisemblablement contre François Hollande et sans doute contre Nicolas Sarkozy : l’antisarkozysme étant à un niveau très élevé, l'électorat de gauche ne parlerait peut-être plus de "bonnet blanc et blanc bonnet" comme en 1969 lorsque la gauche avait refusé de voter pour le candidat du centre Alain Poher. Aujourd’hui, il y aurait certainement un report des voix de gauche vers le centre.

Pour répondre à votre question, il faut évoquer à nouveau la bipolarisation et la présidentialisation de notre vie politique. Et souligner qu'il faut se positionner pour le second tour de la présidentielle en fonction des législatives qui vont suivre et qui sont conditionnées elles-mêmes par l’élection présidentielle.

Il existe un seuil d’électorat centriste quasiment intangible depuis le début de la Vème République : il se situe entre 10 et 15%. Pour dépasser ce seuil, il faut disposer mécaniquement d'une faiblesse du candidat de gauche ou de droite. A priori, nous sommes dans ce cas de figure mais on n’a pas l’impression que cela profite à François Bayrou. Le déclin sarkozyste profite plutôt à l’extrême droite qu’au Modem.

On peut l'expliquer par la période de crise que nous vivons actuellement. Dans un tel cadre, ce qui séduit l’électorat c’est le discours de protestation des extrêmes. La période de crise est la moins propice au succès du centrisme qui prône des solutions a priori raisonnables et prudentes.

Le discours centriste, en théorie, n'est donc pas adapté à la période de crise actuelle. Mais, François Bayrou a eu l'intelligence d'adopter une sorte de figure présidentielle d’homme providentiel et un discours de rassemblement gaullien, de résistance aux forces économiques et médiatiques susceptibles de plaire. 

Est-ce qu’un candidat centriste peut être élu aujourd’hui en France ?

C’est historiquement et arithmétiquement très difficile, encore une fois du fait de la bipolarisation de la politique française et de la pesanteur des traditions qui y sont liées. Mais c’est possible dans la mesure où la stratégie de François Bayrou a été de ne pas tenir compte de cette bipolarisation et de se présenter en suivant la logique de la présidentialisation de la Vème République. 

En ce sens, il s'inscrit dans la voie ouverte par Valéry Giscard d’Estaing qui avait réussi cet exploit historique de construire une victoire centriste en 1974, en jouant sur les divisions au sein de la droite gaulliste, avec la trahison des chiraquiens  vis-à-vis du candidat Jacques Chaban-Delmas).

Pour que réussisse la candidature Bayrou, il faudrait donc peut-être une trahison au sein de la droite ou de la gauche qui atténuerait le potentiel de l’une de ces familles. 

Des "trahisons" à droite comme à gauche vous semblent-elles aujourd'hui possibles ? 

Je pense que la cure d’opposition a été telle que la gauche ne refera pas les mêmes erreurs qu’elle a faites lors de la campagne présidentielle de 2007, où ils furent très divisés. Et le Front de gauche ne pèse pas suffisamment pour jouer les trouble-fêtes.

A droite, on peut imaginer qu’il se produise ce type de divisions. Mais là encore, cela restera marginal. La candidature de Dominique de Villepin et de Christine Boutin ne pèse pas assez lourd dans la balance. L'émiettement de la droite vient en fait de l’extrême droite : le meilleur atout de François Bayrou serait de voir Nicolas Sarkozy grignoté par l’extrême droite et donc quitté par une partie des électeurs du centre droit.

Finalement, si François Bayrou souhaite l'emporter, il devra apparaître comme l'homme providentiel. Mais il semble aujourd'hui trop connu des Français pour apparaître ainsi. Précisons malgré tout qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur ce que pourrait être le résultat final. La situation devrait se décanter dans un mois ou deux.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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