France-Algérie, le match de tous les dangers ? Ce qui pourrait se passer en cas de rencontre entre les 2 pays au mondial<!-- --> | Atlantico.fr
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Un match France-Algérie pourrait avoir lieu en quarts de finale du Mondial
Un match France-Algérie pourrait avoir lieu en quarts de finale du Mondial
©REUTERS/Pascal Rossignol

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Le hasard des matchs de la Coupe du monde pourrait bien amener à une rencontre France-Algérie en quart de finale. Une perspective qui suscite déjà son lot de pronostics.

Michel Wieviorka

Michel Wieviorka

Michel Wieviorka est directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale (EHESS). Il a notamment publié Pour la prochaine gauche aux Editions Robert Laffont et Evil chez Polity. 

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Frédéric  Lagache

Frédéric Lagache

Frédéric Lagache est numéro deux du syndicat de policiers Alliance

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Atlantico : Les manifestations spontanées qui ont suivi la qualification de l'Algérie en 8ème de finale de la coupe du monde ont réunies des milliers de supporters dans toute la France. Les interpellations quant à elles se chiffrent à 74. Peut-on dire que leurs motivations les placent en marge des autres ? Pour quelles raisons ont-ils été interpellés ?

Frédéric Lagache : Il est effectivement impératif de faire une différence entre les personnes qui viennent manifester leurs joies, et celles qui viennent pour d'autres raisons. Cela ferait partie des manifestations qu'on appelle "à risque", comme les manifestations d'étudiants ou les matchs PSG-OM, on y trouve certaines personnes qui viennent s'agréger à un groupe. Dans le jargon policier, on dit qu'ils viennent "faire leurs courses", ce qui signifie qu'ils profitent d'une situation pour casser les devantures des magasins, et s'en prendre parfois à ceux qui participent à la manifestation pour les bonnes raisons, c'est-à-dire pour célébrer un évènement, et s'en prendre aux policiers. Après la victoire de l'Algérie contre la Corée du Sud, un de mes collègues s'est pris une balle dans le dos et s'est retrouvé à l'hôpital. Un autre est gravement blessé après qu'un des supporters lui ait foncé dessus alors qu'il lui demandait de s'arrêter, hier soir après le match Russie-Algérie. On voit bien là que certains individus viennent pour tout autre chose. 

Il est donc évident qu'un France-Algérie serait considéré, du point de vue des forces de maintien de l'ordre, comme un match à haut risque, et qu'on se préparerait donc à de nombreux débordements. 

Comment serait organisée cette prévention des débordements, de quoi seraient composés les effectifs ?

Frédéric Lagache : Concernant les effectifs, il faut savoir qu'ils sont prévus la veille de chacune de ces manifestations à risque. Pourquoi ? Parce que l'on attend d'avoir en main les renseignements que l'on a pu obtenir du terrain. Comme pour toutes les manifestations de ce genre, le dispositif serait complet, c'est-à-dire qu'il y aurait des forces de maintien de l'ordre, avec des CRS, des gendarmes mobiles, une force d'intervention destinée à interpeller comme la Brigade anti-criminalité en civil. Pour le match contre la Russie, l'administration a demandé à ce que les effectifs qui se trouvaient en congés soient rappelés pour prévenir les débordements et assurer la sécurité des biens et des personnes. On peut imaginer qu'il se passerait la même chose en cas de match la France. Il y a une dissémination des zones à risque, les grandes villes ne sont pas les seules à avoir été touchées. 

Concernant les zones qui seraient touchées, on peut présager que le risque existerait à la fois dans les grandes villes et dans les campagnes. Dernièrement, Marseille, Lyon, mais aussi les zones reculées comme l'Orne ont été touchées.

Une évolution dans le temps ? Une accélération de ces débordements ?

Frédéric Lgache : Les débats actuels, recherchant à faire croire que d'autres formes de punition que la prison sont possibles, autrement dit le "tout sauf la prison", encouragent les individus à ne pas respecter la loi. Elle renforce le sentiment d'impunité de ces voyous. Napoléon disait: "la sévérité prévient plus de fautes qu'elle n'en réprime".

De plus, il est très difficile de les appréhender en amont. Il est très compliqué pour nous d'aller interpeler ce genre d'individu lorsqu'ils sont au milieu des autres.

Pourquoi les matchs opposants l’Algérie à une autre nation sont-elles réputées pour laisser place à des débordements, que l’issue du match soit victorieuse ou non ?

Michel Wievorka : Il existe en France une population de nationalité ou d’origine algérienne, au sein de laquelle les logiques du racisme, de la discrimination ou tout simplement de l’exclusion et des inégalités sociales ont souvent contribué à façonner un déficit de fierté. Cette population n’a pas beaucoup d’occasions d’exister dans l’espace public, et encore moins de manière positive ; elle est souvent associée au terrorisme, aux pires excès de l’islam radical, et sinon à la délinquance de la "racaille". Un match de l’équipe d’Algérie et plus encore une victoire de l’équipe de football algérienne est soudain une marque de reconnaissance, de liquidation du stigmate colonial ou post-colonial, ou de son renversement. Pour la plupart, cela ne va pas plus loin, c’est une joie alors plutôt bon enfant, on laisse éclater sa fierté. Un moment de bonheur, qui est rendu possible par le fait de jouer dans la cour des grands et plus encore de pouvoir s’identifier à la victoire. Pour quelques uns, c’est davantage, l’occasion de conjuguer à cette fierté passagère avec une expression de défiance, voire de haine de  vis-à-vis de la France qui a colonisé l’Algérie, livré une guerre meurtrière, puis fait venir dans ses usines des "travailleurs immigrés" qui furent exploités tout au long des Trente Glorieuses avant d’en faire une immigration de peuplement largement exclue et méprisée. La violence, en tous cas l’expression d’un ressentiment trouve dans un tel moment un espace pour se donner libre cours.

Et au bout du chemin, il y a toujours, quand une partie de la population s’exprime dans l’espace public, des individus et des petits groupes qui viennent en profiter pour pratiquer la violence pour la violence.

Il n’y a donc pas une "propension au débordement" qui serait comme une essence des Algériens en France, comme une caractéristique culturelle, voire naturelle –ce n’est pas ainsi qu’il faut poser le problème. Il y a des processus sociaux et culturels qui peuvent me semblent-ils être assez facilement analysés, une histoire, un passé conjugué à un présent.

Ces individus agissent-t-ils avec préméditation ?  

Pour un tout petit nombre, certainement, avec pour conséquence d’introduire une certaine confusion dans l’opinion : il n’y a rien de commun entre ceux qui ont fait éclater leur joie, à l’occasion de cette victoire lors d’une compétition globale, qui passionne le monde entier, et qui leur a permis de montrer que leur pays d’origine est capable de tenir sa place parmi les grandes nations, et ceux qui profitent de l’événement pour se livrer à leur passion, qui est la violence, devenue presque une fin en soi.

En quoi ces délinquants se différencient-ils des hooligans, qui se retrouvent à l’issu de match comme ceux du PSG et de l’OM ?

Ce qui les en rapproche, c’est le goût de la violence. Ce qui les en sépare, c’est le contexte, l’identification et les contre-identifications qui sont au cœur de l’événement. Car il n’y a pas que le football, ici, qui apporte la clé de lecture ou d’interprétation de ce qui se passe, il y a la relation historique entre la France et l’Algérie, les mémoires qui s’entrechoquent, celle de l’Algérie française, celle des Harkis, celle des soldats du contingent, des enfants de militants du FLN, ou, ce qui n’est pas du tout pareil, du MNA. Il y a la politique française, la poussée récente du Front National, les inquiétudes qu’il capitalise relatives à l’identité nationale. Il y a l’islam, et les débats qu’il suscite. Toutes ces dimensions sont susceptibles de jouer, là où les casseurs  qui se donnent à voir lors des matchs du PSG ou de l’OM s’inscrivent dans un contexte moins complexe.

Le fait que ces individus soient une population marginalisée, pour des raisons historiques et sociales est-il un lien qui peut expliquer leur violence ? Quelles peuvent-être les autres raisons ?

A ce jour, on n’en sait pas assez sur cette violence et ses auteurs. Dans d’autres expériences, il apparaît qu’il n’y a pas que des laissés-pour-compte qui se livrent à ce type de déchainement. Un critique littéraire, Bill Buford, avait suivi les hooligans britanniques il y  a une vingtaine d’années, et avait montré que ce sont souvent des hommes qui relèvent des petites couches moyennes, des employés de bureau par exemple. La violence, c’est vrai, peut séduire ou tenter ceux qui sont devenus enragés dans une France qui ne leur laisse pas d’espace pour se construire, et où le racisme, l’exclusion sociale, les discriminations les atteignent de plein fouet. Mais cela vaut me semble-t-il pour une petite frange de la population concernée, d’autant qu’il y a d’autres chemins pour inventer des alternatives que ceux d’une violence qui ne peut jaillir qu’exceptionnellement.

A quel point peut-on dire qu'il s'agit d'un exutoire, dans un contexte où des partis comme le Front National remportent des élections ?

Tout ceci est loin de la politique, tout ceci est au plus infrapolitique, vaguement alors informé par les succès du FN. Ces acteurs ne sont pas ceux qu’inquiète le plus ce parti, ils ne cherchent pas une expression politique claire et nette, ils jouent sur un autre registre. Cette expressivité vient rappeler que la vie des Algériens en France, ou celle de leurs enfants, n’est pas toujours rose, qu’ils pâtissent plus que d’autres de la crise, etc. ; en ce sens, on peut parler d’un exutoire. Mais celui-ci n’est pas commandé par l’actualité politique récente, il n’est pas politique, ou politisé, on aurait eu la même chose avec un FN beaucoup plus bas.

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